Une occupation (4)

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Mardi.

Dès neuf heures du matin, les militants qui le peuvent nous rejoignent à l’intérieur. On commence à multiplier les entrées et sorties, mais nous restons dissimulés dans l’arrière du bâtiment. Vers dix heures, on envoie un communiqué de presse qui donne rendez-vous au métro Bourse, mais sans préciser l’adresse. A onze heures, enfin, on annonce l’adresse aux médias, les premiers élus arrivent et nous déployons les banderoles en façade. Les commerçants de la rue commencent à se rendre compte qu’il se passe quelque chose. Comme on est sorti devant la porte pour accueillir les arrivants, le patron de l’agence immobilière en face vient nous voir. Il nous demande le but de notre occupation, on le rassure en lui disant que ce sera un immeuble d’habitation. Il n’y aura pas de concert avec des centaines de personnes buvant et fumant dans la rue… Il en profite pour nous confirmer que l’immeuble est vide depuis des années, et qu’il trouve cela scandaleux qu’il ne soit pas loué. C’est vrai que, pour les affaires, ce serait préférable.

Pendant que les élus du front de gauche et d’europe écologie les verts discutent avec les journalistes, quelques socialistes nous annoncent leurs venues pour l’après-midi. Le maire de l’arrondissement vient nous apporter son soutien. A la porte, on s’étonne de l’absence de réaction de la police : lors de notre dernière tentative, une semaine avant le premier tour des présidentielles, les compagnies d’intervention avaient mis six minutes chrono après le communiqué de presse pour venir bloquer les accès. C’est notre petit bonhomme de la Direction des Renseignements de la Préfecture de Police (DRPP) qui arrive le premier et nous pose les questions habituelles avec son accent chantant : « Depuis quand êtes-vous installés, combien êtes-vous, est-ce que TF1 est là ? » Comme on avait prévu de manifester devant le sénat pour le début de l’examen du projet de loi sur le logement, la police nous attendait là-bas. C’est vrai que nous ne les avons pas prévenu de ce changement dans notre agenda. Il nous affirme qu’en tous les cas, il n’y aura pas de blocus comme il y en avait eu avenue Matignon. C’est vrai que Nicolas Sarkozy n’avait pas apprécié qu’on ait une vue directe sur ses appartements privés de  l’Elysée. Lorsque deux civils du commissariat de quartier arrivent, nous faisons les présentations. Nous présentons la preuve de notre présence, dans une ambiance détendue. Lorsque le commissaire de l’arrondissement arrive, nous plaisantons avec lui, il sait bien que, s’agissant du DAL et de Jeudi Noir, il sera dessaisi au profit de la Direction de l’Ordre Public et de la Circulation (DOPC) à la Préfecture de Police (PP). Il n’aura aucune décision à prendre, à peine sera-t-il informé des évènements.

Comme le nombre de policiers augmente lentement, et que ceux-ci ne bloquent pas les accès du bâtiment, bon nombre de militants vont chercher de quoi se sustenter. Les pates à l’eau du sous-marin, ça commence à bien faire, et de toute façon, il n’y en a plus. Profitant de ce qu’on ne surveille pas la porte, un individu entre à grand pas dans le hall, sans dire un mot aux militants. C’est un « en bourgeois » en sweat à capuche, qu’on arrête au rez-de-chaussée. Quand nous lui demandons calmement de sortir, il a le culot de nous reprocher notre manque de politesse.

L’AFP nous prévient qu’Allianz n’est finalement pas le propriétaire du bâtiment, mais n’était que le locataire. Ils ont quitté les lieux depuis plusieurs années déjà. D’autres sources, que nous pouvons interroger maintenant que l’adresse est connue, nous disent que les réels propriétaires sont deux caisses de retraites.

Deux gradés de la PP arrivent, que nous surnommons « Feuille de Laurier » et « Feuille de Chêne », d’après leurs képis. Feuilles de Chêne demande à voir la commande de la ligne Internet, que nous présentons à nouveau, puis décide que finalement, il nous faut un constat d’huissier. Il sait pourtant très bien que, depuis le constat d’occupation de l’avenue Matignon, les huissiers ont eu des ordres de ne plus faire de constat pour des squatteurs…

On sent que la situation se dégrade peu à peu. Les tractations ne se font plus au niveau de la préfecture de police, mais directement dans les cabinets des ministères. Signe inquiétant, les quelques socialistes qui avaient prévu leurs visites se trouvent subitement des réunions importantes. En effet, quelques instants plus tard, les véhicules de la 12ème compagnie d’intervention de la DOPC s’arrêtent devant le bâtiment, et les hommes bloquent toutes les entrées dans le bâtiment. Les nouveaux et les journalistes ne comprennent pas encore très bien, mais pour nous c’est l’évidence, l’expulsion est quasi inéluctable. Pourtant, d’autres squats ont ouvert avec bien moins de preuve que les nôtres… Petit à petit, les personnes qui étaient parties pour se nourrir reviennent et doivent rester à la rue, notamment une des mères de famille. Elles sont même rapidement chassé de devant la façade, où nous pouvions discuter avec elles, pour être positionnées à un carrefour des environs. Après négociation, la police nous autorise un peu de nourriture. Il était temps, nous n’avions plus qu’un peu de pain de mie pour les enfants. Là encore, les vidéos de bottes de carottes essayant de passer par dessus les boucliers des CRS ont dû être un mauvais souvenir de la police. Comme ils ne veulent tout de même pas autoriser des militants à se rendre devant l’immeuble, ce sont les policiers eux-mêmes qui font les navettes. Dans le même temps, un poste de commandement est installé dans une boutique en face de l’immeuble. Feuille de chêne et Feuille de laurier y font des aller-retours, vissés au téléphone.

Nous aussi, nous l’utilisons, et les militants du coin de la rue nous donnent des nouvelles des renforts. A l’est, la gendarmerie mobile, cinquième escadron, deuxième groupement, première légion, vient d’arriver. Le panier à salade aussi, avec les autres véhicules de la 12ème compagnie, qui se tiennent hors de notre vue à l’ouest, dans une voie perpendiculaire. Bientôt, les moblots viennent remplacer les compagnies d’interventions.

Nous avons fermé la porte d’entrée à double tour lors de l’arrivée de tous ces gens, mais Feuille de Chêne veut absolument une démonstration de nos clefs. Il éloigne un peu ses troupes de la porte, et on le fait entrer dans le sas pour lui montrer de l’intérieur que oui, nous pouvons bien fermer et ouvrir. Des journalistes, qui commencent à trouver le temps long, en profitent pour sortir. Quelques instants plus tard, alors qu’une deuxième équipe souhaite sortir, les forces de l’ordre en profitent pour enfoncer la porte et investir ce sas. Pourtant, ils n’ont pas encore l’ordre d’intervenir, puisqu’ils ne franchissent pas la deuxième porte, et ne pénètrent pas plus avant dans le bâtiment.

Un petit détachement de la Force d’Intervention de la Police Nationale, la brigade anti-commando, passe devant le bâtiment, harnaché de toute part. Passant par les immeubles voisins, ils viennent prendre position sur notre toit. Depuis une fenêtre du dernier étage, nous échangeons quelques coucous. Ils veulent nous empêcher de s’y réfugier : lors d’une autre expulsion, un individu a passé plus de six heures en équilibre sur une corniche d’un deuxième étage, forçant l’intervention des pompiers. Le négociateur du GIGN a été surpris que sa demande soit simplement de pouvoir récupérer ses affaires, qui autrement auraient été jetées. Cependant, nous ne sommes pas là pour mettre des vies en danger. Sur un toit en pente, sur du zinc humide, on refuse de prendre des risques.

Derrière la baie vitrée du rez-de-chaussée, on observe le matériel déployé : pinces coupantes de plus d’un mètre d’envergure, béliers, marteaux, pieds de biches… Eux n’ont pas à se préoccuper des effractions ou dégradations, ils sont couverts. Sur le trottoir devant la porte, une chaine les gênerait pour nous transporter ; elle est sciée promptement.

Pour autant, la diplomatie ne ménage pas ses efforts : en pleine séance d’examen de la loi sur la mobilisation en faveur du logement, un sénateur évoque notre situation. Le cabinet du ministère du logement nous fait savoir qu’il a officiellement demandé à son homologue de l’intérieur que nous ne soyons pas expulsé. Après coup, Cécile Duflot jugera « incompréhensible » notre éviction. C’est peut-être son poids réel au sein du gouvernement, qu’elle n’a pas bien compris.

Néanmoins, son intervention nous permet de « négocier ». Avec la police sur le toit, les gendarmes dans le sas du bâtiment, le directeur adjoint du cabinet de la Préfecture de Police nous appelle à la fenêtre. Nous montrons, une nouvelle fois, notre commande internet, mais elle est évacuée d’un revers de main : on nous explique qu’il faudrait qu’ils fassent des vérifications pour savoir si nous avons réellement passé cette commande, si nous ne leur présentons pas un faux. Ils n’ont pas le temps, il faut expulser avant. L’histoire, la vraie, celle des vainqueurs, c’est que nous sommes entrés ce matin. Pour justifier l’intervention de la police, on nous reproche une infraction. Laquelle ? Pas de réponse, nous n’avons pas à savoir.

Dans le même temps, la police nous garantit qu’il n’y aura pas de garde à vue, pas de contrôle d’identité. Pourtant, il paraît que ce sont des choses qui se font, lorsqu’on arrête des gens en flagrant délit ! La discussion tourne court assez rapidement : on ne va pas résister, ça ne servirait à rien, mais de là à ouvrir la porte et sortir volontairement…  La fenêtre se ferme. Officiellement, notre négociateur va en référer à sa hiérarchie. En pratique, tout le monde sait depuis longtemps que la décision a déjà été prise.

A l’intérieur, nous ne sommes plus qu’une grosse vingtaine, dont quatre enfants. Les matelas ont été descendus dans le hall, les affaires regroupées. Ne restent plus que les banderoles en façades. En plus de mes affaires personnelles, je m’occupe de celles des militants qui étaient sortis acheter à manger et n’ont pu rentrer. Ils sont toujours privés de leurs papiers, de leurs lunettes… On se regroupe au rez-de-chaussée, en arc de cercle dans le hall. Les enfants sentent la nervosité ambiante et se tiennent sages. Seul le plus petit s’agite dans sa poussette. Enfin, les opérations sont déclenchées. A travers la verrière, nous voyons la brigade anti-commando descendre la façade en rappel entre le cinquième et troisième étage, pour prendre position sur le dernier élément de toiture qui échappait à leur contrôle. En bas, un simple coup de masse a fait exploser la serrure qui fermait la porte intérieure du sas. Casqués, avec leurs boucliers transparents, les gendarmes mobiles investissent le bâtiment. Pendant plusieurs minutes, nous nous regardons en chien de faïence : un peloton doit vérifier qu’il ne reste personne dans les étages avant de procéder à l’extraction proprement dite. Seuls un gendarme et un militant tournent autour de nous pour filmer mutuellement la scène. Enfin, un deuxième peloton vient prendre position derrière nous : nous sommes complètement encerclés. Posant leurs boucliers, ils s’approchent d’une extrémité de notre ligne pour soulever les habitants. Les enfants se mettent à pleurer. Soulevé à mon tour, je refuse de marcher puis me ravise en passant devant la poussette. Seul moment cocasse, avant de passer la porte, les deux gendarmes qui me tiennent fermement se rendent compte que nous ne passerons pas à trois de front. Il faut bien quelques secondes pour que l’un se décide à me lâcher le bras. Dehors, je suis rapidement propulsé derrière la rangée qui protège la zone d’opération, et me retrouve au milieu des militants venus nous soutenir.

Quelques minutes suffisent pour sortir les habitants restant. On sent que la police n’est pas trop sûre d’elle-même, sur la légalité de cette expulsion. Nos matelas nous sont rendus immédiatement, des hébergements sont trouvés pour les familles sans abris. C’est assez inhabituel pour être signalé. Nos menaces implicites de poursuites judiciaires auraient-elles fait peur ?

Une occupation (3)

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Dimanche, lundi.

L’attente. Nous sommes maintenant bien installés. Hier, grâce à un vieux téléphone, nous avons récupéré un numéro interne à l’immeuble, ce qui nous permet de demander un abonnement internet. Cette demande, datée, peut nous servir de point de départ pour le délai de 48h, vieille légende du squat qui reste couramment utilisé même par les autorités, malgré son fondement légal plus que léger. Evidemment, nous ne pouvons avoir aucune preuve de notre entrée dans les lieux au préalable : on ne prévient pas la police quand on entre. Un petit jeu de société et quelques jeux de cartes nous permettent de faire patienter les enfants et nous, mais l’ennui se fait sentir. La légère angoisse liée à l’incertitude de notre situation, qui ne se dissipera qu’après l’arrivée de la police, n’arrange rien. La cuisine nous permet de nous faire des pates, mais les menus manquent de variété, et surtout de produits frais. La rue est tellement calme, que je quitte le bâtiment à 18h, avec quelques autres, qui ont des obligations le lundi. J’ai, pour ma part, quelques papiers administratifs à faire signer et à rendre à mon école. Et puis, une douche ne me fera pas de mal.

Nous avons décidé de ne nous déclarer que le mardi, pour que la demande internet fasse bien 48h révolues, et aussi parce que c’est le premier jour d’examen de la loi sur le logement social. Autant coller à l’actualité. Curieusement, alors que d’habitude les journalistes sont friands de nos aventures, pour vivre la veille de l’intérieur, cette fois personne ne souhaite vraiment se déplacer. Seule l’AFP prévoit de venir, le mardi matin.

Je retourne au 24, rue saint-Marc le lundi soir. La dernière nuit avant l’officialisation d’un bâtiment est toujours un peu particulière. Cette fois-ci, je suis plutôt confiant : alors que les derniers mois de Sarkozy avait vu une politique d’expulsions systématiques et illégales des squats, depuis l’arrivée de Hollande, plusieurs ouvertures ont montré qu’il y a, non pas une tolérance, mais un simple respect des lois les concernant. Notre bâtiment ne présente aucune trace de péril ou d’insalubrité, et nous avons un élément de preuve pour contrer le délai de flagrance. Par ailleurs, s’il est situé dans le centre de Paris, il ne s’agit pas pour autant d’un quartier « sensible » ; il n’y a pas de ministère ou d’ambassade à proximité. On en discute, tout en affinant le programme du lendemain. A quelle heure envoyer le communiqué de presse, comment prévenir les élus, les journalistes de confiance ? Dans la nuit, on enlève la pancarte « à louer » de la façade.

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Une occupation (2)

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Samedi.

Nous n’avons pas pensé au café. Le manque se fait sentir, après une nuit plutôt courte. Les croissants industriels qui nous servent de petit déjeuner sont toujours aussi mauvais. Compte tenu de la chaleur qu’il fait dans ce bâtiment, nous avons bu nos bouteilles d’eau plus rapidement que prévu. Il y a l’eau du robinet, bien sûr, mais dans quel état est-elle après avoir stagné dans les canalisations ? Dans les siphons des cuvettes de toilettes, l’eau s’est complètement évaporée, ce qui montre qu’elles ne sont plus utilisées depuis bien longtemps. A la lumière du jour, nous procédons à une nouvelle visite du bâtiment. D’un plan carré, ce dernier s’organise en quatre ailes autour d’une cour centrale d’une dizaine de mètre de coté. Au rez-de-chaussée, cette cour est recouverte par une grande verrière qui a dû être construite dans les années 80, offrant ainsi une grande pièce parfaite pour les réunions ou les conférences de presse. Les premier, deuxième et troisième étages forment un carré complet, mais les quatrième et cinquième sont ouverts au Nord, avec un petit toit terrasse au dessus du troisième. Il faudra sécuriser les fenêtres pour empêcher l’accès, car aucun garde corps ne protège de la chute sur ce toit. Deux escaliers et deux ascenseurs, à l’ouest, desservent les étages. La redondance apporte encore plus de sécurité. Bien entendu, il faudra condamner les ascenseurs, pour ne pas prendre le risque qu’une personne reste bloquée entre deux étages ou tombe dans la cage. La disposition de l’immeuble fait qu’aucun voisin n’a de vue sur la cour intérieure, ni sur la verrière, ni sur les fenêtres des étages. C’est assez appréciable de pouvoir les ouvrir et prendre un peu l’air pendant que nous sommes encore en « sous-marin », comme nous appelons cette phase avant l’officialisation du bâtiment. Le principal souci de ce bâtiment, pour nous, c’est que les ailes sont finalement très étroites : à peine trois mètres de large. Du coup, certaines pièces se commandent, ce qui complique la séparation en appartement. Certains étages aussi sont très peu cloisonnés. L’open-space, c’est déjà pas top pour du bureau, mais pour vivre, c’est totalement impossible. Malgré tout, l’immeuble entier peut accueillir sans difficulté une quarantaine de personnes, tout en respectant leur intimité.

Le premier sous-sol comporte plusieurs salles de réunion. L’une d’elle, en longueur, pourra servir de salle de cinéma. Il y a surtout une cuisine, avec plaques électriques, évier, et des emplacements pour un frigo et un lave-vaisselle. En attendant d’installer une cuisine plus commode dans les étages, celle-ci sera parfaite. Le deuxième sous-sol, par contre, devra être protégé car il ne contient que les installations techniques du bâtiment : électricité, chauffage, machinerie d’ascenseur… Il ne faudrait pas qu’un enfant vienne y jouer.

Dans un bureau du rez-de-chaussée, nous faisons une découverte intéressante : un sac plastique contient l’ensemble des clefs du bâtiment, avec les indications des serrures correspondantes. L’une d’entre-elles, particulièrement, nous intéresse, puisqu’elle est marquée « entrée ». On l’essayera dans la nuit, disposer des clefs est toujours un avantage. Je commence à faire le relevé du rez-de-chaussée pour établir un plan d’évacuation, et pour que les nouveaux arrivants puissent se repérer un peu. Et puis, c’est aussi pour m’occuper un peu : le temps passe très lentement, dans ce bâtiment, sans téléphone, sans ordinateur. Julien, en partiels lundi et mardi, révise son droit. Finalement, c’est à l’extérieur qu’il se passe le plus de chose : des recherches internet nous en apprennent un peu plus sur le bâtiment. D’une superficie de 1 500 mètres carrés, il a été construit en 1894 et bénéficie d’une protection patrimoniale au titre du plan local d’urbanisme (PLU) de la ville de Paris. Dans le détail, de tout ce qui est protégé, il ne reste vraiment plus que la façade, tout le reste est irrémédiablement détruit. Surtout, le PLU nous confirme que l’immeuble est dans la zone de protection de l’habitation, ainsi que dans la zone de déficit en logement social. Ce n’est pas une surprise, de toute façon, c’est le cas de tout le centre historique et de l’ouest parisien. Malgré un effort réel, le 2ème arrondissement n’est encore qu’à 4,5% de logements sociaux.

Tous les indices que nous trouvons sur le bâtiment pointent vers les Assurances Générales de France. AGF, qui a été absorbée par Allianz en 2009, et Allianz, qui a son siège social au coin de la rue. C’est un peu léger, mais vue la situation, on ne peut pas faire mieux. On en conclut, à tort, que le bâtiment leur appartient. De toute façon, internet nous apporte la preuve que le bâtiment est possédé par une personne morale, c’est le plus important. Les deux seuls immeubles appartenant à des particuliers que nous avons occupé sont aussi les deux seuls qui nous ont coûté très cher. Pourtant, ce sont ceux qui étaient vacants depuis le plus longtemps, et ils sont à nouveaux vides alors que nous les avons quittés depuis plusieurs années.

Dans l’immédiat, le plus important, c’est de prévenir le DAL. Nous pourrions garder l’immeuble entier pour nous, le nombre de jeunes mal logés est malheureusement largement suffisant, mais le DAL a lui aussi son lot de personnes en galère, et les familles sont parfois dans des situations bien pire. Et puis, nous avons fait notre dernière tentative d’ouverture avec eux, il nous semble important de montrer que le caractère unitaire de la lutte contre le mal logement ne s’est pas arrêté après les présidentielles. La difficulté, pour eux comme pour nous, ce ne sont pas les personnes qui pourraient habiter l’immeuble par la suite, mais celles qui doivent y passer jours et nuits en attendant la fin du sous-marin. On ne peut pas imposer à des enfants de passer plus de quarante-huit heures totalement cloîtrées, les parents travaillent… Dans un premier temps, les familles qui le peuvent et des militants du DAL vont arriver ce samedi soir, avec quelques Jeudi Noir supplémentaires. Ils apporteront aussi du matériel et de la nourriture supplémentaire. Maintenant qu’on dispose de la clef de la porte d’entrée, il est facile de faire entrer les matelas nécessaire, et tout le reste.

Une fois la nuit tombée et la rue déserte, les renforts arrivent petit à petit : d’abord les gens, puis les véhicules qui se garent devant l’immeuble, et nous faisons la chaine pour décharger rapidement. Par chance il ne pleut pas. En deux minutes, l’ensemble des affaires est placé dans un recoin, à l’abri des regards indiscrets. Les voitures s’en vont et le calme revient. On installe rapidement quelques matelas au premier étage pour que les familles et leurs enfants puissent se coucher. La pièce se transforme en grand dortoir avec une dizaine de matelas posés au sol. Comme le dira un des enfants, hébergé à l’hôtel : « au moins, ici, il n’y a pas de cafards ».

Maintenant que nous sommes un peu plus installés, nous fermons les fenêtres et posons des chaines et des cadenas sur les portes. La situation du bâtiment est encore précaire, mais si personne n’est passé samedi, il est encore moins probable que quelqu’un passe le dimanche. Surtout, il faut éviter que des inconnus pénètrent là où dorment les enfants. Dans cette situation, on craint plus les vigiles que la police : il est déjà arrivé que des militants doivent faire soigner des ecchymoses suite à une rencontre un peu musclée avec un vigile. Ce qui a coûté plusieurs mois de délai au propriétaire.

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Une occupation (1)

Vendredi. L’entrée dans les lieux.

Plan d'évacuation du 24, rue Saint-Marc

Je viens enfin de rendre le mémoire que je traine depuis quelques mois. Comme toujours, je m’y suis pris au dernier moment, et je n’ai pas beaucoup dormi les nuits passés. La soutenance est dans deux semaines, et je voulais en profiter pour prendre une bonne nuit de repos. C’est raté. Je dormais déjà, mais le texto de Julien m’a réveillé. Il est assez intriguant, car il ne donne évidemment aucune information précise, mais ce n’est pas le genre de Julien de nous demander de venir pour un simple bâtiment vide. Le rendez-vous est fixé dans un bar. Je prends juste un duvet, une brosse à dent, un rouleau de papier toilette, et j’y vais. Par chance, il y a encore des métros.

Nous sommes une petite dizaine, à nous retrouver. D’expérience, nous coupons nos téléphones portables. Seules deux personnes, moins connues de la police, feront le lien entre le groupe extérieur, et le groupe intérieur. Le bâtiment, Julien nous en parle : c’est un immeuble de bureau, vide et à louer depuis près de deux ans. On le connaît, mais sans plus : des immeubles comme celui-ci, on en a plusieurs dizaines en stocks, généralement gardés par quelques vigiles. Là, les fenêtres seraient ouvertes, non seulement dans les étages, mais surtout au rez-de-chaussée ! On a du mal à y croire, mais les exemples des portes ouvertes de la Marquise et de l’avenue Matignon nous montre que tout est possible.

En passant devant le bâtiment, on se rend à l’évidence : au rez-de-chaussée, brillamment éclairé, deux des fenêtres sont belles et biens grandes ouvertes. Malheureusement, il y a une boite de nuit juste en face, et le videur fait son travail. Il ne s’intéresse probablement pas à notre immeuble, mais on ne peut quand même pas entrer par la fenêtre devant lui. Il faut attendre. On se poste à proximité, pour surveiller du coin de l’œil ce qui se passe dans la rue. Deux bouteilles de bières achetées quelque part nous donnent l’air de jeunes qui font la fête en ce vendredi soir. Les fenêtres étant largement visible depuis la rue, on finit par se poster directement sur les marches de l’entrée, de peur que d’autres aient aussi l’idée d’entrer, ne serait-ce que pour voir. Le temps paraît long, et même si nous continuons à faire semblant de boire, nos bouteilles sont vides depuis longtemps lorsque ferme la boite de nuit.

Nous sommes quatre à pouvoir passer notre week-end entier sur place. Quelques militants, qui commencent à avoir charge d’âme, sont bien obligés de rentrer chez eux s’occuper de leurs enfants. La rue déserte, c’est un jeu pour nous d’enjamber la fenêtre. On se réfugie rapidement derrière une porte pour ne plus être visible de l’extérieur, pendant que Margaux reste avec le petit groupe pour surveiller les environs et nous prévenir en cas d’arrivée de police ou de vigile.

De notre coté, on fait un premier tour rapide du bâtiment : il n’y a pas de mobilier, pas d’affaires d’aucune sorte. C’est capital, car leurs présences auraient pu être un signe que l’immeuble est occupé et qu’il constitue un domicile. Dans ce cas, nous aurions été obligés de partir : si le squat n’est interdit par aucune loi, la violation de domicile, elle, est punie d’un an de prison. Et puis, on ne s’invite pas chez les gens de la sorte. Le bâtiment est sain également, il n’y a pas de travaux, pas de traces d’humidité, le réseau électrique n’est pas vétuste… Parfait pour s’installer sans risquer un arrêté de péril, ou pire : un peu plus tard dans le week-end, trois personnes, mourront à Saint-Denis, victimes d’un marchand de sommeil ayant laissé l’immeuble se dégrader.

En fait, ce n’est pas seulement que l’immeuble est en bon état, il est chauffé ! La centrale de traitement de l’air ronfle à fond, il fait 27° au rez-de-chaussée malgré les fenêtres ouvertes. Nous qui avons l’habitude de souffrir du froid, on se retrouve à avoir trop chaud. Margaux nous passe malgré tout nos duvets et quelques affaires pour la nuit et la journée de samedi. Par discrétion, on ne fera un autre mouvement que dans vingt-quatre heures.

La nuit sur place n’est pas très agréable. Nous avons déclenché quelques détecteurs de mouvements visibles dans les escaliers en visitant le bâtiment. Si rien n’a sonné, si personne n’est venu, on n’est jamais à l’abri d’une surprise. D’autant que, pour ne pas modifier l’aspect de la façade, nous avons décidé de ne pas fermer les fenêtres. Nous sommes encore dans une phase où, si quelqu’un arrive, on n’aura pas d’autre choix que de partir sans discuter. L’équipe extérieure a fini par partir se coucher, et on se sent un peu seul. Si la moquette est épaisse, elle n’est pas des plus confortables, et nous nous réveillons chacun au moindre bruit.

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Squatter n’est pas illégal

squatters-handbookLe sénateur Dallier demande au gouvernement ce que celui-ci compte faire pour censurer les sites Internet qui diffusent des « guides du squatteurs ». Ces guides, en effet, donneraient des conseils pour l’organisation de la vie quotidienne dans le squat, et même des procédures à suivre pour « préparer sa défense ».

Faisant peu de cas de la liberté d’expression, brandissant le code pénal et la défense du droit de propriété « individuel » –la propriété des grandes sociétés ne mérite pas les mêmes droits ? – il oublie quelques points juridiques pourtant importants.

Squatter n’est pas illégal

On ne trouvera nulle part dans la loi un texte qui interdise d’occuper un bâtiment vide. Bien au contraire, la loi prévoit que l’occupant puisse devenir propriétaire, si nul n’a contesté l’occupation pendant trente ans1. Situation théorique sans doute, mais qui montre bien qu’il n’est pas (encore) interdit de se chercher un toit.

Ce qui constitue un délit, c’est la violation de domicile2. Depuis le XIXème siècle, la Cour de Cassation a eu le temps de définir précisément la notion de domicile, qui en France recouvre un champ assez large. Est un domicile votre logement bien sûr, que vous y soyez ou non, mais également votre maison de vacances, l’appartement de la grand-mère à l’hôpital depuis six mois, les bureaux/ateliers de votre entreprise… et le squat dans lequel vous logez.

Dans le cas d’une violation de domicile, en plus des risques encourus (un an de prison tout de même), la police procède à l’expulsion des occupants quelle que soit la durée de leur occupation. Elle en a même l’obligation3, à la différence des expulsions locatives que la préfecture peut différer. C’est pour cela que les guides de squats sont clairs : « Ne jamais faire de violation de domicile ! » On est bien loin de l’incitation au délit…

L’autre délit qui est utilisé fréquemment pour lutter contre le squat, c’est la dégradation4. Là encore, plutôt que d’y inciter, ces guides indiquent comment l’éviter, puisque ce délit est largement utilisé par la police pour obtenir l’expulsion, parfois en toute illégalité.

Alors certes, le squat est une atteinte au droit du propriétaire, et les squatteurs sont presque toujours condamnés. Tout comme un homme a été condamné à payer 10 000 euros à sa femme qu’il n’avait pas honorée. Faut-il pour autant interdire tous les livres qui prônent l’abstinence ?

Mais évidemment, il est plus facile de censurer quelques sites Internet que de faire appliquer la loi, lorsqu’elle dit que toute personne a droit au logement et au respect de son domicile. Y compris les squatteurs.

[1] Articles 2258 à 2275 du code civil
[2] Article 226-4 du code pénal
[3] Article 38 de la loi 2007-290 du 5 mars 2007
[4] Article 322-1 du code pénal

V.I.O.L.

Les victimes de viol ne doivent pas se sentir bien, ces derniers temps. Est-il besoin de dire pourquoi ? Ce n’est pas tant l’évocation d’une nouvelle affaire de viol ; si certains peuvent en souffrir, il appartient à chacun et d’abord aux victimes de se blinder un peu. Malheureusement, de tels faits se produiront toujours, et un empathie trop importante n’est finalement que le reflet de ses propres traumatismes. Il faut passer outre.

Le plus dur, ce ne sont même pas les faits qui sont reprochés à Dominique Strauss-Kahn, mais les propos de quelques-uns qui prennent « sa défense ». Bien entendu, DSK a droit à la présomption d’innocence. Bien entendu, on peut évoquer la thèse du complot : si elle paraît de moins en moins crédible au fil des jours, qui peut prétendre ne pas l’avoir envisagée ? Même les arguties de ceux qui, visiblement, ont du mal avec la notion d’égalité, n’ont pas grande importance.

Ce qui choque, ce qui me choque, ce sont toutes ces phrases qui minimisent la gravité des accusations. Ces commentateurs qui rappellent qu’il n’est pas accusé de viol, mais de tentative de viol. Mascarade intellectuelle. Parce qu’en droit français, les faits reprochés correspondent bien au viol. Parce que, surtout, la tentative de viol est punie de la même manière que le viol. Se rendent-ils comptent d’ailleurs qu’ils enfoncent DSK en disant cela ? Comme s’ils le savaient d’ors et déjà impossible à innocenter ?

Le summum a été atteint avec Jean-François Kahn. Son « troussage de femme de chambre », il l’a retiré et je veux bien croire à un mot malheureux d’une personne dont le métier est de « faire le buzz ». Mais sa « tentative violente de viol » ? Ce n’est pas que je veuille l’accabler, c’est surtout que cette phrase est l’expression presque inconsciente de l’imaginaire collectif : le viol, c’est quand un inconnu vous agresse dans la rue, et ce n’est que ça. Des monstres pathologiques qu’il faut enfermer, même après qu’ils aient purgés leurs peines. Cette idée est tellement répandue, et confortée par la politique actuelle, avec la médiatisation systématique de ces faits divers. Mais tellement éloignée de la réalité.

Ma formation universitaire fait que je me méfie lorsque je vois des chiffres sans sources. 75 000 viols annuels, dix pour cent des victimes qui portent plainte. On peut chipoter sur le détail, mais les ordres de grandeurs sont sans doute justes. Croyez-vous que tous ces actes sont le fait de serial violeur ? Le coupable, c’est le père, l’oncle, l’ami, le collègue. Dans l’immense majorité des cas. Et c’est bien ce qui rend difficile de porter plainte. S’il est déjà honteux d’avoir été violé quand c’est par un inconnu, imagine-t-on un instant la difficulté d’accuser celui que l’on connaît depuis des années ?

Lorsque j’ai commencé, pour des raisons personnelles, à aborder le sujet avec des amies, j’ai été effaré des réponses. Sur la dizaine de personnes questionnées, quatre ont reconnues avoir été violées. Je n’en avais jamais rien su, même après plusieurs années. Pourtant, le traumatisme est bien là. Aucune n’a porté plainte, probablement parce qu’elles connaissaient toutes leurs violeurs depuis longtemps. Et, pour les deux qui ont été violées par un membre de leur famille, parce qu’elles continuent à le fréquenter. C’est difficile, à vingt ans, de rejeter son père ou son frère.

Dans tous ces cas où l’on connaît le violeur, la première difficulté, c’est d’admettre avoir été victime. Cette simple étape peut prendre des années, et des années de souffrance qui perturberont toutes relations amoureuses. Je me souviens en particulier d’une amie qui me racontait que, oui, il l’avait pénétrée alors qu’elle ne voulait pas, que ça avait été douloureux, mais que c’était son copain, qu’il ne l’avait pas violée. Que répondre ?

Ce qui est douloureux aujourd’hui, ce n’est pas le traitement de l’affaire DSK en lui même, ce ne sont pas les déclarations scandaleuses, mais bien ce qu’elles montrent de notre société. Si l’on a pas été violé dans la rue par un détraqué, on n’a pas vraiment été violé.

Une histoire de la Marquise

Cet article a été publié précédemment sur un libéblog tenu par Jeudi Noir.
Ce billet est la suite de celui-ci

La question de base est celle d’un préjudice, tout court. Face aux mensonges de Me Améli et Me Waroquier, les avocats de Mme Cottin, qui prétendaient que leur cliente habitait place des Vosges, la juge de première instance avait condamné à de lourdes indemnités. Le temps de la procédure nous a permis de rassembler beaucoup de documents: la propriétaire est domiciliée fiscalement dans le 8ème arrondissement, l’intégralité des appartements place des Vosges sont soumis à la taxe sur les logements vacants, mais elle a obtenu un dégrèvement car «le bâtiment est en travaux et inhabitable». Des articles de journaux montrent que le bâtiment a été investi, déjà, en 1994, en 2007. A chaque fois la police est intervenue, en dehors de tout cadre judiciaire. On sait que Mme Cottin est hébergée depuis deux ans en maison de retraite, on trouve même son ancien domicile: rue François Miron, à deux pas de la place des Vosges. Ironie du sort, Mme Cottin a été condamnée à être expulsée de cet appartement en 1996, et n’a pu y échapper qu’en prouvant à la justice qu’il s’agissait de son domicile principal. L’enquête de police, lancée suite à la plainte pour violation de domicile, aboutit aux mêmes conclusions: classée faute d’infraction.
Le cynisme des représentants de Mme Cottin est sans borne: En mai, Mme Gozard, sa tutrice, vient nous demander si nous accepterions de stocker les affaires provenant de la rue François Miron, pour éviter de payer un garde meuble. L’état de santé de la vieille dame ne lui permet pas de réintégrer son appartement, qui est donc rendu. Les avocats plaident toujours qu’elle doit venir habiter place des Vosges, dans un immeuble sans chauffage et sans eau chaude, dès que nous libèrerons la place. Et menacent insidieusement, en écrivant dans leurs conclusions que nous n’avons pas conscience que la production en justice de fausses attestations nous expose à des poursuites pénales…

Restent les travaux, «d’une exceptionnelle qualité» dixit les avocats. Ils ont eu lieu, par intermittence, entre 1965 et 1995. Avec un permis de construire en 1965, des efforts importants pour préserver le bâtiment ont été entrepris les premières années, c’est vrai. Mais ensuite… Lorsque l’Architecte des Bâtiments de France refuse l’autorisation d’agrandir les lucarnes, le ministre de l’époque l’accorde. En 1975, Mme Cottin fait l’objet d’un procès-verbal et les travaux sont interrompus par l’administration: elle a simplement démoli une voute du XVIème pour faire passer un escalier et creusé 125m2 de caves en partie sous le bâtiment, en partie sous la cour. Le tout bien entendu sans aucune autorisation. En 1978, l’Architecte en Chef des Monuments Historiques du secteur écrit au ministère de la culture: «je ne peux m’empêcher de vous dire aujourd’hui ma très vive inquiétude devant la croissante dégradation de cet édifice, la propriétaire n’assurant même pas les plus élémentaires mesures conservatoires telles que par exemple le bouchement des brèches existant dans son toit.» La même année, le conservateur des Bâtiments de France pointe «la mauvaise foi de Mme COTTIN qui tente de mettre à la charge de l’administration les lenteurs dont seuls ses multiples atermoiements sont la cause.» Quatorze ans plus tard, en 1992, un Architecte des Bâtiments de France: «L’Hôtel de Mme COTTIN est l’un des plus beaux de la place des Vosges; il est partiellement restauré, vide, les carreaux des fenêtres sont cassés, les baies de rez-de-chaussée sont fermées par des palissades. Cet abandon est choquant et il me semble nécessaire de voir avec Mme COTTIN, à l’amiable, comment elle envisage la mise en valeur de sa propriété.»
Les travaux sont un désastre, les malfaçons succèdent aux erreurs de conception. La plupart ont été réalisés dans l’illégalité. Si la loi avait été appliquée, Mme Cottin aurait risqué six mois de prison. Pour un bâtiment de la taille et de la qualité de l’hôtel de Coulanges, il est particulièrement surprenant qu’il n’y ait jamais eu de poursuites, alors même que la Commission Supérieure des Monuments Historiques le demandait.
Bien entendu, il ne nous appartient pas de juger cet état de fait, d’autant qu’il y a prescription depuis longtemps. Mais user de ces travaux pour justifier un préjudice qu’aurait subi Mme Cottin…
Il y a prescription, car plus rien n’a bougé dans le bâtiment depuis le milieu des années 90. Les pigeons se sont installés sous les poutres peintes, maculant les planchers de fientes, les arbres ont poussé sur la terrasse, perçant l’étanchéité, bouchant les gouttières, les canalisations ont gelé, entrainant un dégât des eaux du quatrième étage jusqu’au rez-de-chaussée… Il y eu les tentatives d’occupation: un bâtiment comme celui-ci, vide! En 1994, l’intervention des forces de l’ordre dégénère, avec des vitrines brisées dans le quartier. En 2007, la préfecture de Police prévient la propriétaire que «les locaux sont susceptibles d’intrusion à tout moment» et lui demande d’entreprendre des travaux pour y remédier. Rien ne sera fait, jusqu’à notre expulsion. Mais quel est le coût pour la société, de toutes ces interventions de police? Au-delà de la responsabilité évidente des occupants, est-ce qu’il n’y a pas carence de la propriétaire?
La Cour d’appel, bien entendu, n’a pas à statuer là dessus. Devant nos documents, elle reconnaît, quand même, que le bâtiment était vide, qu’il ne peut être mis en location dans de courts délais. Que par conséquent, l’indemnité ne peut être fixée en référence au prix du marché locatif. Elle est donc fixée à 8 000 €. En fait, l’ordonnance de janvier, avec ses 25 000 €, n’avait pas dit autre chose: pour 1500m2, le prix du marché locatif place des Vosges est un peu plus élevé que ça. Dans les deux cas, il s’agit donc d’un préjudice moral. Entre 25 000 et 8 000 €, il n’y a que l’arbitraire des juges. Après tout, nous sommes chanceux, on est loin des 42 millions estimés de la moralité de Bernard Tapie.

Une décision surprenante

Cet article a été publié précédemment sur un libéblog tenu par Jeudi Noir.

Les habitants de la Marquise, l’immeuble réquisitionné de la place des Vosges, ont donc été condamnés en appel vendredi, à être expulsés, mais aussi à payer 8 000€ par mois d’occupation. La dette, fortement réduite il est vrai par rapport à la première instance, ne s’élève donc plus qu’à 90 000€.

Le collectif Jeudi Noir pratique la désobéissance civile, et, même si la Cour d’appel de Paris avait d’autres possibilités, la décision d’expulsion en tant que telle n’est pas une vraie surprise: si la loi prévoit bien la réquisition des logements vacants, sans même attendre quarante-cinq ans, c’est bien entendu dans les textes une prérogative réservée à l’Etat. Aux préfets pour être précis.

Mais il y a dans l’arrêt rendu le 22 octobre de vraies raisons d’être surpris, tant ce dernier marque un durcissement clair par rapport à la jurisprudence habituelle.

D’abord, un petit point sur la nature de la décision: les habitants de la Marquise ont été assignés en référé, c’est à dire en urgence. Ce type de procédure est réservé à un certain nombre de situations précises, caractérisées par un trouble manifestement illicite. Les décisions prises en référé sont exécutoires de droit, ce qui signifie que l’appel n’est pas suspensif, et n’ont pas la valeur de la chose jugée. Ainsi,  on peut toujours demander à être juger «sur le fond» même après le rendu de la décision. C’est donc une voie secours possible en ce qui concerne les 90.000 euros que doivent encore les habitants.

En outre, plusieurs juridictions différentes ont estimé1 que, lorsque le droit de propriété n’était pas exercé, la seule occupation ne constituait pas un trouble à l’ordre public et que la procédure de référé ne pouvait être utilisée. Une décision semblable nous aurait permis de gagner du temps avant l’expulsion. Pour autant, la Cour de cassation ayant récemment rendu une décision contraire [2], il y avait somme toute peu de chance que le référé soit abandonné.

La Cour d’appel aurait pu également décider que le droit de propriété —défini par l’article 544 du code civil comme étant «le droit de jouir et de disposer des choses» —ne semble pas remis en question par la présence de personnes dans les lieux puisque la propriétaire n’utilise pas ce bien et ne justifie d’aucun projet immédiat, et partant de ce constat de ne pas ordonner l’expulsion, comme l’a fait un tribunal de Lyon[3].

La jurisprudence la plus classique [4] constate la compétence du référé et ordonne l’expulsion, mais accorde des délais parfois très importants, y compris en appel. Le record en la matière (à notre connaissance) étant un délai de neuf mois accordé après déjà 18 mois d’occupation. Le plus souvent, c’est un délai prévu par l’article 62 de la loi du 9 juillet 1991 qui s’applique.

Dans sa décision de vendredi, la Cour d’appel a supprimé ces délais —pourtant de droit— au motif que nous serions entrés dans les lieux par voie de fait. Là encore, la Cour innove par rapport à la jurisprudence [5]. La voie de fait, issue du droit administratif, n’est pas définie dans le code civil. Il s’agit d’une atteinte violente à une situation légitime. Dans les situations de squat, la justice est attentive à la manière dont s’est déroulée l’entrée dans les lieux ; l’effraction constituant une violence. Or, non seulement les huissiers mandatés par les représentants de la propriétaire n’ont constaté aucune effraction lors de leurs visites des 1er et 5 novembre 2009, mais le rapport de police établi le même jour à la demande du parquet de Paris atteste qu’il n’y a pas eu effraction. A juste titre. Aussi difficile à croire que ça puisse être, nous sommes entrés en poussant simplement la double porte cochère de la rue de Birague, qui n’était pas fermée à clef. Dans ces conditions, il est extrêmement surprenant de parler de voie de fait qui, non seulement permet de supprimer le délai de deux mois de l’article 62, mais également le bénéfice de la trêve hivernale.

Le dernier point, et probablement le plus révoltant de l’arrêt, concerne les indemnités. Bien entendu, on peut voir le côté optimiste de la chose: les avocats de la propriétaire demandant pas moins de 1.200.000 € pour l’année d’occupation, une dette inférieure à 100.000 € est finalement plutôt clémente. Rappelons que, n’étant aucunement en faute vis-à-vis de l’Etat (ce qui relèverait du pénal), cette somme correspond à une indemnité due à la propriétaire du bâtiment. Si les amendes sont là pour sanctionner une faute, les indemnités doivent répondre à un préjudice. Reste une troisième catégorie, l’astreinte, qui est une condamnation au versement de sommes destinées à respecter au plus vite l’exécution du jugement. Dans notre cas, la partie adverse demandait ainsi, en plus de l’indemnité, 1.500 € par jour à compter du rendu de la décision, si nous ne quittions pas les lieux.

Première curiosité: la juge de première instance nous avait condamnés à 3.400€ par mois depuis l’entrée dans les lieux jusqu’à l’expiration du délai de huit jours qu’elle avait également fixé. Au-delà, l’indemnité passait à 25.000 € (par mois toujours). La Cour d’appel a confirmé ce principe d’indemnité évolutive, même si elle l’a réduite à 8.000€ mensuels pour la deuxième période. En revanche, aucune astreinte n’était ordonnée, malgré les demandes des avocats de la propriétaire. En admettant même le principe d’un préjudice, on voit mal en quoi celui-ci augmenterait brutalement huit jours après une décision de justice, en dehors de tout autre élément. Que le préjudice s’aggrave avec la persistance de l’occupation se traduit par une augmentation du montant total, puisque l’indemnité est mensuelle. L’augmentation du montant de l’indemnité devrait donc être justifiée par un préjudice nouveau venant se rajouter au premier. C’est pourquoi le passage subit de 3.400 à 8.000 € s’apparente davantage à une astreinte dissimulée: l’intérêt est qu’une astreinte doit obligatoirement passer devant le juge de l’exécution des peines, tandis que l’indemnité est exigible immédiatement. D’une certaine manière, les avocats de la propriétaire l’avaient bien compris, puisque l’un d’entre eux a déclaré dans sa plaidoirie que 25.000 € n’étaient pas assez dissuasifs, oubliant ainsi que c’est le rôle de l’astreinte, d’être dissuasive, et non pas celui de l’indemnité.

Quant à savoir si 25.000 € par mois, ne sont pas assez dissuasifs, en fait, ils le sont beaucoup trop: le montant est tellement supérieur aux capacités financières des habitants qu’ils ne pourront jamais le payer, alors qu’un montant en rapport avec leurs revenus pourrait effectivement être exigé.

La question de base est donc celle d’un préjudice. Tout court. A suivre…

1) TGI Paris, 4/09/1997 ; CA Versailles, 16/04/2008 ; CAA Versailles, 15/07/2009.
2) CASS, 20/01/2010.

3) TGI Lyon, 16/11/2009.

4) CA Paris, 17/10/1997 ; CA Paris, 01/09/2005 ; CA Paris, 17/02/2006 ; CA Paris, 15/06/2007.

5) TGI Lyon, 28/04/2003 ; TGI Paris, 21/10/2004 ; TGI Lyon, 25/10/2004 ; TI Paris 11, 20/10/2006 ; TI Villeurbanne, 08/12/2009 ; TI Villeurbanne, 07/01/2010.

11 juillet, 10h, Berlin Bethanien

Il n’y avait qu’une place de libre dans le compartiment de six couchettes. Moi qui avais pris l’habitude de voyager seul ou presque dans des espaces de deux lits, je me sens un peu à l’étroit. Assommé par le sommeil, et un peu par la couchette du dessus, je sombre dans le sommeil rapidement. Un couple avec un enfant qui doit avoir un an voyage avec nous. Ils se confondent en excuse sur le bruit qu’il pourrait faire, recommencent après coup à l’arrivée. En fait, l’enfant est très calme, et vu l’état de mon nez, j’ai probablement du les déranger davantage avec mes ronflements.

Après quelques échanges téléphoniques, et vue le nombre de gare à Berlin, nous décidons de nous donner rendez-vous à Alexander Platz. Consciencieux je descends donc à Hauptbahnhof et je m’enfonce dans les profondeurs de la gare. Le bâtiment est gigantesque. Il y a là deux séries de voies qui se coupent plus ou moins à angle droit, à des niveaux différents bien entendu, séparés par quelques étages de commerces. Mon train est arrivé au niveau le plus élevé, sous une verrière aux allures de cathédrales, et on y a une vue plongeante. En bon Parisien, je cherche dans les sous-sols l’accès au métro qui m’emmènera à Alexander Platz. Je me retrouve vite perplexe, avec une seul ligne et deux stations desservies. En fait, le métro est encore en construction et ne rejoindra Alexander Platz que dans une dizaine d’année. Un peu tard pour le colloque Rosa Luxemburg. Finalement, il me faut prendre le S-Bahn au niveau supérieur, sur mon quai d’arrivée, pour rejoindre le lieu de rendez-vous.

Et forcément, Alexander Platz, c’est grand. Je fais le tour des points de rendez-vous possible, la tour de télévision, l’horloge tournante… Pour finalement qu’on se retrouve au McDo du coin. Après un rapide petit déjeuné (Ailleurs, nous n’avons quand même pas pris de BigMac.) nous partons rejoindre l’Exrotaprint, lieu géré par la fondation Rosa Luxemburg où a lieu la conférence sur la gentrification. Margaux, qui va parler au nom de Jeudi Noir, découvre les autres intervenants : un photographe ancien SDF à New-York, et un député de la Knesset. Connaissant les positions de Margaux sur le conflit Israelo-palestinien, j’ai un peu peur qu’elle aborde le sujet et créée le scandale, les allemands étant en plus un peu chatouilleux sur le sujet. En fait, je suis plutôt surpris ; même si elle bout à certains moments, surtout quand l’autre parle de la minorité arabe de Jaffa, même si je ne peux m’empêcher de lui faire les gros yeux, son discours reste toujours très mesuré. Pour le coup, de toute la conférence j’aurai pu dire la même chose qu’elle. Quand on connaît nos divergences politiques, ça s’apparente à une prouesse. La seule différence est au niveau du vocabulaire, car si le fond reste purement Jeudi Noir, la forme est celle d’une trotskiste révolutionnaire. Quand elle prononce « la Lutte continue », elle met une telle majuscule à Lutte que s’en est touchant.

Finalement, le discours du New-Yorkais est le plus intéressant, en tout cas pour moi qui connais par cœur celui de Margaux-Jeudi Noir. C’est assez hallucinant de l’entendre raconter les squats des immeubles MorganChase, et surtout les réactions – positives – des policiers.

Après un rapide repas pris sur place, on se retrouve avec Laetitia, Margaux et Nabila pour suivre la visite du quartier. Autant pour rester ensemble que parce que ça nous semble plus intéressant que des débats à l’intérieur du bâtiment. Malheureusement, cette visite commence par un débat au pied du bâtiment, où l’on nous présente des photos des bars du coin avant et après gentrification. Avec un sentiment de « c’était mieux avant » généralisé, la visite est assez décevante. Pourtant la question se pose réellement.

Le séminaire se termine par une manifestation, retour à Alexander Platz. Comme je ne peux le laisser à Exrotaprint où nous ne retournerons pas, je trimbale à nouveau mon sac de trois semaines. Découragé, je le laisse en consigne à la station de métro, moyennant quatre euros. La manifestation, organisée en fait totalement en dehors du séminaire, proteste contre Mediaspree, opérateur immobilier qui transforme un bon quart des rives de Berlin. Un projet équivalent à Paris serait l’ensemble de l’opération Paris Rive Gauche, et j e me demande s’il y a jamais eu une opposition aussi structurée que ce que je vois là.

La fatigue se faisant sentir dans notre humeur – Il y avait une fête dans le squat accueillant les filles, ce qui bien sur n’est pas le meilleur moyen de se reposer d’une nuit de bus – Margaux, Laetitia et moi-même laissons Nabila qui souhaite continuer à profiter de l’ambiance festive de la manifestation, et nous rentrons à Bethanien, gigantesque squat dans un ancien hôpital de Kreuzberg. En fait, nous avons quelques scrupules, car les allemands ont d’abord acceptés de loger trois filles pour une nuit, et j’arrive maintenant en surplus, pour rester quelques jours, avant d’être remplacé par une cinquième personne… Heureusement que nous avons quelques contacts et que le bâtiment est grand. On nous trouve une place dans la chambre d’ami d’une « colocation » de cinq personnes. Honnêtement, un tel accueil serait très difficile à la Marquise. D’abord pour des raisons pratiques, nous n’avons que très peu d’espace libre en capacité de loger des gens, même temporairement. Mais surtout pour des raisons juridique : ils ont une stabilité qui leur donne plus d’assurance. Il n’y a en réalité pas de squat à Berlin, en tout cas pas au sens où on l’entend en France. Dans les années 90, la municipalité de Berlin a régularisé plus de trois cents lieux avec des contrats d’occupations de dix ou vingt ans. Avec cette stabilité garantie, les occupants ont pu se consacrer à de nombreuses tâches sociales et artistiques. En contrepartie, il est devenu très difficile d’ouvrir de nouveaux lieux, la police expulsant sans ménagement. Et l’échéance des accords implique que les propriétaires essayent de récupérer leurs biens pour profiter de la gentrification en faisant d’immense plus-value. C’est que les prix de l’immobilier sont six fois moins chers qu’à Paris.

Notre logement ne posant plus de problème, nous profitons d’une nouvelle soirée organisée à Bethanien en commandant une bière, elle aussi bien moins cher qu’à Paris : la bière la plus chère est à un euro cinquante le demi. Demi allemand de cinquante centilitre. Nous sortons diner rapidement tous les trois et revenons prendre une dernière bière avant de nous coucher. Assis au comptoir, Margaux et moi nous regardons rapidement : ce soir, nous sommes incapables de finir notre premier litre de bière, et nous abandonnons nos bouteilles entamées. Comme il n’y a qu’une seule clef, Laetitia monte nous mettre au lit avant de redescendre vérifier l’homosexualité d’un des garçons qui sert au bar.

Malgré la chaleur étouffante dans la chambre, nous nous endormons rapidement et sommes à peine réveillés par le retour de Laetitia. Finalement, mon portable vibre qui nous réveille. C’est le signal, Nabila souhaite qu’on lui ouvre la porte. On l’attendait en fin de soirée, le portable marque neuf heures trente, qu’importe. Je le coupe et descend lui ouvrir.

Personne. Je rouvre la première porte, monte au premier étage, ouvre la deuxième porte, monte encore deux étages, ouvre la troisième porte et entre enfin dans l’appartement. Malgré tout, les squats se protègent. Un peu énervé, je rappelle Nabila (Oui, j’avais laissé mon téléphone en haut) pour lui dire que je l’attends. Et je redescends.

Après quand même quelques instants, Nabila, qui s’était éloignée pour prendre un café et fumer une clope, revient. Elle doit sentir que je suis énervé. Je lui explique qu’on aurait bien aimé avoir de ses nouvelles, savoir ce qu’elle faisait de sa nuit, ne pas s’inquiéter… On se pose sur un banc dans le parc, désert, il n’y a que de la végétation autour de nous, et on discute. Elle me raconte sa nuit, qu’elle a suivi un français de la conférence dans un bar où ils passaient de la musique algérienne, qu’elle a dansé, longtemps, que les gens ont vu qu’elle était Algérienne à sa manière de danser, qu’elle a pu parler Arabe – Ah, le plaisir de parler une langue qu’on n’a pas employé depuis longtemps – Je la regarde, je l’écoute, je la dévore des yeux. Elle est tout ce que je veux être : libre, décomplexée, enjouée. Elle est exubérante, elle est extravertie. On ne peut pas ne pas la voir, par sa beauté, mais surtout par son caractère. Et sa nuit continue, après le bar algérien, elle est allée dans un squat punk, pour danser, toujours. Soudain je l’embrasse. En fait, je pose un baiser sur ses lèvres. Elle à l’air surprise : « Tu as envie de m’embrasser ? » Alors on s’enlace. Et c’est merveilleux. Disons le tout de suite, il n’y a rien de sexuel là dedans. Je ne sortirai plus avec elle, et je le sais. Mais justement. Quand j’ai couché avec elle, quand nous avons fait l’amour comme elle me reprend, il y avait l’attrait de la nouveauté – pour moi – il y avait les aspects techniques, il y avait mes questions. Tout ne se résout pas en une seule fois.

Tandis que là, il n’y a que nous deux, une plénitude. Rien n’existe plus, même pas l’avenir, la seconde suivante. On reste assis côte à côte, le corps tourné, dans les bras l’un de l’autre. Elle a le goût du sel, de sa sueur, elle a dansé toute la nuit. Elle est sale, d’ailleurs je vois les traces noires de sa sueur le long de ses cuisses. Mais qu’importe, j’ai les mains dans son dos, dans sa nuque, dans ses cheveux, et elle m’enserre.

Et puis, il a fallu remonter. Elle est partie se coucher, Laetitia et Margaux ne sont pas encore levées. Dans la cuisine d’un appartement où tout le monde dort encore, j’écris mon carnet, un carnet de voyage.

09 juillet, 22h, München Hauptbahnhof

Finalement, il n’y a plus de train direct pour Berlin. En partant après dix-huit heures, il semble que même les ICE arriveraient au milieu de la nuit. Je me rends donc au Reisezentrum de la gare, où ils m’indiquent le train de nuit. Pour dix euros de plus, je prends donc une couchette et arriverait demain à neuf heures à Berlin. En fait, il paraît qu’un idiot s’est suicidé sur les voies et que des trains ont du être annulés. Sans lui, j’aurais pu être à Berlin ce soir.