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Difficile de reprendre le fil d’un récit après ce temps. C’est que les jours à Berlin étaient bien occupés, et surtout que le retour en train, la nuit principalelent, ne m’a pas laissé le temps d’écrire. J’ai dormi.

Quand je pense que je pensais être malheureux, jouer la comédie pour faire bonne figure, tout en pleurant aux toilettes… C’est qu’alors je croyais aimer Julie ! Quelle erreur. Mais surtout, je pensais l’aimer toujours, à vie. Ne connaître qu’elle, ou plutôt ne pas la connaître mais rester l’amoureux transi. Mon fatum ne pouvait être qu’un roman.

Je me suis trompé, mais quelle joie ! Pleurer dans les toilettes, faire bonne figure, allons donc ! Je ris, je danse, mais du fond du cœur, avec la sincérité du bonheur partagé. Quelle idiotie de vouloir souffrir parce que ce serait beau.

Tu as beau être une dangereuse gauchiste, je crois que tu es plus diplomate que moi.

L’angoisse d’avant procès est assez étrange, je ne peux même pas dire qu’elle soit intense, certains examens ou rendez-vous l’étaient bien davantage, mais elle monte, lentement, doucement. Cela fait plusieurs mois que l’on connait la date, qu’on rassemble les pièces… C’est peut-être ça, en fait, qui me fait trouver l’angoisse moins intense : pour mes examens, je n’étais jamais prêt, avec la certitude que ce que je présentais était mauvais, pas terminé. Là, jamais nous n’avons eu d’aussi bonnes pièces. Pas sur le point de l’occupation en fait, mais sur la mauvaise fois des avocats adverses. La déception sera peut-être d’autant plus importante, mais je ne conçois véritablement pas comment des mensonges purs et simples ne seraient pas un minimum sanctionnés par les juges. Bien entendu, d’un point de vue strictement juridique, c’est nous qui sommes en tort, par l’occupation d’un bien qui ne nous appartient pas. Mais le discours scandaleux de l’intimidation d’une vieille dame endettée chassée de chez elle, alors qu’elle est la seule responsable de ses dettes et qu’elle n’a jamais vécu dans le bâtiment devrait vraiment se retourner contre ceux qui l’ont tenu.

N. Tu voulais que j’écrive sur toi. Je ne pensais pas le faire dans ces conditions. Je me souviens, je t’expliquais que j’avais écrit pour fuit la réalité, et qu’avec toi je vivais pleinement, sans le besoin de m’épancher.

Petit garçon, où vas-tu ?
Petit garçon, où cours-tu ?
Tu as encore fait pipi dans ta culotte ?
Tu veux quelqu’un pour te changer ?
Tu veux quelqu’un pour te consoler ?
Il n’y a personne.
Personne.
Ton père, Dieu que tu idoles,
Ne descend pas sur terre.
Ta mère, elle ne peut comprendre.
Elle ne sait pas.
Petit garçon, où vas-tu ?
Petit garçon où cours-tu ?
Il n’y a rien devant toi,
La cour est vide à présent.

Je me laisse fatalement emporter dans ces histoires, dans ces romans. Et puis il y a toujours la réalité qui surgit, la petite réalité mesquine – pas toujours mesquine, pourtant. Vous me voyez arrivant en retard, dans cette petite salle informatique de Créteil « Excusez-moi, j’étais avec Cavanna, à chercher son amie Maria du coté de Stettin, en pleine débâcle allemande. » J’aurais eu l’air de quoi ?

J’avais l’air…

Elisso est Géorgienne. On ne peut pas vraiment dire qu’elle soit jolie, mais il faut la voir en costume traditionnel. Pour la soirée de l’école elle a sortie un ensemble dont la plus récente des pièces devait avoir a moins cinquante ans et la plus ancienne deux cents. Elle était accoudée à la table, fumant son cigare pendant qu’elle racontait ses souvenirs de géorgie. Son oncle s’amusait à tirer à la kalachnikov au-dessus d’elle lorsqu’elle jouait du piano, ce qui faisait évidemment tomber les plâtres du plafond. J’étais surpris de la voir fumer car elle a l’habitude de priser, un tabac géorgien dont elle fait venir un plein paquet tous les ans. Elle porte toujours sur elle une petite boite cylindrique qui ressemble à s’y méprendre à une boite à shit, remplie d’un poudre noire plutôt suspecte. J’attends avec impatience le moment où elle se fera contrôler par la police. Une étrangère porteuse de poudre… Elle fera connaissance avec l’hospitalité coutumière de la police française. Ce qui pourrait arriver plutôt que prévu d’ailleurs puisqu’Elisso boit comme un trou et fume comme un sapeur. Ca ne l’empêche pas, en bonne orthodoxe, de préparer Noël par la pénitence de l’avent. Elle se prive de tout ingrédient issu d’un animal. Viandes, poissons, œufs, évidemment, mais aussi lait, beurre, huiles animales… Elle fait malgré tout relâche le samedi et le dimanche, et c’est alors un plaisir que de la voir se goinfrer des plus gros steaks qu’elle trouve. L’inconvénient de cette orthodoxie, c’est le décalage des dates de Noël et du nouvel an. Alors qu’après le 25 décembre, nous croyons être débarrassé de ses exigences qui peuvent être délicates à assumer au restaurant, nous en avons repris jusqu’au Noël orthodoxe, à la mi-janvier. Car lorsqu’Elisso jeûne, et bien qu’elle se moque de notre propre consommation, ses récriminations continuelles, ses vérifications poussées sur la qualité des aliments sont parfois troublant pour qui n’a pas l’habitude. Un jour advint qu’après l’école nous nous sommes dirigés vers le restaurant de Maurice, la véritable cantine du quartier. La réception qui s’apprêtait à être homérique fut assez fraîche. A la vérité, on ne le dut pas au régime particulier qu’elle s’imposait, mais plus probablement aux bouteilles renversées, et aux raffut qui accompagna notre installation aux tables serrés du restaurant. Il fut dire que nous avions préalablement fait escale dans un bar voisin où nous avions ingurgiter force bières et alcools de toute sorte.

Ce qui me sépare d’Antoine, c’est au fond la question de Dieu. Aucun de nous ne peut se déterminer à appartenir a une quelconque religion ou mouvement, même si j’ai une sensibilité lus grande que la sienne sur le sujet. La vrai rupture, nous l’avons découverte en discutant de ce que serait dieu si l’on tient son existence pour acquise. Alors que, dans la formule Dieu fait homme, je considérais que dieu était les hommes dans leur ensemble, c’est-à-dire l’humanité, Antoine prétendait au contraire que dieu était chaque homme dans son individualité. Ce qui se cache derrière cette question est en réalité le problème de l’intérêt général confronté aux intérêts particuliers, et plus particulièrement de savoir si la somme des intérêts particuliers font l’intérêt général. Mais la dissociation des deux, que j’estime étant philosophiquement meilleure, remet en question le fondement de la démocratie.