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Tout le monde croit avoir raison, il n’y a que moi qui en sois sûr.

Je me souviens d’un lever de soleil dans le froid du désert, près des sources de l’Oronte. Mes compagnons de voyage dormaient encore, et, fait rare de ce voyage au Liban, j’étais seul dans le silence du Monde.

Après les fastes de la soirée et les angoisses de la nuit, tous dormaient. Seul, je veillais et le soleil encore sous l’horizon ne pouvait me réchauffer. Enveloppé dans une couverture, assis parmi les pierres, je n’avais autour de moi que le rouge rocailleux du désert. Pour une fois je pouvais écouter le silence.

Dieu est amour, mais si Dieu est amour, alors l’Amour est dieu, et aimer devient ainsi un acte divin, et ce que je révère en Marie n’est pas seulement ce corps charnel, mais une incarnation terrestre de la volonté divine. Ainsi, l’alliance nouvelle entre Dieu et les hommes sera l’alliance de mon corps a celui de Marie, et seule cette union me permettra de trouver la force nécessaire de prêcher… Mais si elle se refuse à moi…

_Ce serait vraiment pratique de la croire, hein ? Te voilà libéré de toute culpabilité ? Bon sang mais c’est bien sûr ! Si tu te branles tant que ça, ce n’est pas pour assouvir tes perversions, mais c’est une réaction d’autodestruction face à son refus ? Tout ça, c’est de sa faute à elle ? Voilà à quoi te sert toute la psychiatrie que tu ingurgites, à te donner bonne conscience ? Tu continues à te masturber tous les soirs, mais va, Ego te Absolvo, c’est de sa faute à elle si tu regardes des femmes enceintes se faire prendre par tous les trous…
_Arrête ça !
_Pourquoi ? Où est le problème ? Dans cette société de l’image, Môssieur à peur des mots ? Il suffit de quelques évocations sordides pour que tu sois tout chamboulé ? Tu crains les mots, mais tu n’as pas peur des images, hein ? Tu crains l’idée, mais… Tu en profites bien dans les actes… Réfléchis, Jacques… Qu’est-ce qui fait le plus de mal ?
_Vous vous trompez, monsieur… Vous vous trompez deux fois… Si j’ai peur des mots, je crains encore plus les images. Qu’en savez vous, vous ?… Avez-vous seulement vu ce que j’ai vu ? C’est facile de sortir des grands mots, des phrases vulgaires, ou je ne sais quoi… Qu’est-ce que cela évoque pour vous ? Vous trouvez ces pratiques monstrueuses, monstrueuses ces images et monstrueux les hommes qui les regardent… Vous avez raison. Moi aussi, je trouve ça monstrueux. Mais savez-vous quel effet ça fait d’avoir vu ces images ? Vous pensez à votre bien-aimée le soir, et ce sont des cadavres éventrés qui vous accueillent… Vous croisez un enfant dans la rue, et ce sont dix, quinze enfants nus qui vous poursuivent… Imaginez vous avoir peur des enfants… Un petit garçon, une petite fille qui vous regarde en souriant, parce qu’elle ne sait pas que vous êtes un monstre… Il n’y a rien de plus cruel que le sourire d’une petite fille… Ce sont toutes ces images qui me font peur… Quand vous parlez de ces choses, ce sont ces images-là qui me reviennent… Je sais, oui… Je suis le coupable et c’est le monde entier la victime… Ne croyez pas que je cherche votre pitié, je ne la mérite pas. Mais là où vous vous trompez le plus, c’est quand vous m’accusez de la tenir pour responsable. Comment pourrait-elle l’être ? Elle a l’innocence même de sa culpabilité sereine. Elle peut faire souffrir, oui, mais involontairement… Et je suis sur qu’elle souffre de faire souffrir… Quand elle s’accuse, son seul but est de paraître moins désirable à mes yeux. Et vous, vous pouvez bien raconter ce que vous voudrez, vous n’atteindrez pas mon idéal…
_C’est vrai, oui, j’oubliais que vous l’aimez
_Oui, je l’aime… Ca s’entend aux majuscules que je laisse autour d’elle… Et vous-même, monsieur, malgré votre mépris apparent, qu’est-ce qui vous fait me vouvoyer ? Est-ce son évocation, ou est-ce mon amour ?… Non, ne répondez pas, ça ne peut être elle que vous vénérez ainsi…
_Je vous laisse à vos illusions, monsieur. Votre amour non plus ne sort pas de l’ordinaire…

Mon Père, qu’ai-je fait de moi-même ? Seule votre infinie bonté peut me permettre la rédemption… Oui, Vous êtes, Vous êtes Amour et Vous êtes Pardon… Mais pourrez-vous jamais pardonner de tels actes ? Ai-je le droit de me tourner vers la justice divine quand j’échappe à la justice des hommes, et d’en implorer la grâce ? Bénissez moi, Seigneur, car j’ai péché. Et je suis là à gémir comme un malheureux, à Vous demander grâce ou je ne sais quoi… Mais qu’ai-je le droit de demander encore ? « Aide-toi toi-même et le Ciel t’aidera. » Je ne peux rien attendre de Vous, car Vous m’avez déjà tout donné, et je n’ai plus qu’à venir à Vous pour trouver l’apaisement… Mais je veux vivre aussi et pour cela ne peut m’adresser qu’à moi-même.
Mais quoi que j’aie fait, je n’ai pas le droit de souffrir, car il ne Vous plaît pas qu’on souffre ! Mais je ne peux oublier Marie, je voudrais l’aimer par Vous, pour Vous… Tous les moyens sont bons pour m’en faire aimer, et je suis prêt même à me donner à d’autres, si cela pouvait servir… Hélas, tout ne sert à rien quand il s’agit de Vous. Car il s’agit bien de Vous dans ce corps si beau et si humainement imparfait. Et je ne pourrais trouver le repos que par Vous ou par Marie, et j’aime Marie. Me pardonnerez-Vous cela aussi ?
« Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. » Je croyais pouvoir pardonner à tous leurs péchés, car c’est la seule voie de salut, mais je ne suis pas sauvé pour autant. Celui qui a commis l’indicible, sauvé sans les autres, parce que lui leur a pardonné, elle aurait été drôle… Il m’est facile de pardonner aux autres car eux n’ont rien fait, mais je ne peux me pardonner à moi-même, je ne peux vivre sans mon péché, je ne peux être heureux sans scrupule… Et pourtant là est mon salut, il passe par ma réjouissance terrestre.
Oh, je m’embrouille, tous ces mots viennent dans ma tête plus vite que je ne peux les dire, et tous ont la même importance. Je pense à la Perfection, à l’Unique, et j’entends ces bruits curieux qui ne semblent avoir aucun sens ! Il n’y a pas de salut par la parole, il n’y en a pas par l’écriture, et la prière seule me reste. Je suis au début de ma vie, de ma nouvelle vie, et je ne peux pas communiquer. Il me semble que Vous m’avez accueilli parmi Vous, que je ne suis qu’Un avec Vous… Mais si je Vous ai compris, si je suis une partie de Vous, que fais-je encore ici ? Je n’ai pas la force de parler, je ne peux aimer…
Je ne sais si ces mots sont grâce ou folie, ni s’ils me mènent à mon salut ou à ma perte, mais je crois en eux. Sans eux, je vais à ma perte par mon corps ; avec, je peux obtenir le salut.

Ai-je le droit d’être heureux ? Non, j’en ai le devoir. Ai-je le droit d’avoir une vie normale ? Là encore, j’en ai le devoir. C’est – mais c’est vrai – le seul moyen pour moi de ne pas retomber dans mes péchés. Je suis en quelque sorte un fils prodigue. Pourtant, je ne dois pas vivre dans le secret et quel accueil auront mes révélations ? Tout le monde ne réagira pas comme mes amis scouts… En vérité, le problème n’est pas là et je peux être heureux sans me préoccuper de certains qui pourront me rejeter.