8h15, un SMS me prévient de la perquisition

12314091_899582330136986_5359725128136582020_n8h15. Pendant que je prends mon café, un SMS m’alerte : des dizaines de CRS à l’Annexe, sur le toit et dans la rue.

Ce n’est pas totalement une surprise, après les perquisitions au Massicot et au Moulin, à Ivry, hier soir, et surtout après les assignations à résidence de juristes et militants liés à la coalition climat, mais tout de même. L’Annexe, au Pré-saint-Gervais, ils ont une réputation de Bisounours. Il faut chercher ailleurs les Black blocks… Les habitants ont même signé un accord avec le propriétaire, qui est tombé des nues quand ils lui ont annoncé l’opération.

J’essaye d’avoir plus d’information par téléphone, mais bien entendu plus personne ne répond. Je décide d’aller voir sur place.

Bien avant d’arriver sur place, je croise deux gendarmes, mitraillettes en bandoulières, à un angle de rue. Je passe sans rien dire. À la rue suivante, deux autres gendarmes me demandent où je vais. J’explique que je vais voir un ami, ce qui leur suffit. Ils faut juste que je marche sur le trottoir de droite.

Plusieurs camionnettes de gendarmerie sont stationnées devant le bâtiment, mais le gros du dispositif n’est pas là. Je m’approche, mais suis rapidement repoussé jusqu’au pâté de maison suivant.

J’ai pu passer sans problème, mais en théorie toutes les rues du quartier sont bloquées, même pour les piétons. De nombreuses mères de familles, avec leurs poussettes, sont obligées de faire des détours, même pour s’éloigner du lieu… D’autres passent sans trop de problème, avec la même consigne de ne pas changer de trottoir. Même pas de discrimination là-dedans, juste une grande désorganisation et des ordres contradictoires. J’essaye tant bien que mal de rassurer les passants qui demandent ce qui se passe. Il faut dire que le gendarme en charge fait tout l’inverse « c’est une opération en lien avec les évènements, nous sommes là pour vous protéger. » C’est sur que ça doit être rassurant de voir son quartier quadrillé par des hommes en armes.

Pour les voitures, de toutes façon, la dizaine de véhicules banalisés de la police bloque tout passage, ce qui énerve les voisins, d’ailleurs. Le camion de déminage bloque un homme devant aller au travail. Il s’énerve tellement que j’ai peur qu’il se fasse embarquer, mais non. Il décide finalement de partir au travail en transport en commun. Un bon point pour l’environnement. Une journaliste de l’AFP s’enquiert de la situation auprès d’un gendarme, puis s’en va et passe sans s’arrêter devant les soutiens et habitants qui patientent. Au moins, le journaliste de Médiapart aura la décence de leur demander un témoignage une fois l’opération terminée.

Une partie du dispositif, à 500m du bâtiment

Une partie du dispositif, à 500m du bâtiment

Petit à petit, un groupe se forme et nous sommes une dizaine à attendre à l’angle de la rue. Trois habitants qui étaient partis travailler avant l’intervention sont revenus et se présentent aux forces de l’ordre. Ils sont séparés de nous, contrôlé et aligné contre le mur d’en face, toujours surveillés par des gendarmes l’arme en bandoulière.

Une voisine, dont la voiture est également bloquée par le dispositif, s’approche d’un gendarme pour avoir des infos, puis discute quelques temps avec nous. À ce moment, ordre est donné de nous encadrer pour procéder à un contrôle d’identité. Elle se retrouve avec nous bien malgré elle quand nous rejoignons les trois habitants sur le trottoir d’en face.

Les femmes ont même droit à une palpation de sécurité et fouilles de leurs sacs par une policière. Curieusement, les hommes ne sont pas concernés. On ne me demande même pas d’ouvrir le sac que je porte en bandoulière. Pourtant, ce n’est pas le nombre de policier qui manque pour s’occuper de nous ! Nous sommes néanmoins filmés sous toutes les coutures par deux personnes, le visage dissimulé par une écharpe. J’essaye de faire le selfie ‪#‎FiersdelaFrance‬ avec l’écusson d’un CRS, mais il ne veut pas. On ne peut plus compter sur la police, dans ce pays…

Nous patientons ensemble dans le froid la fin de l’opération. Les soutiens continuent à arriver, avec des pains au chocolat, qui sont soigneusement examinés par la gendarmerie. On plaisante sur « l’attroupement interdit » qu’ils nous obligent à former. Petit à petit, la police sort du bâtiment. D’abord les deux chiens et leurs maîtres, puis une grosse escouade de civils, qui s’en vont visiblement préparer une nouvelle perquisition ailleurs.

Une impressionnante quantité de CRS sort ensuite et s’aligne en colonne dans la rue. En plus de leurs protections habituelles, ils portent des protections blindées pliantes et des armes d’assaut type FAMAS pour certains. Enfin, la musique retentit aux fenêtres tandis que les derniers civils en gilet pare-balle sortent du bâtiment, et nous sommes autorisés à rejoindre nos amis à l’intérieur, un peu plus de deux heures après le début de l’opération. Finalement assez court pour fouiller un bâtiment de près de 2500m2.

L’heure est au bilan à l’intérieur. La motivation officielle est le soupçon de troubler l’ordre public pendant la COP21. Le responsable sur place de l’opération reconnait qu’il ne connaissait même pas le bâtiment il y a deux jours. Première certitude, les policiers n’ont embarqué personne, n’ont assigné personne, et fait signer un papier disant qu’ils n’avaient rien trouvé. On vérifie quand même que rien n’ait disparu, notamment le matériel informatique, mais tout semble là. Certaines chambres n’ont même pas été visitées !

La porte d’entrée a bien entendu été fracturée, et quelques meubles renversés à l’intérieur. Plus surprenant, dans la pièce qui accueille une petite salle de répétition, le rideau de scène a été consciencieusement lacéré au cutter. Il suffisait pourtant de passer par le coté ! Ce qui a le plus attiré l’attention des forces de l’ordre était visiblement le grand calendrier des évènements prévus de la COP21…

Au final, près de 250 gendarmes, policiers de différents services ont été mobilisés pour cette opération. De quoi sérieusement remettre en question l’argument que les forces de l’ordre ont autre chose à faire que d’encadrer des manifestations. Après tout, on autorise bien les spectacles, rencontres sportives…

On peut s’étonner des motifs de cette perquisition, et des autres identiques. On est très loin de l’antiterrorisme. Faire peur ? S’il y avait en effet quelques personnes prêtes à braver l’interdiction de manifester, leur détermination n’en est que renforcée. Et d’autres, alertées par ces gesticulations de la police et du gouvernement, les rejoindront, bien au delà de « l’ultra gauche » crainte.

Je ne m’en fais pas pour mes amis, qui pour la plupart en ont vu d’autre. Mais pour ceux qui n’avaient jamais eu affaire à la police, et notamment les populations musulmanes ou assimilées, qui souffrent déjà des discriminations et des rétorsions de certains, quel effet peut faire ces perquisitions ? Entendra-t-on un jour ces analystes parlant, non seulement du bilan nul sur le plan opérationnel de ces perquisitions déconnectées des attentats, mais de l’effet contre-productif accentuant les tensions ?

Edit du 28 novembre 2015 : Courte vidéo prise à l’intérieur pendant la perquisition :

Non, monsieur Eckert, vous n’êtes pas victimes « d’attaques d’une violence incroyable » !

1024px-Fleurcup_and_tamponsNon, M. Eckert, vous n’êtes pas victimes « d’attaques d’une violence incroyable » !

Naïvement, je pensais que la violence incroyable, c’était quand toutes les femmes se faisaient harceler dans les transports, dans la rue, au travail ou à l’université. je pensais que la violence, c’était les 83 000 viols de femmes chaque année. Que c’était quand l’État nie les viols en les correctionnalisant. Que c’était quand une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint.

Mais non, la violence, la vraie, c’est que des femmes osent interpeller un ministre (sur Twitter !)

Vous faites, parait-il, les courses pour vos filles et votre femme. La belle affaire ! Mais rappelez-vous que toutes n’ont pas un ministre comme père ou mari. Rappelez-vous que les hommes gagnent en moyenne 36% de plus que les femmes1 !

Oui, cette diminution de la TVA n’entraînerait qu’une baisse limitée à 30 à 50 centimes par paquets. Limitée, mais non négligeable. C’est ce principe qui a conduit à la baisse de la TVA sur les préservatifs.

Même cette chose minuscule (0,15% du CICE) est refusée ! Pourtant, malgré les positions de principe, les périmètres des taux de TVA varient chaque année. Quand ce ne sont pas les œuvres d’art qui passent de 10 à 5,5%, c’est la TVA sur les rencontres sportives qu’on créé. Qu’on créé, mais en supprimant deux impôts existants, histoire que les clubs en sortent gagnant, ce que vous même avez reconnu.

Vous avez reçu 25 tweets. « Le poids du lobbying » s’exclame une députée. On voit le résultat ! Il est clair que l’UEFA ou la ligue de football ne passent pas par Twitter pour n’être taxées qu’à 5,5%. Mais nous ne lâcherons pas. Les réactions suite au refus du gouvernement, dépassant de très loin tout ce qu’on aurait pu imaginer, montre l’importance du sujet. Ce n’est pas un lobby, c’est la moitié de la population française.

(1) Pour M. Eckert, c’est plutôt 445% de plus…

Samaritaine, Fondation Louis Vuitton. L’architecture et le droit

La récente annulation du permis de construire de la Samaritaine est pour moi l’occasion de revenir sur les péripéties de la fondation Louis Vuitton récemment inaugurée. Les points communs sont assez nombreux puisqu’on y trouve à chaque fois les intérêts de la mairie de Paris et de LVMH, confrontés à des associations de riverains particulièrement tenaces. Querelle des anciens contre les modernes ? Comme toujours, c’est peut-être plus nuancé.

Remontons donc quelques années en arrière, quand la fondation Louis Vuitton a fait appel à l’architecte-star Franck Gehry pour construire un musée sur les terres du bois de Boulogne.

Le 8 avril 2007, la mairie de Paris accorde donc par un arrêté, le permis de construire du bâtiment. Très rapidement, une association forme un recours au tribunal administratif contre cet arrêté, ce qui est la voie classique du recours dans ce cas. Ce qui est moins classique, c’est que la même association avait auparavant attaqué le nouveau règlement d’urbanisme, adopté en juin 2006. Elle est bien déboutée par le tribunal administratif en août 2007, mais qu’à cela ne tienne, elle fait appel.

En février 2009, la cour administrative d’appel réforme le jugement et annule l’ensemble du règlement d’urbanisme de la zone N, celle qui concerne le bâtiment. Dans ce cas, c’est le règlement précédent, le POS, qui redevient le texte de référence. Ça commence à sentir le roussi, car évidemment l’architecte n’a pas basé son projet sur un règlement alors abrogé. C’est au tour de la mairie de Paris de faire un pourvoi devant le Conseil d’État.

En juin 2010, le Conseil d’État valide le raisonnement de la cour d’appel, en en limitant la portée aux seuls articles N6 et N7 du règlement. Le tribunal administratif peut donc dès lors statuer sur la conformité du permis de construire à un texte abrogé au moment de son élaboration…

Et, en janvier 2011, le tribunal administratif annule le permis de construire. Là, ça devient la panique chez les promoteurs du projet. Dans un élan d’union nationale après le douloureux souvenir de l’abandon du projet de Tadao Ando sur l’île Seguin, gauche et droite s’allient pour tenter de sauver le soldat Vuitton. Quelques jours après la décision du tribunal, un article est inséré dans la loi sur le prix du livre numérique :

Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validés, à la date de leur délivrance, les permis de construire accordés à Paris en tant que leur légalité a été ou serait contestée pour un motif tiré du non respect des articles ND6 et ND7 du règlement du plan d’occupation des sols remis en vigueur à la suite de l’annulation par le Conseil d’État des articles N6 et N7 du règlement du plan local d’urbanisme approuvé par délibération des 12 et 13 juin 2006 du conseil de Paris.

Le nombre de permis concernés par cette loi ? Un seul. La séparation des pouvoirs législatif et judiciaire ? Mais voyons, la ville de Paris a fait appel, la décision n’est pas définitive, il n’y a pas de problème… Le lien entre le prix du livre numérique et la construction d’un musée ? euh…

Évidemment, l’association dépose immédiatement une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil Constitutionnel. Lequel valide l’article, alors qu’on l’a connu plus sourcilleux sur les cavaliers législatifs. Mais « La disposition contestée répond à un but d’intérêt général suffisant ».

La cour d’appel administrative se paie alors le luxe de critiquer très sévèrement le conseil Constitutionnel dans cinq considérants qui rappellent le droit à un procès équitable et considèrent comme inapplicable une validation législative d’un permis de construire. Elle valide toutefois le permis de construire du bâtiment, en juin 2012, soir plus de cinq ans après son dépôt.

 Qu’est-ce que nous apprends cette histoire sur l’architecture ? D’abord, qu’on a tort d’en faire des héraut de la liberté architecturale. La fondation Louis Vuitton, tout comme le projet de la Samaritaine, sont des projets aux enjeux financiers énormes qui dominent toute la réflexion architecturale. Ils trouveront toujours des soutiens de poids hors de portée même d’architectes bien établis.

Ensuite, elle dit la difficulté de faire un bon règlement d’urbanisme. Si les articles ont été annulés dans le cas de la fondation Louis Vuitton, c’est qu’ils se contentaient de prescrire « une bonne insertion », demande trop floue pour avoir une valeur règlementaire. Et si le permis de construire de la Samaritaine est annulé, c’est toujours cette « insertion » qui pose problème. Il saute aux yeux que le projet ne respecte pas les matériaux ou les volumes de la rue de Rivoli. Est-ce un problème architectural en soi ? Non, l’architecture passe aussi par le jeu de contraste. Est-ce que les juges administratifs sont des vieux réacs qui sacquent un bâtiment par amour des vieilles pierres ? Non plus. Ils sont simplement contraints par le règlement d’urbanisme adopté par la ville de Paris.

Si l’on veut plus d’innovation en architecture et en urbanisme, il faut avant tout que les architectes s’emparent de ces questions au niveau politique et ne restent pas passifs devant les règlements qu’on leur impose. C’est un travail qui doit se faire en amont du projet architectural. Ne soutenir les très grands projets qui bénéficient de circonstances exceptionnelles, voire de passe-droit, ne sera qu’un leurre.

Lettre ouverte aux Sénatrices et Sénateurs

Madame, Monsieur,

Vous allez examiner demain une proposition de loi tendant à préciser l’infraction de violation de domicile. Ce texte, issu des travaux de la commission des Lois, modifie l’article 226-4 code pénal pour faire du maintien au domicile une infraction continue donnant aux forces de l’ordre les moyens légaux découlant de la flagrance tant que dure l’occupation.

Dans sa rédaction actuelle, le texte ne modifie pas la notion de domicile précisée par la jurisprudence depuis son introduction dans la loi en 1832. Cette notion couvre déjà l’ensemble des lieux où l’on peut se dire chez soi, qu’on y habite ou non, quelque soit le titre d’occupation. Par exemple, une maison de vacance ou laissé vide suite à un séjour à l’hôpital est un domicile protégé. De même, les locaux professionnels sont protégés, tant qu’ils sont utilisés. Les militants de Greenpeace sont notamment condamnés pour violation de domicile lorsqu’ils pénètrent dans le parc de centrales nucléaires.

Ce que la notion de domicile ne protège pas, ce sont les locaux ou terrains vacants. En effet la jurisprudence constante de la Cour de Cassation estime que l’article 226-4 n’a pas pour objet de garantir d’une manière générale les propriétés immobilières contre une usurpation. (Cass. Crim. du 30 octobre 2006, Bull. Crim. 2006 n° 261, Cass. Crim. du 26 juin 2002, Cass. Crim du 22 janvier 1997, Bull. Crim. 1997 n°31)

Dans le cadre de la violation de domicile, au-delà des sanctions pénales susceptibles d’être prononcées, l’article 38 de la loi DALO permet d’expulser tout occupant sur simple plainte et après un délai de seulement 24h. Il n’apparaît pas anormal que l’occupant légitime puisse retrouver son domicile rapidement.

Dans le cas des locaux vacants, la procédure civile permet d’obtenir l’expulsion en quelques semaines, en respectant le droit fondamental à un procès équitable.

En effet, devant l’impossibilité de respecter l’obligation d’hébergement de l’État, (article L 345-2 et suivants du code de l’action sociale et des familles), hébergement reconnu comme liberté fondamentale par le Conseil d’État (CE, 10 février 2012), de nombreuses personnes sans autres solutions se réfugient dans des locaux vacants pour y habiter. Ces occupations sont d’ailleurs soutenus par de nombreux élus de tous bords comme Etienne Pinte, ancien député-maire UMP de Versailles.

L’amendement n°2 de Mme Bouchart aurait pour effet de transformer tous les locaux vacants en domiciles fictifs du simple fait de leur occupation aux fins d’habitation. Le but est évidemment de pouvoir expulser sans décision de justice. Il est peu probable en effet, face à la misère humaine, que les sanctions pénales soient de nature à effrayer le sans abris au seuil d’un bâtiment vide.

L’amendement n°3 permettrait au maire d’une commune de se substituer au propriétaire du bien pour demander l’expulsion. La commission des Lois s’est justement interrogée dans son rapport sur le risque de voir la responsabilité du maire engagée, notamment en cas de saisine abusive, en l’absence d’information du propriétaire.

Ces deux amendements ne résoudront aucun des problèmes qu’ils prétendent résoudre. Au contraire, en multipliant les phases d’ouverture et d’expulsion, on va multiplier les risques de trouble à l’ordre public. Une fois expulsés, les sans-abris iront ouvrir un autre bâtiment pour s’abriter. Ce ne sont pas les occupations de locaux vacants le problème, mais bien la présence de sans-abris.

Par ailleurs, la constitutionnalité de ces amendements est douteuse. En effet, dans sa décision 2011-625 DC, le Conseil Constitutionnel a considéré qu’un délai de 48h pour déposer un recours suspensif avant une expulsion ne saurait, en l’espèce, constituer une garantie suffisante pour assurer une conciliation qui ne serait pas manifestement déséquilibrée entre la nécessité de sauvegarder l’ordre public et les droits et libertés constitutionnellement garantis.

Une nouvelle loi antisquat, pourquoi faire ?

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L’entrée d’un squat, en 2009

Après de nombreuses tentatives plus ou moins avortées, voilà que le Sénat, nouvellement repassé à droite, se précipite pour mettre à l’ordre du jour une proposition de loi visant à faciliter l’expulsion des squatteurs de domicile. Dès le titre, en fait, on sent que la confusion est savamment entretenue en les squatteurs, qui occupent des locaux ou logements vides, et les quelques cas de violations de domicile qui peuvent être recensés.

Cette impression est largement renforcée à la lecture de l’exposé des motifs, qui en plus révèle une méconnaissance des dispositions légales existantes. Examinons :

L’amplification des occupations illicites de domicile ne peut laisser indifférent le législateur.

Si l’on parle des squats au sens commun, il est difficile d’obtenir des chiffres précis. Plus qu’une augmentation, on constate une concentration géographique des squats, liée à une répression qui cible en priorité les quartiers aisés pour repousser les squats dans les parties pauvres. Si l’on parle de violation de domicile, à défaut de statistiques plus récentes, la réponse du ministère de la justice à la question parlementaire 01067 indiquait que le nombre d’infraction était stable entre 2006 et 2010, autour de 2000 par an. Surtout, ces infractions concerne bien autre chose que des occupations, on trouve quantité de propriétaires tentant d’expulser leurs locataires sans décision de justice ou même des militants de Greenpeace envahissant les centrales nucléaires.

Les exemples se multiplient de personnes qui, de retour de vacances, d’un déplacement professionnel ou d’un séjour à l’hôpital, ne peuvent plus ni rentrer chez elles, parce que les squatters ont changé les serrures, ni faire expulser ces occupants.

Dès la deuxième phrase, on sombre dans le n’importe quoi. Les trois cas cités sont sans ambiguité des cas de violation de domicile. Ce n’est pas, en effet, parce que vous êtes en vacances ou à l’hôpital que votre domicile cesse d’être votre domicile. Dans ce cas, s’agissant d’un délit permanent, l’expulsion est réalisé par les forces de l’ordre après le dépôt d’une plainte, sans avoir à passer par un jugement, et ce quelque soit la durée de l’occupation.

Grâce à l’action de notre collègue Catherine PROCACCIA qui avait instauré par voie d’amendement à la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable un article prévoyant et réprimant l’occupation illicite du domicile d’autrui, « l’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet » est aujourd’hui un délit et l’article L. 226-4 du code pénal le punit « d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».

Les Sénateurs et Sénatrices UMP ne se mouchent pas du pied. La violation de domicile ne doit pas grand chose à Catherine Procaccia, mais tout à Louis-Philippe et à la modification du code pénal de 1832 qui l’a instaurée pour les particuliers. Même la rédaction de l’article 226-4 qu’ils citent date de 1994…

Cependant, le phénomène des maisons et appartements squattés se développe et notre droit pénal reste inadapté à la répression de cette infraction. Malgré l’illégalité de l’occupation, une personne installée dans un local d’habitation sans l’autorisation du propriétaire a des droits. En conséquence, une personne propriétaire d’un logement peut assez difficilement expulser des personnes sans l’intervention d’un juge, sous peine d’être elle-même sujette à des poursuites.

Une personne installée dans un local vacant a des droits, oui, celui d’un procès équitable et du respect de son domicile notamment. Pour éviter ces ennuis, un seul conseil, ne laissez pas vos propriétés vacantes quand tant de gens dorment à la rue.

La principale raison est que la notion de flagrant délit qui permettrait une expulsion rapide des occupants sans titre est difficilement caractérisable. Passé un délai de 48 heures suivant l’intrusion illicite, le flagrant délit ne peut plus être caractérisé et la police ne peut donc plus procéder à l’expulsion immédiate des squatteurs de domicile. Elle est juridiquement impuissante. Il revient alors au propriétaire ou au locataire du domicile de saisir la justice afin d’obtenir une décision d’expulsion. Cette procédure qui peut être particulièrement longue est mal comprise par nos concitoyens.

On arrive au cœur du sujet : ce paragraphe entier ne concerne pas les violations de domicile qui sont un délit continu, mais bien l’ensemble des squats. Une fois de plus, l’UMP souhaite s’abstraire de la justice pour laisser libre cours à la police.

Seul, l’article 38 de la loi Dalo du 5 mars 2007, peu connu de nos concitoyens, permet une procédure d’expulsion accélérée par voie de décision administrative, sans passer par une décision de justice. Cet article permet au préfet, sur saisine du propriétaire ou du locataire qui constate l’occupation illégale de son logement, de demander à cet occupant sans titre de quitter les lieux.

Si le rapport parle d’une dizaine de procédures liées à cet article, je n’en en connais pour ma part aucun exemple. Parce que la police expulse couramment en flagrance de dégradation, sans utiliser ce texte. On aimerait une meilleure utilisation de ce texte, oui, pour s’assurer que les quelques droits des occupants soient respectés.

La fin de l’exposé des motifs détaille les deux articles de la proposition de loi. Le premier proposait d’étendre la durée de la flagrance, le second rien moins que de donner la possibilité au maire de demander l’expulsion même sans joindre le propriétaire. Heureusement, cette partie du texte a été supprimée en commission. Elle me paraissait de toute façon peu constitutionnelle.

Présidente : celle qui préside, depuis 1835

DictionaryFrenchAcademy1835C’est une recherche que longtemps je n’ai pas faite, tant l’affaire me paraissait entendu. Dans la polémique Président/Présidente, l’Académie française donnait raison à Julien Aubert. Présidente ne désignait que la femme du Président, sinon ce n’était qu’un néologisme ou un médiévisme militant.
Après tout, que ces barbants barbons de l’Académie soient un peu réacs, la chose était entendue. Maurice Druon ne s’était-il pas exprimé, voilà quinze ans, sur le sujet ?
Et puis, je me suis demandé ce qu’en disait les dictionnaires.
Le Littré, d’abord, que j’aime beaucoup depuis qu’il m’a servi à séduire une agréable demoiselle1.
A l’entrée « Présidente » de ce dictionnaire de la fin du XIXe siècle ; voilà ce que l’on trouve :

1. Celle qui préside. La présidente d’une association de charité.
2. Femme d’un président. Madame la présidente. Madame la première présidente.

Ainsi donc, un dictionnaire ancien, qui fait référence, met en avant la femme qui préside et non pas l’épouse. Mais alors, qu’en est-il de l’Académie ?

Point d’entrée distincte dans la 9e édition de son dictionnaire, celle qui est encore en cours de rédaction. On y trouve une entrée commune, « président, -ente n. XIIIe siècle » Qui fait mention, naturellement, de la présidente en tant qu’épouse du président, mais pas seulement. Au détour d’un exemple, il y a bien Le président, la présidente d’une association, d’un club, d’une fédération. Alors certes, ce qui est valable pour une association ne l’est sans doute pas pour l’Assemblée Nationale, mais tout de même…

Ne nous arrêtons pas en si bon chemin, puisque s’il y a une neuvième, il y eut une huitième édition, en 1932. Qui, tiens, comporte une entrée « Présidente » :

PRÉSIDENTE. n. f. Celle qui préside une assemblée, une réunion. Elle est la présidente de cette œuvre de bienfaisance.
Il se dit aussi, en certains cas, de la Femme d’un président. Madame la présidente. Madame la première présidente.

De mieux en mieux. Non seulement la présidente est bien la femme qui préside, mais l’épouse du président ne se dit qu’en certains cas.
Les sources sur Internet sont lacunaires, mais, lors de la 6e édition, en 1835, nous avions déjà la femme qui préside. Finalement, mon bon vieux Littré ne faisait que suivre les préceptes de l’Académie.

Il est assez cocasse que cette dernière, dans sa mise au point récemment publiée, ne dise pas un mot de Présidente, pourtant l’objet du débat, alors qu’elle précise accepter depuis 1935 Bucheronne ou factrice…


1) Point de contradiction : si le générique impose un Madame, les particulières que je séduis sont toujours demoiselles à mes yeux.


Illustration : première page de la sixième édition du dictionnaire de l’Académie française, 1835. Wikimedia Commons

Guillaume Pley peut-il être condamné ?

Capture d'écran de la vidéo

Capture d’écran de la vidéo

Depuis quelques jours circule une vidéo réalisée par l’animateur de NRJ12 qui prétend montrer comment choper une fille en trois questions. Ces trois questions sont :

  • Est-ce que tu as un petit copain ?
  • Comment tu me trouves physiquement ?
  • C’est quoi ton excuse pour ne pas m’embrasser, là, tout de suite ?

En s’inscrivant en plein dans une vision sexiste de la société, où les hommes seraient des prédateurs devant multiplier leurs conquêtes, et les femmes ravalées au rang de proies, cette vidéo serait déjà problématique. Supposer qu’une femme célibataire n’aurait aucune de bonnes raisons de refuser d’embrasser un homme, même séduisant, est assez étrange. Surtout que l’enchainement des trois questions par un inconnu fait poser la question de sa santé mentale…
Las, Guillaume Pley ne se contente pas de poser ses questions et d’attendre la réaction, il embrasse. Anticipant un taux d’échec trop important pour réaliser sa vidéo dans un délai raisonnable – oui, une équipe de tournage coûte chère, même s’il ne l’a sans doute pas payée de sa poche – l’animateur ne laisse aucun choix à ses victimes.

Plusieurs avocats, plusieurs féministes, se sont émues de cette vidéo en appelant à des poursuites. Et, dans ce cas, des poursuites pénales sont tout à fait possible. Le premier alinéa de l’article 222-22 du code pénal est en effet tout à fait clair : Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise.

Dans la vidéo, on voit Guillaume Pley embrasser, sans attendre la réponse à sa dernière question, et parfois malgré une réponse négative. A d’autres reprises, on le voit même bloquer une tête de son bras. L’élément de surprise est donc parfaitement constitué, et pour le second cas, celui de contrainte également.
D’aucuns ont prétendu qu’un simple baiser ne constituait pas une atteinte sexuelle. Il faut être honnête, la jurisprudence est assez rare. La justice ayant plutôt tendance à requalifier les viols en simples agressions, les baisers volés se retrouvent assez rarement devant les tribunaux.

Pourtant, et avec toute la prudence nécessaire compte-tenu des différences, on trouve malgré tout quelques renseignements : Ainsi, en 2004, la chambre criminelle de la Cour de cassation estimait que le fait d’embrasser sur la bouche ne constituait pas un harcèlement sexuel, mais enjoignait à la cour de renvoi d’examiner si les faits correspondait à une atteinte sexuelle. En 2006, la Cour de cassation reprends les motifs de la décision qui lui est soumise : même si un baiser sur la bouche (…) n’a pas nécessairement le caractère d’une atteinte sexuelle, les circonstances dans lesquelles ces baisers ont été donnés (…) ne laisse à la cour aucun doute sur ce caractère.

Le caractère sexuel d’un simple baiser doit donc s’entendre en fonction des circonstance. De cette manière, un homme ayant furtivement embrassé sur la bouche au lieu de la joue a été récemment relaxé du chef d’agression sexuelle.
Dans le cas de Guillaume Pley, plusieurs choses jouent en sa défaveur : d’une part, le terme de « choper » mis en exergue au début de la vidéo induit clairement une connotation sexuelle. D’autre part, la multiplicité des atteintes rend illusoire une défense qui se prévaudrait d’une tentative de séduction maladroite.

Mais Guillaume Pley n’est pas la seule personne passible de sanctions pénales dans cette affaire. En effet, l’article 222-33-3 du code pénal rend complice du délit d’agression celui qui enregistre sciemment le délit. C’est un des très rare cas dans la législation française où la seule prise de vue est répréhensible. Ici, c’est toute l’équipe de prise de vue qui se retrouve complice d’agression sexuelle, faisant passer la peine encourue de cinq à sept ans d’emprisonnement et de 75 000 à 100 000 € d’amende par l’application du 4° de l’article 222-28.

Au passage, avis à tous ceux qui voudraient publier également cette vidéo, le fait de diffuser de telles images est puni de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende, c’est le deuxième alinéa de l’article 222-33-3.

Le dernier alinéa de cet article prévoit une exception dans deux cas seulement : si l’enregistrement est réalisé afin de servir de preuve en justice, ce qui n’est évidemment pas le cas ici, et s’il est réalisé à des fins journalistiques. Ici, peu importe le statut non-journaliste de la personne : de mon point de vue, toute personne peut se réclamer d’une volonté d’information sur des faits qui existeraient sans la prise de vue. Toutefois, cette vidéo n’a pas été tournée dans le but d’informer du comportement de l’animateur, mais dans un but commercial, pour faire le buzz. Et Guillaume Pley, selon ses propres dires, à dû « se forcer » pour la vidéo.

Le fait que les personnes victimes aient donné leur accord pour la diffusion des images est sans influence sur la commission du délit. Par ailleurs, si le papier a été signé immédiatement après la prise de vue, on peut se poser la question de la validité du consentement : juste après une agression, entouré de l’agresseur et de ses complices ?

Enfin, Guillaume Pley peut être poursuivi pour son incitation à l’imiter, et donc à commettre un délit. Bien qu’il s’en soit défendu par la suite, les capture d’écran ne laissent aucun doute sur le sujet. D’autre part, la vidéo à elle seule, sans aucun avertissement et se présentant comme un mode d’emploi, pourrait être considérée comme une incitation. Et l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée prévoit que si cette incitation est suivie d’effet, son auteur doit être puni comme complice. A chaque auditeur de NRJ12, à chaque internaute qui embrasserait en utilisant cette technique, Guillaume Pley est susceptible d’une nouvelle condamnation. Même sans être suivi d’effet, et s’agissant d’agressions sexuelles, l’article 24 de la loi précitée prévoit encore une peine de cinq ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende pour cette incitation.

Alors, il faut bien entendu relativiser. Non, cette vidéo n’est pas l’affaire du siècle, et oui, il y a malheureusement des faits bien plus graves. Je ne crois pas d’ailleurs qu’aucune des féministes qui se sont mobilisées souhaite réellement que cet animateur passe cinq ou sept ans en prison. Pour autant, je crois nécessaire de se mobiliser sur le sujet, notamment pour obtenir le retrait de la vidéo. D’abord parce que l’excuse des sujets plus importants est inopérante. Il y aura toujours, quelque soit le sujet et sa gravité, d’autres évènements encore pire. Refuser d’agir pour ce motif, ce n’est qu’un moyen de se donner bonne conscience. Surtout, on a là affaire à une vidéo avec une diffusion conséquente, qui répand l’idée que le consentement des femmes n’est pas chose importante. L’intervention de Najat Vallaud-Belkacem, pourtant ministre du droit des Femmes, paraît ici aberrante : ce qui a été commis n’est pas une erreur, mais plusieurs délits. Et un message de prévention n’y changerait rien. Imagine-t-on, Alors même que le seul usage de stupéfiant est pénalement moins sanctionné que l’agression sexuelle, un ministre de l’intérieur ne pas même envisager la suppression d’une vidéo où un animateur expliquerait les bienfaits du cannabis ?

Mais qui est propriétaire du 2, rue de Valenciennes ?

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La façade de l’immeuble

Il y a quelques jours, j’ai fait une petite note sur l’histoire du 2, rue de Valenciennes et j’ai évoqué son actuel propriétaire. Aujourd’hui, pour continuer mon petit cycle, je vais essayer de répondre à cette question que vous vous posez tous, mais qui est la SNC 2 rue de Valenciennes ?

Réponse courte : une boite aux lettres.
Réponse longue : une boite aux lettres.

 

Cette Société en Nom Collectif, qui ne comporte pas de personnel, est en effet domiciliée par Sofradom au 102, avenue des Champs-Élysées à Paris, une adresse qui héberge un peu plus d’un millier d’entreprises. Plutôt que d’utiliser les Champs, j’aurais bien proposé la domiciliation par la même société au 155 de la rue du Faubourg saint-Denis, à moins de cinquante mètres de la propriété. C’est deux fois moins cher, mais il paraît que c’est aussi beaucoup moins classe…

Blague à part, une domiciliation de ce genre est assez fréquente et ne porte pas à conséquence, ça donne juste envie de creuser un peu plus.

La fiche d’identité de la SNC indique deux co-gérants, MM. Juan Oliver Mateu et Lasa Ignacio Donato. Ce dernier se présente comme membre « d’un petit groupe familial », formé avec ses frères et sœur et son « vieil oncle ». Même si l’aspect familial semble exact, une simple enquête journalistique aurait montré une situation bien différente…
Le registre du tribunal de commerce indique en effet que la SNC 2 rue de Valenciennes est détenue par trois sociétés distinctes, qui se sont réunies pour l’Assemblée Générale le 26 septembre 2011 :

  • Dolsaprom 2000 SLU, qui détient 1% des parts. Cette société espagnole est représentée par M. Ignacio Lasa Georgas1.
  • Guelnor SL, qui acquière à cette occasion 1% des parts, société espagnole représentée par M. Miguel Oliver Vicens2.
  • Pezulu Holding BV, détenant les 98% restants, société hollandaise représentée par ANT Management (Netherlands) BV, elle-même représentée par M. Pieter Bosse.

Cette dernière société est particulièrement intéressante : Pour l’avocat de M. Lasa, elle est simplement domiciliée à Amsterdam par ANT Management. Pourtant, le compte-rendu de l’AG est formel, non seulement ANT représente la SNC, mais en plus elle envoie un salarié, M. Pieter Bosse, qui préside l’Assemblée en tant que représentant l’actionnaire majoritaire. On est très loin d’une simple domiciliation comme Sofradom qui se contente de réexpédier le courrier.

D’autant que M. Pieter Bosse n’est pas n’importe qui au sein de ANT. Son profil Linkedin montre qu’il était « Managing Director » de ANT Trust and Corporate Services NV, maison-mère de ANT Management, de 2007 à 2013. Il était même, en 2010 et 2011, « Interim Managing Director » de ANT Caribean.
Les documents de la chambre du commerce des Pays-Bas montrent également que ANT est administrateur (« Bestuurder ») de Pezulu, avec le titre de « directeur ».

ANT trust, qui fait aujourd’hui partie du groupe luxembourgeois SGG, est une société financière présente dans le monde entier et notamment dans des paradis fiscaux. Les services rendus par cet ensemble de société couvrent la domiciliation et la gestion, bien sur, mais aussi l’optimisation fiscale.

Notons que rien ne prouve que les propriétaires de l’immeuble utilisent les services de société outre-mer (ce qui ne serait de toute façon pas illégal en soi) : la chambre du commerce néerlandaise n’enregistrant pas les actionnaires s’ils ne sont pas uniques, on ne peut connaître directement les actionnaires de Pezulu. De fait, les Pays-Bas sont déjà considérés comme un paradis fiscal européen.

Car, je vous le dis tout net, j’ai beaucoup de mal à croire M. Lasa Georgas lorsqu’il dit que ce montage financier ne génère aucun avantage fiscal. Je ne m’avancerai pas sur ce sujet, car je suis loin de maîtriser l’art de la finance, mais la technique consistant à faire remonter les bénéfices vers un pays à la fiscalité faible est a priori un grand classique. Est-elle utilisée dans ce cas ? Les huit derniers comptes sociaux sont disponibles ici, je suis preneur de toute explication, notamment sur les capacités à se désendetter lorsque le résultat net est négatif.

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  1. Il y a des variantes dans l’ordre des noms, mais a priori il s’agit de la même personne.
  2. Plusieurs indices tendent à montrer que Miguel Oliver Vicens fait partie de la famille de Juan Oliver Mateu.

Appel citoyen contre l’incitation au viol sur Internet

Je reprends ici une tribune contre l’incitation au viol sur Internet ou ailleurs. L’intégralité de cette tribune peut être téléchargée ici. Toute personne adhérant à cet appel peut le reprendre à son compte et le reproduire, le diffuser et le publier. À la fin de l’article, vous trouverez une liste non-exhaustive de blogs le reprenant.

Tribune

Incitation au viol sur un site de coaching en séduction

Nous, militantes féministes et citoyennes, avons récemment dénoncé un site de coaching en « séduction » appelé Seduction By Kamal 1 comme incitant au viol.

Seduction By Kamal est un site d’apprentissage des techniques de « pick up artist », à savoir « artiste de la drague ». Il s’agit de techniques de « drague » et de conseils en matière de sexualité. Le site est gérée par la société SBK Coaching, et génère du profit grâce à la vente de livres numériques (« e-books »).

L’indignation s’est focalisée sur un article violent en accès libre et gratuit. Intitulé « Comment Bien Baiser : les 3 Secrets du Hard SEXE »2, il nous apparait en réalité comme une incitation au viol, particulièrement toxique en raison de l’aspect éducatif du site.

Nous estimons que les propos sont explicites : pour bien « baiser », l’important est de ne pas tenir compte du consentement de sa « partenaire ». Une capture d’écran est conservée ici. Les extraits les plus choquants sont cités ci-dessous, dans la lettre au Procureur, ainsi que chez la blogueuse Diké3.

Cet article a été écrit par Jean-Baptiste Marsille, rédacteur web, auto-entrepreneur et écrivain4. Le directeur de publication du site se fait appeler Kamal5.

Il ne s’agit pas d’un petit blog isolé. D’après son créateur, ce site reçoit 20 000 visiteurs par jours, le chiffre d’affaire de la société « SBK Coaching» est de l’ordre de 10 000 euros par mois6. Sa page Facebook est suivie (« likée ») par près de 17 000 personnes. Nous notons aussi que les frais de fonctionnement du site semblent peu élevés, compte-tenu des avantages fiscaux de la Pologne par rapport à la France7, et du caractère dématérialisé des publications électroniques vendues.

Malgré de multiples sollicitations depuis octobre 2012, Kamal n’a jamais réagi. L’article était toujours en ligne à l’heure où nous écrivons cette lettre.

Depuis 2012, cet article a également été signalé en vain au Ministère de l’Intérieur (www.internet-signalement.gouv.fr). Pourquoi la loi n’est-elle pas appliquée ? Est-ce un problème managérial (manque de moyens pour traiter tous les signalements) ou un problème culturel (mauvaise formation et sensibilisation des agents du Ministère à la misogynie en ligne et à la culture du viol) ?

Nous joignons donc à cette tribune une plainte au Procureur de la République concernant le délit d’incitation au viol en ligne sur la page signalée.

Appel aux autorités et aux acteurs du web : stopper la misogynie en ligne

Ceci dit, notre objectif n’est pas de nous focaliser sur ce seul type de site Internet à la marge, mais sur l’ensemble de la misogynie globalement répandue sur l’espace Internet, et trop tolérée.

De nombreux agresseurs et leurs complices se sentent autorisés, en toute impunité, à exhiber sur Internet leurs infractions misogynes (viol, agression, non-assistance à personne en danger, recel de médias à caractère pédo-criminel…). Leurs victimes sont réduites au silence ou humiliées à l’échelle planétaire, subissant la reproduction perpétuelle de leurs agressions sur les réseaux sociaux.

Comment les Internautes peuvent-ils encourager un tel laxisme envers des criminels, et une telle sévérité envers les victimes ? Certainement à cause d’un amalgame toxique entre sexualité et violence érotisée (culture du viol) combinée à une mauvaise appréciation du sexisme sur Internet, perçu à tort comme “virtuel”.

Or le sexisme en ligne n’a rien de virtuel : le harcèlement subi par des personnalités connues comme par des adolescentes anonymes (ou qui auraient voulu le rester), le racolage des mineures par les pédo-criminels ou les proxénètes, l’omniprésence des images de femmes hypersexualisées et objectivées, dans les contenus personnels, journalistiques, culturels et commerciaux – clichés parfois pris à l’insu du sujet, l’humour sexiste qui alimente la tolérance envers le sexisme, les discours vindicatifs, stéréotypés et dégradants à l’égard des femmes, tout ceci est bien réel.

Ailleurs, sur le web anglophone notamment, des voix se sont élevées pour exposer l’ampleur de la misogynie sur Internet, et exiger des actions concrètes pour y mettre fin. Ainsi la campagne #FBRape a permis un début de dialogue avec Facebook, dans le but d’améliorer les systèmes d’identification et de modération des discours de haine misogyne8.

Côté français, l’incitation à haine, à la discrimination ou à la violence est interdite par la Loi sur la liberté de la presse, article 249. Nous exigeons que l’alinéa 7 soit appliqué, à savoir que l’incitation à la violence en raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap soit réellement pénalisée.

Nous demandons également une modification de l’alinéa 6 de cette même loi (concernant l’incitation à la discrimination et à la haine) pour qu’il soit étendu au sexisme. Actuellement seules sont concernées les discriminations et la haine motivées par des raisons ethniques, raciales ou religieuses.

Enfin, nous appelons les pouvoirs publics à mettre en place une plateforme dédiée au signalement de sites misogynes, à la sensibilisation des acteurs du web sur le sujet, et à l’accompagnement des victimes de discrimination, de haine ou de violences misogynes sur Internet.

Nous appelons également les entreprises du web ou présentes sur Internet à mettre en place des pratiques éthiques pour lutter contre le sexisme sur Internet, en coopération avec la société civile.

Collectif féministe et citoyen

Plainte au Procureur

Paris, le 05/09/2013

Lettre R.A.R.

Monsieur le Procureur de la République,

Nous, citoyennes, tenons par la présente à vous signaler les faits délictueux visés par l’article 24 de la Loi sur la Liberté de la Presse qui punit de « cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ceux qui (…) auront directement provoqué, dans le cas où cette provocation n’aurait pas été suivie d’effet, à commettre l’une des infractions suivantes : les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne et les agressions sexuelles définies par le livre II du code pénal ».

Sur le site Seduction By Kamal, cette page (URL : http://www.seductionbykamal.com/comment-bien-baiser – captures d’écran ci-joint) intitulée « Comment Bien Baiser : les 3 Secrets du Hard SEXE » constitue une apologie du viol et une incitation à la violence contre les femmes. Quelques extraits explicites :

  • « Montrez-lui qu’elle n’a pas vraiment le choix »
  • « Attaquez sa poitrine »
  • « créer rapidement une image du mec qui sait ce qu’il veut et qui l’obtient quand il veut ».
  • « vous décidez […] tout est entre vos mains (ou vos cuisses devrais-je dire) »
  • « perdre tout contrôle de la situation est un « turn on » majeur pour les femmes ».
  • « appliquez-vous à aller en profondeur et à ne stopper la cadence que quand VOUS le décidez ! Elle se plaint ? Pas pour longtemps ! C’est un phénomène naturel de rejet de l’autorité, mais une fois cette barrière franchie, elle s’abandonnera à vous et vous demandera de la défoncer […] c’est ça en fait la véritable notion du fameux « BIEN BAISER ».
  • « Imposez votre puissance ».
  • « Donnez des ordres et soyez inflexible. Ne lui demandez pas gentiment si, éventuellement, vous pourriez avoir une fellation et éjaculer dans sa bouche… La décision est prise, retirez-vous et faites la descendre vers votre sexe afin d’affirmer votre posture. »
  • « Si seulement vous saviez combien de femmes rêvent de se faire démonter par un inconnu au chibre géant ».
  • « Cette méthode est relativement efficace quand on rencontre une inconnue qui nous ramène chez elle. Si elle en arrive là, c’est sans doute parce qu’au fond, ce qu’elle veut, c’est tirer un coup. »
  • « Ne lui demandez pas si vous pouvez la pénétrer comme un animal sauvage, faites-le ! »
  • « il vous suffit […] de laisser parler vos envies, sans vous restreindre. Prenez le contrôle du rapport sexuel et pensez que votre masculinité passe par des coups de boutoir infligés. »
  • « ne vous refusez rien ».

Nous avons signalé ce lien à internet.signalement.gouv.fr sans aucune conséquence concrète.

La présente faisant valoir ce que de droit.

Copie à

– Monsieur Manuel Valls, Ministre de l’Intérieur
– Madame Vallaud-Belkacem, Ministre des Droits des femmes,
– Madame Christiane Taubira, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice
– Haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Hommes
– Observatoire des Inégalités
– Le Monde
– Le Figaro
– Médiapart
– Rue 89
– Libération
– Les Nouvelles News
– Slate
– Fédération Nationale Solidarité Femmes
– Signalement publié sur internet par une dizaine de blogs

le 05/09/2013

Capture d’écran de l’article signalé : http://dikecourrier.files.wordpress.com/2013/08/comment-bien-violer-une-femme-par-seduction-by-kamal-kay-et-jb-marsille1.pdf

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Sources et liens cités dans l’appel :

  1. www.seductionbykamal.com
  2. www.seductionbykamal.com/comment-bien-baiser
  3. http://dikecourrier.wordpress.com/2013/08/19/pick-up-artists-le-marketing-de-la-violence-misogyne
  4. www.profils-auto-entrepreneurs.com/profil/jean-baptiste.marsille
  5. www.seductionbykamal.com/mentions-legales/
  6. www.agence-csv.com/seduction-by-kamal-le-seducteur/
  7. www.lepetitjournal.com/varsovie/economie/132935-varsovie-eco
  8. www.womenactionmedia.org/facebookaction/how-to-report-gender-based-hate-speech-to-facebook
  9. www.legifrance.gouv.fr

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Si vous êtes d’accord avec cet appel, n’hésitez pas à le copier-coller sur votre blog, comme ci-dessous. Merci ;)

Une histoire du 2, rue de Valenciennes

Cadastre Vasserot

Cadastre Vasserot, entre 1810 et 1823

Si vous lisez cette note, vous devez déjà être au courant, mais qu’importe : depuis le début du mois de janvier 2013, l’association Droit au Logement et le collectif Jeudi Noir soutiennent l’occupation d’un immeuble dans le Xe arrondissement de Paris, rue de Valenciennes. (Et, oui, je suis à la pointe de l’actualité…)
Les propriétaires de l’immeuble, comme d’habitude dans ce genre de cas, ont engagé une procédure pour obtenir l’expulsion des occupants. Après quelques péripéties juridiques, le jugement a été mis en délibéré au 11 septembre. Les habitants auront alors une vision un peu plus précise de leur devenir, sachant qu’ils n’ont de toute façon pas vocation à demeurer sur place.
Beaucoup de choses ont été dites sur cet immeuble, et ça fait quelque temps que je voulais faire une série de billet dessus.
Petit aperçu historique de l’immeuble et de sa rue :
Si l’on remonte au début du XIXe siècle, la rue de Valenciennes n’existe pas. Le cadastre de Vasserot, dessiné entre 1810 et 1836, nous montre en effet un seul îlot gigantesque dont seules les franges sont bâties. L’îlot est limité au Sud par la rue de Paradis, à l’Est par la rue du faubourg saint-Denis, à l’Ouest par la rue du faubourg Poissonnière, et au Nord par le chemin de ronde de la barrière de saint-Denis qui deviendra le boulevard de la Chapelle. La barrière, c’est bien entendu la barrière d’octroi qui fixait alors la limite de Paris.
Cette situation ne va pas perdurer longtemps. Dès 1823, la rue La Fayette traverse l’îlot en diagonal. Une première partie de ce qui constitue aujourd’hui la rue de Valenciennes est ouverte en 1827, entre la récente rue La Fayette et l’actuelle rue saint-Quentin, comme on le voit sur le plan parcellaire Vasserot-Bellanger (sous le nom de rue Charpentier).
Ce n’est qu’à la fin du second empire que la rue de Valenciennes, qui a pris ce nom en 1845, débouche enfin sur la rue du faubourg saint-Denis. A l’époque, la parcelle n’était pas divisée et allait jusqu’à l’angle des deux rues. Et c’est probablement vers 1910 que cette division a lieu, puisque c’est la date de construction des bâtiments principaux de la parcelle, et celle de l’inscription aux hypothèques d’une cour commune entre la parcelle occupée et la parcelle d’angle nouvellement créée.
On retrouve la trace de l’immeuble dans un permis de construire en date de 1985, qui prévoit la démolition du hangar occupant la cour principale et la création d’un accès pour les voitures sur la rue de Valenciennes, et dans une demande de ravalement en 1992.
En 1993, une portion du sous-sol, à près de 18 mètres sous la surface, est expropriée pour permettre le passage du RER E alors en travaux.

C’est en mars 2004 que le propriétaire actuel, la société en nom collectif du 2, rue de Valenciennes, acquière l’ensemble pour un prix de 2 765 000 €. Un temps envisagée par le ministère, la réquisition de l’immeuble n’est plus à l’ordre du jour, car la SNC a mis en vente l’immeuble. La mairie de Paris, toujours en recherche d’emplacement pour développer le parc social dans cette zone en déficit, souhaite logiquement le préempter. Aux dernières nouvelles, les négociations achopperaient sur l’aspect financier, la ville de Paris ne proposant que 4 300 000 € (plus-value de 56 %) quand la SNC demande 7 200 000 € (plus-value de 160 %).
En absence d’accord amiable, c’est le juge de l’expropriation, intégré au TGI de Paris, qui aurait a fixer le prix de vente, en le justifiant par comparaison de ventes équivalentes, afin de ne spolier aucune partie.

Si vous avez noté que je n’ai pas encore parlé de la surface du bâtiment, c’est qu’en absence de relevé des bâtiments, il y a une incertitude sur cette surface : dans un document juridique, les propriétaires donnent une superficie de 1 745 m², quand le permis de construire de 1985 n’en donne que 1 348, alors que l’ensemble immobilier n’a pas fait l’objet de travaux d’agrandissement depuis. Il y a là une incohérence sur laquelle la justice devra se pencher.