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Appel citoyen contre l’incitation au viol sur Internet

Je reprends ici une tribune contre l’incitation au viol sur Internet ou ailleurs. L’intégralité de cette tribune peut être téléchargée ici. Toute personne adhérant à cet appel peut le reprendre à son compte et le reproduire, le diffuser et le publier. À la fin de l’article, vous trouverez une liste non-exhaustive de blogs le reprenant.

Tribune

Incitation au viol sur un site de coaching en séduction

Nous, militantes féministes et citoyennes, avons récemment dénoncé un site de coaching en « séduction » appelé Seduction By Kamal 1 comme incitant au viol.

Seduction By Kamal est un site d’apprentissage des techniques de « pick up artist », à savoir « artiste de la drague ». Il s’agit de techniques de « drague » et de conseils en matière de sexualité. Le site est gérée par la société SBK Coaching, et génère du profit grâce à la vente de livres numériques (« e-books »).

L’indignation s’est focalisée sur un article violent en accès libre et gratuit. Intitulé « Comment Bien Baiser : les 3 Secrets du Hard SEXE »2, il nous apparait en réalité comme une incitation au viol, particulièrement toxique en raison de l’aspect éducatif du site.

Nous estimons que les propos sont explicites : pour bien « baiser », l’important est de ne pas tenir compte du consentement de sa « partenaire ». Une capture d’écran est conservée ici. Les extraits les plus choquants sont cités ci-dessous, dans la lettre au Procureur, ainsi que chez la blogueuse Diké3.

Cet article a été écrit par Jean-Baptiste Marsille, rédacteur web, auto-entrepreneur et écrivain4. Le directeur de publication du site se fait appeler Kamal5.

Il ne s’agit pas d’un petit blog isolé. D’après son créateur, ce site reçoit 20 000 visiteurs par jours, le chiffre d’affaire de la société « SBK Coaching» est de l’ordre de 10 000 euros par mois6. Sa page Facebook est suivie (« likée ») par près de 17 000 personnes. Nous notons aussi que les frais de fonctionnement du site semblent peu élevés, compte-tenu des avantages fiscaux de la Pologne par rapport à la France7, et du caractère dématérialisé des publications électroniques vendues.

Malgré de multiples sollicitations depuis octobre 2012, Kamal n’a jamais réagi. L’article était toujours en ligne à l’heure où nous écrivons cette lettre.

Depuis 2012, cet article a également été signalé en vain au Ministère de l’Intérieur (www.internet-signalement.gouv.fr). Pourquoi la loi n’est-elle pas appliquée ? Est-ce un problème managérial (manque de moyens pour traiter tous les signalements) ou un problème culturel (mauvaise formation et sensibilisation des agents du Ministère à la misogynie en ligne et à la culture du viol) ?

Nous joignons donc à cette tribune une plainte au Procureur de la République concernant le délit d’incitation au viol en ligne sur la page signalée.

Appel aux autorités et aux acteurs du web : stopper la misogynie en ligne

Ceci dit, notre objectif n’est pas de nous focaliser sur ce seul type de site Internet à la marge, mais sur l’ensemble de la misogynie globalement répandue sur l’espace Internet, et trop tolérée.

De nombreux agresseurs et leurs complices se sentent autorisés, en toute impunité, à exhiber sur Internet leurs infractions misogynes (viol, agression, non-assistance à personne en danger, recel de médias à caractère pédo-criminel…). Leurs victimes sont réduites au silence ou humiliées à l’échelle planétaire, subissant la reproduction perpétuelle de leurs agressions sur les réseaux sociaux.

Comment les Internautes peuvent-ils encourager un tel laxisme envers des criminels, et une telle sévérité envers les victimes ? Certainement à cause d’un amalgame toxique entre sexualité et violence érotisée (culture du viol) combinée à une mauvaise appréciation du sexisme sur Internet, perçu à tort comme “virtuel”.

Or le sexisme en ligne n’a rien de virtuel : le harcèlement subi par des personnalités connues comme par des adolescentes anonymes (ou qui auraient voulu le rester), le racolage des mineures par les pédo-criminels ou les proxénètes, l’omniprésence des images de femmes hypersexualisées et objectivées, dans les contenus personnels, journalistiques, culturels et commerciaux – clichés parfois pris à l’insu du sujet, l’humour sexiste qui alimente la tolérance envers le sexisme, les discours vindicatifs, stéréotypés et dégradants à l’égard des femmes, tout ceci est bien réel.

Ailleurs, sur le web anglophone notamment, des voix se sont élevées pour exposer l’ampleur de la misogynie sur Internet, et exiger des actions concrètes pour y mettre fin. Ainsi la campagne #FBRape a permis un début de dialogue avec Facebook, dans le but d’améliorer les systèmes d’identification et de modération des discours de haine misogyne8.

Côté français, l’incitation à haine, à la discrimination ou à la violence est interdite par la Loi sur la liberté de la presse, article 249. Nous exigeons que l’alinéa 7 soit appliqué, à savoir que l’incitation à la violence en raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap soit réellement pénalisée.

Nous demandons également une modification de l’alinéa 6 de cette même loi (concernant l’incitation à la discrimination et à la haine) pour qu’il soit étendu au sexisme. Actuellement seules sont concernées les discriminations et la haine motivées par des raisons ethniques, raciales ou religieuses.

Enfin, nous appelons les pouvoirs publics à mettre en place une plateforme dédiée au signalement de sites misogynes, à la sensibilisation des acteurs du web sur le sujet, et à l’accompagnement des victimes de discrimination, de haine ou de violences misogynes sur Internet.

Nous appelons également les entreprises du web ou présentes sur Internet à mettre en place des pratiques éthiques pour lutter contre le sexisme sur Internet, en coopération avec la société civile.

Collectif féministe et citoyen

Plainte au Procureur

Paris, le 05/09/2013

Lettre R.A.R.

Monsieur le Procureur de la République,

Nous, citoyennes, tenons par la présente à vous signaler les faits délictueux visés par l’article 24 de la Loi sur la Liberté de la Presse qui punit de « cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ceux qui (…) auront directement provoqué, dans le cas où cette provocation n’aurait pas été suivie d’effet, à commettre l’une des infractions suivantes : les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne et les agressions sexuelles définies par le livre II du code pénal ».

Sur le site Seduction By Kamal, cette page (URL : http://www.seductionbykamal.com/comment-bien-baiser – captures d’écran ci-joint) intitulée « Comment Bien Baiser : les 3 Secrets du Hard SEXE » constitue une apologie du viol et une incitation à la violence contre les femmes. Quelques extraits explicites :

  • « Montrez-lui qu’elle n’a pas vraiment le choix »
  • « Attaquez sa poitrine »
  • « créer rapidement une image du mec qui sait ce qu’il veut et qui l’obtient quand il veut ».
  • « vous décidez […] tout est entre vos mains (ou vos cuisses devrais-je dire) »
  • « perdre tout contrôle de la situation est un « turn on » majeur pour les femmes ».
  • « appliquez-vous à aller en profondeur et à ne stopper la cadence que quand VOUS le décidez ! Elle se plaint ? Pas pour longtemps ! C’est un phénomène naturel de rejet de l’autorité, mais une fois cette barrière franchie, elle s’abandonnera à vous et vous demandera de la défoncer […] c’est ça en fait la véritable notion du fameux « BIEN BAISER ».
  • « Imposez votre puissance ».
  • « Donnez des ordres et soyez inflexible. Ne lui demandez pas gentiment si, éventuellement, vous pourriez avoir une fellation et éjaculer dans sa bouche… La décision est prise, retirez-vous et faites la descendre vers votre sexe afin d’affirmer votre posture. »
  • « Si seulement vous saviez combien de femmes rêvent de se faire démonter par un inconnu au chibre géant ».
  • « Cette méthode est relativement efficace quand on rencontre une inconnue qui nous ramène chez elle. Si elle en arrive là, c’est sans doute parce qu’au fond, ce qu’elle veut, c’est tirer un coup. »
  • « Ne lui demandez pas si vous pouvez la pénétrer comme un animal sauvage, faites-le ! »
  • « il vous suffit […] de laisser parler vos envies, sans vous restreindre. Prenez le contrôle du rapport sexuel et pensez que votre masculinité passe par des coups de boutoir infligés. »
  • « ne vous refusez rien ».

Nous avons signalé ce lien à internet.signalement.gouv.fr sans aucune conséquence concrète.

La présente faisant valoir ce que de droit.

Copie à

– Monsieur Manuel Valls, Ministre de l’Intérieur
– Madame Vallaud-Belkacem, Ministre des Droits des femmes,
– Madame Christiane Taubira, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice
– Haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Hommes
– Observatoire des Inégalités
– Le Monde
– Le Figaro
– Médiapart
– Rue 89
– Libération
– Les Nouvelles News
– Slate
– Fédération Nationale Solidarité Femmes
– Signalement publié sur internet par une dizaine de blogs

le 05/09/2013

Capture d’écran de l’article signalé : http://dikecourrier.files.wordpress.com/2013/08/comment-bien-violer-une-femme-par-seduction-by-kamal-kay-et-jb-marsille1.pdf

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Sources et liens cités dans l’appel :

  1. www.seductionbykamal.com
  2. www.seductionbykamal.com/comment-bien-baiser
  3. http://dikecourrier.wordpress.com/2013/08/19/pick-up-artists-le-marketing-de-la-violence-misogyne
  4. www.profils-auto-entrepreneurs.com/profil/jean-baptiste.marsille
  5. www.seductionbykamal.com/mentions-legales/
  6. www.agence-csv.com/seduction-by-kamal-le-seducteur/
  7. www.lepetitjournal.com/varsovie/economie/132935-varsovie-eco
  8. www.womenactionmedia.org/facebookaction/how-to-report-gender-based-hate-speech-to-facebook
  9. www.legifrance.gouv.fr

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Si vous êtes d’accord avec cet appel, n’hésitez pas à le copier-coller sur votre blog, comme ci-dessous. Merci ;)

Petites saloperies habituelles

Cour administrative d'appel de Paris

Cour administrative d’appel de Paris

L’été c’est la période des vacances, de la plage et du farniente. Presque tout le monde en profite, et même si l’on n’a pas les moyens de partir, le rythme est souvent plus léger. Mais l’été, c’est aussi la période rêvée par le gouvernement pour faire passer un tas de petits décrets emmerdants, susceptible de faire grogner les Français. Profitez-en, ils pensent à autre chose. Et comme on est dans le décret, pas besoin de débat, pas besoin d’Assemblée, il suffit à l’administration de se réunir dans un ministère pour imaginer le texte. A la rigueur, si c’est important, on demandera l’avis du Conseil d’État.

Et là, Boum ! Ce sont les avocats spécialisés dans le code de la route qui ont levé le lièvre en premier. Par un décret publié le quinze août, pour un certain nombre de contentieux administratifs, le gouvernement supprime tout bonnement la possibilité de faire appel des décisions de justice. C’est valable donc pour les litiges liés aux permis de conduire, mais surtout, ce qui m’intéresse ici, c’est valable pour toutes les procédures DALO.

Alors, il faut comprendre le gouvernement, on fait des lois, on fait des lois, et quand on s’aperçoit qu’elles ne sont pas applicables, parce qu’on ne veut pas s’en donner les moyens, on est bien emmerdé ! Surtout quand on aggrave le problème en maintenant la politique sarkozyste d’expulsion massive, au lieu de revenir à la sagesse qui prévalait avant.

L’inconvénient, quand on donne des droits aux pauvres, c’est qu’il y en a toujours quelques uns pour essayer de les faire respecter. Oh, pas beaucoup, en proportion, mais ça suffit à engorger les tribunaux. (Oui, les pauvres sont nombreux…)
Plutôt que de résorber la crise du logement et de l’hébergement, plutôt que de donner quelques moyens à la justice, pourquoi ne pas supprimer une étape ?
Jusqu’alors, en cas de recours contre une décision administrative, il y avait trois étapes successives : le tribunal administratif, la cour administrative d’appel, puis le Conseil d’État. C’est le passage intermédiaire qui, dans une demi-douzaine de domaines, est purement supprimé.

Vous me direz, ce n’est pas bien grave puisqu’il reste le Conseil d’État ? Sauf que… Sauf que plaider devant ce Conseil n’a rien à voir avec un recours devant une cour d’appel. Il faut passer par des avocats spécialisés, la procédure est plus complexe, plus coûteuse. N’oubliez pas qu’on parle de personnes qui n’ont pas de logement adapté, voire pas de logement du tout. Imaginez suivre tout ça, quand vous êtes ballotés d’hôtel en hôtel.

L’accès à la justice est clairement déjà un problème (sans parler de certaines décisions). Dans la pratique, le gouvernement compte clairement sur le très faible nombre de recours pour, par exemple, procéder à des expulsions illégales sans trop de risque. Avec ce décret, il rend encore plus difficile cet accès. Une vraie petite saloperie du 15 août.

Rue de Sèvres, le soulagement

IMG_9634Dernière étape d’une procédure déjà vieille de cinq ans, la Cour d’Appel de Paris a condamné hier huit jeunes précaires à payer 23 000 euros à une propriétaire multi-millionnaire. Leurs faute ? S’être abrité pendant quinze mois, d’avril 2008 à juin 2009, dans un immeuble à l’abandon.

S’il y a parfois des personnes qui ne sont pas éloignées de la caricature du richissime vieillard acariâtre, la propriétaire du 69, rue de Sèvres en fait partie. Domiciliée fiscalement en Belgique, possédant en nom propre plusieurs appartements et immeubles à Paris et Neuilly, détenant des parts dans une société immobilière luxembourgeoise, elle laisse véritablement pourrir sur place une part non négligeable de son patrimoine, au grand désespoirs des municipalités concernées.

Non réquisitionnable par les limitations de la loi de 1998, l’immeuble reste toujours vide, malgré les menaces qu’il pourrait faire courir aux voisins et au passant : les nombreuses infiltrations causent des dégâts à la structure en bois de cette construction du XVIIIème siècle.

Pourtant, c’est avec un soupir de soulagement que la nouvelle de la condamnation a été accueillie par les personnes concernées. C’est que, condamnées en première instance à 80 000 euros, elles s’en voyaient réclamer 245 000 par la propriétaire. Cette dernière réclamait en effet les loyers d’un immeuble qu’elle n’avait jamais mis en location. Elles n’auraient jamais pu inventer cet argent qu’on leur demandait. Au moins, 23 000 euros, même si c’est un effort financier conséquent pour les anciens habitants de la rue de Sèvres, c’est une somme qui pourra être payer. Et mettre fin à l’angoisse de ces cinq ans de procédures, ne plus avoir à vivre au jour le jour est la priorité de tous.

A juste titre, la Cour a estimé qu’en l’absence d’activité dans l’immeuble (pour les étages, on parle en décennies de vacance…), la propriétaire ne pouvait se prévaloir d’un quelconque préjudice économique. En revanche, elle a estimé que la seule atteinte à la propriété causait un préjudice à hauteur de 1500 euros par mois. Pour ma part, je n’arrive pas à considérer cette somme autrement que comme un enrichissement sans cause de cette propriétaire.

Certes, la justice applique le droit et non la morale. Mais quel préjudice à être passé dans un immeuble à l’abandon ? Quel montant pour ces indemnités ? Hier, l’État a également été condamné, pour la violation des droits fondamentaux. Alors que ce dernier a l’obligation légale d’héberger, il a mis à la rue plusieurs familles avec enfants. Résultat ? Une astreinte de 75 euros par jour, soit 2250 euros par mois. Quand on regarde la jurisprudence sur cette obligation d’hébergement, on se rend compte que c’est une des astreintes les plus importantes, dans la plupart des cas, elles n’existent même pas.

Alors parlons droit, parlons préjudice et indemnité. Voir un de ses immeubles vide occupé par des personnes qui n’ont pas d’autres choix pour s’abriter, cause-t-il réellement un préjudice supérieur ou même comparable à celui de devoir dormir à la rue, sous la pluie ?

Aujourd’hui, non, si je fête avec ces amis leur soulagement, je me refuse à parler de victoire.

La « flagrance » en matière de squat

20091121_035La politique actuelle visant à chasser les squatteurs de Paris, les expulsions en flagrance comme celle de la rue saint-Marc ou celle diligentée par le parti communiste se font de plus en plus fréquente. Pourtant, bien que menée par la police, elles sont dans la plupart des cas totalement illégales et relèvent clairement de l’abus de pouvoir.
La police et la justice se basent sur les articles 53 à 74-2 du Code de Procédure Pénale, qui parlent des mesures spéciales dans le cas d’un crime ou délit flagrant.

 Premier point qu’il est important de rappeler, l’occupation sans droit ni titre, n’est pas un délit et encore moins un crime. En fait, ce n’est pas même une contravention. Le squat peut éventuellement causer un préjudice au propriétaire, amenant une condamnation au motif de l’article 1382 du Code Civil, mais en théorie, la puissance publique n’a pas à y mettre son nez. La seule exception étant évidemment la violation de domicile, punie d’un an de prison, mais il existe dans ce cas une autre procédure spécifique, définit à l’article 38 de la loi n°2007-290 du 5 mars 2007 et surtout, elle est en pratique rarissime : il existe suffisamment de locaux vides pour que les squatteurs n’aillent pas prendre des risques inutiles.

Deuxième point, et je parle d’expérience, il est relativement facile de pénétrer dans des locaux vides sans commettre de dégradation, réprimée à l’article 322-1 du Code Pénal. Sans prétendre que les portes ou les fenêtres sont systématiquement ouvertes (mais ça arrive beaucoup plus fréquemment qu’on ne le croit !), je ne connais pas de bâtiment vide qui puisse résister pour peu qu’on s’en donne les moyens. L’escalade ou l’effraction, telles que définies aux articles 132-73 et 132-74 du code pénal, ne constituent même pas des infractions et ne sont pas en tant que telles des dégradations. (En revanche, elles constituent clairement des voies de fait faisant disparaître le bénéfice de la trêve hivernale, mais c’est une autre histoire)
J’ajouterai que l’article 322-1 punie les dégradations, sauf s’il n’en est résulté qu’un dommage léger. En de tel cas, c’est l’article R635-1 qui prend la suite, avec une amende de 1 500 euros et une mention au casier judiciaire, sans oublier naturellement les éventuels dommages civils.
Ce n’est pas rien, mais en sortant du champ délictuel, on sort également du cadre de la flagrance. Le remplacement d’une serrure constitue-t-il un dommage léger ou « lourd » ? C’est à la jurisprudence d’en décider, mais si l’on se base par comparaison des compétences respectives des tribunaux d’instance ou de grande instance, on est clairement dans le cadre contraventionnel seulement.
Quoiqu’il en soit, la seule occupation d’un local ne peut constituer un indice de la commission d’un délit.

Troisième point, en admettant que l’entrée dans les lieux se soit effectuée suite à un délit, il est encore nécessaire que ce délit soit flagrant. Sinon, ce sont les règles de l’enquête préliminaire qui doivent s’appliquer. (Ce qui n’empêche pas une condamnation, bien entendu…) La jurisprudence étend le principe de flagrance pendant un délai de 24 à 48h. Le problème, c’est qu’il est le plus souvent impossible de dater l’entrée dans les lieux : ni le propriétaire ni le squatteur n’ont de preuves formelles, et on ne peut faire plus confiance à l’un qu’à l’autre. A cet égard, j’ai tendance à penser que le principe de la présomption d’innocence fait porter sur le propriétaire ou sur le ministère public la charge si ce n’est de la preuve, au moins d’indices sur la temporalité des évènements. De simples déclarations ne peuvent suffire. Les forces de l’ordre procèdent souvent à une enquête de quartier, en interrogeant les voisins, mais là encore, le fait que ces derniers n’aient rien vu ne me paraît pas suffisant pour établir une flagrance. Seriez-vous capable d’attester que votre voisin était ou pas chez lui ces dernières 48h ? Nous ne vivons pas (encore) dans une société de contrôle permanent.

Ces procédures de « flagrance » ont toujours existé en matière de squat, mais elles sont utilisées de plus en plus fréquemment, et avec un entrain nouveau depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir. Elles sont pourtant manifestement illégale, et les autorités le savent bien : À une occasion au moins, la présence de deux avocats a forcé les forces de l’ordre à réintégrer les squatteurs faute de titre d’expulsion, après plusieurs heures de négociation devant le bâtiment. Dans la plupart des cas, il n’y a pas même de poursuite ni de contrôle d’identité. Quant aux quelques garde à vue, elles ont jusqu’à maintenant toujours été classées sans suite en ce qui concerne les dégradations.

La volonté politique de faire la guerre aux pauvres est de plus en plus présente. Comme le Conseil Constitutionnel lui-même protège le domicile comme droit fondamental, et que les gouvernements qui se succèdent ne peuvent modifier les lois comme ils l’entendent, ils passent par des artifices qui relèvent de l’abus de pouvoir : les pauvres ne font pas de procès.

La trêve hivernale doit s’appliquer à Notre-Dame des Landes

La trêve hivernale est une vieille chose du droit au logement. Elle trouve son origine dans l’article 3 de la loi du 3 décembre 1956, signé entre autres par le président René Coty, et le garde des sceaux, un certain François Mitterrand. A l’époque, elle s’applique à tous, quelque soit le statut légal de l’occupation. En fait, l’article premier de cette loi, qui permet aux juges d’accorder des délais renouvelables excédant une année précise même cette possibilité est ouverte sans les occupants aient à justifier d’un titre à l’origine de l’occupation. La seule exception prévue par la loi, c’est lorsque les locaux occupés sont concernés par un arrêté de péril : si l’immeuble est dangereux, les forces de l’ordre peuvent procéder à l’expulsion.

Pendant trente-quatre ans, la formulation de la loi ne bouge pas. Elle se trouve simplement intégrée dans le nouveau Code de la construction et de l’habitation en 1978. Au début des années 90, deux lois viennent coup sur coup modifier la trêve hivernale : en mai 1990, la trêve est étendue au 1er novembre en place du 1er décembre initial, puis en juillet 1991, apparaît la petite phrase intéressante : « Les dispositions du présent article ne sont toutefois pas applicables lorsque les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait. » Une toute dernière codification en juin a fait passer cette disposition dans le code des procédures civiles d’exécution.

La question de l’entrée dans les lieux par voie de fait se retrouve très régulièrement devant les tribunaux dans le cas des squatteurs, car en plus de la trêve hivernale, elle conditionne souvent, selon l’appréciation des juges, l’octroi des deux mois de délais prévus à l’article L412-1 du Code des Procédures Civiles d’Exécutions.

La jurisprudence exprime clairement que la voie de fait ne se présume pas, et que la seule occupation sans droit ni titre n’en constitue pas une. (CA Paris 08/02967, TI Paris 8 12-07-000112, TGI Paris 07/50407, TI Villeurbanne 12-05-000063…) La voie de fait est par contre établie dès lors qu’il y a dégradation, ou même simplement effraction ou escalade. En fait, il est de la responsabilité d’un propriétaire de clore son terrain ou son bien, et l’on ne peut priver des protections légales un occupant lorsque celui-ci s’est contenté de pousser la porte.

Ça, c’est le cadre général, qui concerne tous les squats. Mais Notre-Dame des Landes n’est pas une occupation comme les autres :

Les immeubles dont il est question ont été bâtis lors de la manifestation du 17 novembre. Ils sont occupés depuis lors, et constituent par conséquent un domicile au sens pénal. Or, les indemnités d’expropriation n’ont été versées à l’agriculteur que le 23 novembre, soit six jours plus tard. La société Aéroports du Grand-Ouest n’est donc absolument pas fondée à se plaindre d’une voie de fait qui aurait eu lieu (si elle a eu lieu) avant qu’elle ne devienne propriétaire du terrain.

L’ordonnance sur requête du 11 décembre fait état d’une installation « au mépris de l’apposition de scellés. » S’il est incontestable que le bris de scellés constitue une voie de fait, (c’est même une infraction pénale), les scellés n’ont été posés que lors de l’opération de police du 23 novembre, bien après l’entrée dans les lieux, ce qui rend impossible l’imputation de ce fait pour obtenir une suppression de la trêve hivernale. Il faudrait par ailleurs savoir si les scellés empêchaient réellement l’accès aux habitations, l’article L480-2 du Code de l’Urbanisme n’évoquant que les matériaux approvisionnés ou le matériel de chantier.

Ajoutons qu’il existe de sérieux doute sur la légalité de l’opération ayant conduit à l’apposition des scellés : un doute sur la propriété réelle du terrain à l’heure de l’intervention, mais surtout une potentielle violation de domicile de la part des forces de l’ordre. (Art. 432-8 du code pénal.)

Si l’article L412-1 du Code des Procédures Civiles d’Exécutions laisse libre appréciation au juge de supprimer ou de réduire les deux mois de délais légaux, l’article L412-6, qui concerne la trêve hivernale, s’impose à tous, y compris lorsque le local ne constitue pas l’habitation principal des occupants, ou qu’il est à usage professionnel. En droit, on voit donc mal comment une expulsion pourrait avoir lieu à Notre-Dame des Landes avant le 15 mars prochain.

Mais il semble que le droit soit entré là-bas dans une zone de turbulence importante.

Troisième nullité dans l’ordonnance sur requête ?

Bien, je l’ai déjà dit, je ne suis pas juriste, et je peux laisser échapper des choses qui paraitraient flagrantes à d’autres. Mais, en me penchant à nouveau sur l’ordonnance sur requête du 11 décembre 2012, je pense avoir décelé un nouveau petit problème.

Une ordonnance sur requête, comme son nom l’indique, ça fait suite à une requête. Et, en effet, la deuxième phrase de la décision, après le nom du juge qui la rend, c’est le visa de la requête :

Vu la requête de Monsieur le préfet de Loire-Atlantique parvenue au greffe (le) 11 décembre 2012,

Rien ne vous choque ? Descendons un peu plus bas :

Qu’il convient de relever que depuis l’ordonnance d’expropriation de la parcelle considérée, les indemnités ont été versées aux propriétaires expropriés (nom des personnes); qu’il s’ensuit que la société AGO, concessionnaire de l’État est pleine propriétaire des lieux;

Une rapide vérification montre que la société Aéroports du Grand Ouest est une société par action simplifiée, filiale de Vinci, et bénéficiaire d’une concession de service public, et que son président est M. Nicolas NOTEBAERT. Cette société possède donc une personnalité juridique propre.

Il existe un vieil adage de droit français « Nul ne plaide par procureur ». L’État, dont le préfet est le représentant, n’est pas propriétaire de la parcelle, et n’a donc aucun droit à agir en place de la société AGO.

Mais il est vrai qu’il y a parfois quelques porosités entre l’État et Vinci…

Notre-Dame des Landes, double nullité de l’ordonnance

Après avoir ordonné mardi la destruction des cabanes construites à Notre-Dame des Landes, le tribunal de grande Instance de Nantes s’est probablement rendu compte que la loi n’autorise pas de faire effondrer les murs sur les occupants des lieux. La préfecture devait être très désappointée, mais qu’à cela ne tienne, le bon président du tribunal a trouvé la solution : il suffit de prendre dans son bureau, et surtout sans prévenir les avocats présents pour la première affaire, une ordonnance sur requête pour pouvoir expulser, en plein hiver, les habitants de leur domicile.

Une ordonnance sur requête, quèsaco ?

Les articles 493 et suivant du code de procédure civile nous dit qu’elle est « une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse. »

Elle n’est pas contradictoire, le juge ne statuant qu’au vu des pièces du requérant, ici la préfecture. Elle est donc réservée à un certain nombre de cas précis, par exemple pour éviter la destruction de preuve. C’est la procédure qu’a suivi François Fillon pour faire mettre sous scellée les données électorales à l’UMP. L’ordonnance sur requête est également possible dans le cas d’occupation sans droit ni titre où les occupants ne sont pas identifiables, ce qui est invoqué dans le cas présent. L’idée étant qu’on ne puisse pas échapper à l’expulsion simplement en refusant de donner son nom.

L’ordonnance sur requête est provisoire, car toute personne concernée par elle peut demander au juge qui l’a prise sa rétractation. Il y a alors un débat contradictoire entre les parties, à la suite duquel le juge confirme ou rétracte l’ordonnance. Dans les deux cas, un appel ultérieur est encore possible.

Enfin, l’ordonnance sur requête est exécutoire sur minute. Dès lors qu’elle est prise, les forces de l’ordre peuvent la faire exécuter sans même avoir à notifier quoique ce soit aux personnes concernées. C’est bien entendu là-dessus que compte la préfecture pour pouvoir expulser, dès six heures du matin, les cabanes de Notre-Dame des Landes.

Sauf que…

Sauf que dans leurs précipitations, ils ont oubliés un petit détail : l’article R.221-5 du code de l’organisation judiciaire. Ce n’est pas le tribunal de grande instance qui est compétent, mais le tribunal d’instance, seul. En effet, bien qu’on continue à parler de cabanes, il s’agit bien juridiquement d’immeubles bâtis (et la décision ordonnant leur destruction ne fait que le confirmer). Et il est difficilement contestable que l’occupation est faite aux fins d’habitation.

Une telle confusion entre tribunaux compétents suffit à faire annuler l’ordonnance, comme le montre la jurisprudence de la Cour d’appel de Paris. (RG°11/04776)

Par ailleurs, dans le cadre d’une occupation sans droit ni titre, l’ordonnance sur requête ne peut être employée qu’après avoir apporter la preuve que les occupants ne sont pas identifiables. Or, d’une part l’avocat de certains occupants indique qu’ils se sont officiellement déclarés à la préfecture le lundi 10, soit avant que la requête ne soit présentée au juge. Par ailleurs, il parait difficilement défendable de considérer les occupants comme non identifiable sans même avoir chargé un huissier d’établir cette identité.

Là encore, la jurisprudence constante fait annuler ou rétracter l’ordonnance dans ce cas :

Or, le respect du principe fondamental de la contradiction exige que les exceptions qui y sont faites ne le soient que lorsqu’a été acquise de façon certaine la certitude qu’il est impossible d’identifier les personnes concernées par l’action envisagée. TGI Bobigny, RG°11/01168

Avec deux causes flagrantes de nullité, on sourit en pensant à la phrase de la préfecture de Loire-Atlantique : « Ces décisions disent l’État de droit. » Elles disent surtout la panique de cet État.

Ordre et Justice

La prison des Baumettes, à Marseille, fait encore un peu parler d’elle. Le contrôleur général des lieux de privations de liberté a utilisé une procédure d’urgence pour demander au gouvernement de répondre à ses observations. Le contrôle a « fait apparaître, sans aucun doute, une violation grave des droits fondamentaux, notamment au regard de l’obligation incombant aux autorités publiques (…) de préserver les personnes détenues de tout traitement inhumain et dégradant. » La situation n’est pas nouvelle, comme le rappelle l’avocat Gilles Devers.

Mais, alors que de tels manquements aux règles de droit devraient faire la une des journaux, tout le monde (ou presque) s’en fout. Après tout, ce ne sont que des prisonniers, ils n’avaient qu’à être honnête comme tout le monde ! Alors que la majorité des détenus n’ont même pas dû être jugés…

On retrouve cette situation où l’État se met hors-la-loi, au nom de l’ordre et la sécurité, dans bien d’autres situations.

Je ne me considère pas comme totalement angélique, non. Sans parler d’une société de justice « idéale », car toute le monde à sa vision de la justice (et celle de l’IPJ, par exemple, n’est pas la même que la mienne), j’ai le sentiment que l’État de droit recule en France, non pas du fait des délinquants, mais du fait de l’État lui-même.

Après, le droit a toujours fait que les puissants étaient mieux protégés que les faibles. Mais au moins il était respecté.

Je n’ai pas d’exemples généraux, je ne suis pas juriste et ne suis pas la situation d’assez près. En revanche, je connais (très) bien la situation des squats à Paris, par expérience personnelle ou pour avoir fait des recherches sur les années précédentes. Le squat est de plus en plus souvent traité comme une infraction pénale qu’il n’est pas, les expulsions policières illégales se multiplient. Les policiers vont jusqu’à expliquer aux propriétaires qu’ils n’ont qu’à dire être passé la veille dans le bâtiment pour obtenir l’expulsion, quand bien même les squatteurs sont dans le bâtiment depuis plusieurs semaines.

Des expulsions en violation de la trêve hivernale se font de plus en plus souvent, alors que la trêve hivernale s’applique aux squatteurs, sauf décision motivée du juge. Sans qu’il y ait de relogement, en violation de la loi là encore. Pourtant, l’hébergement est un droit fondamental, reconnu comme tel par le Conseil d’État, et l’État justement se fait régulièrement condamné sur le sujet. Mais la part de sans-abris capable de rédiger un référé-liberté sur le trottoir est assez faible. Les CRS vont jusqu’à suivre les groupes délogés pour les empêcher de se réinstaller ailleurs, et les contraindre à rester à la rue.

Ce ne sont pas des bavures ponctuelles, commises par des fonctionnaires sous le coup du stress, mais c’est une politique qui est validée au plus haut niveau de l’État. (Des témoignages crédibles font état d’intervention du cabinet du premier ministre pour ordonner de telles expulsions).

En agissant ainsi contre le droit, l’État détruit par lui-même ce qui le fonde. Il ne faut pas s’étonner alors que d’aucuns cherchent à se faire justice eux-mêmes, comme à Marseille. Et ils auraient bien tort de s’en priver, de leurs points de vue, puisqu’on traite plus durement l’occupation sans droit ni titre que les violences et les violations de domiciles, quand ce sont des Roms les victimes.

Ces phénomènes ont certes toujours existé, mais ils étaient ne serait-ce qu’il y a dix ans, marginaux. Aujourd’hui, ils deviennent la norme. Ce qui pose d’autres problèmes, car les squats doublaient très efficacement les hébergements d’urgence, et la guerre aux squats se traduit par un engorgement encore plus important des structures officielles.

Alors que pas mal de squatteurs espéraient que l’arrivée de la gauche au pouvoir marquerait, non pas une tolérance des squats, mais un simple retour au respect de la loi, Manuel Vals a considérablement amplifié le mouvement. En toute illégalité.

Voilà ce qui m’inquiète et me fait dire qu’on passe d’une société de justice à une société d’ordre : la justice expulsait, mais permettait aux squatteurs de se défendre, en laissant le temps d’une occupation temporaire. Au nom d’un ordre moral, on expulse maintenant en violation flagrante de la loi. Sans que la justice ne réagisse énormément.

Pourtant, il existe un squat à Paris, dont la justice a ordonné l’expulsion il y a plus de 35 ans. A vrai dire, la prise du squat constituait vraisemblablement le délit de violation de domicile (au moins) compte tenu des circonstances particulières. L’État a même été condamné il y a 25 ans à payer des indemnités à l’affectataire légal, pour ne pas avoir expulsé. Pour ce bâtiment seul, la jurisprudence Couitéas existe, exécuter les décisions de justice n’est pas obligatoire.

Les catholiques intégristes squatteurs de Saint-Nicolas du Chardonnet vous saluent bien.

Squatter n’est pas illégal

squatters-handbookLe sénateur Dallier demande au gouvernement ce que celui-ci compte faire pour censurer les sites Internet qui diffusent des « guides du squatteurs ». Ces guides, en effet, donneraient des conseils pour l’organisation de la vie quotidienne dans le squat, et même des procédures à suivre pour « préparer sa défense ».

Faisant peu de cas de la liberté d’expression, brandissant le code pénal et la défense du droit de propriété « individuel » –la propriété des grandes sociétés ne mérite pas les mêmes droits ? – il oublie quelques points juridiques pourtant importants.

Squatter n’est pas illégal

On ne trouvera nulle part dans la loi un texte qui interdise d’occuper un bâtiment vide. Bien au contraire, la loi prévoit que l’occupant puisse devenir propriétaire, si nul n’a contesté l’occupation pendant trente ans1. Situation théorique sans doute, mais qui montre bien qu’il n’est pas (encore) interdit de se chercher un toit.

Ce qui constitue un délit, c’est la violation de domicile2. Depuis le XIXème siècle, la Cour de Cassation a eu le temps de définir précisément la notion de domicile, qui en France recouvre un champ assez large. Est un domicile votre logement bien sûr, que vous y soyez ou non, mais également votre maison de vacances, l’appartement de la grand-mère à l’hôpital depuis six mois, les bureaux/ateliers de votre entreprise… et le squat dans lequel vous logez.

Dans le cas d’une violation de domicile, en plus des risques encourus (un an de prison tout de même), la police procède à l’expulsion des occupants quelle que soit la durée de leur occupation. Elle en a même l’obligation3, à la différence des expulsions locatives que la préfecture peut différer. C’est pour cela que les guides de squats sont clairs : « Ne jamais faire de violation de domicile ! » On est bien loin de l’incitation au délit…

L’autre délit qui est utilisé fréquemment pour lutter contre le squat, c’est la dégradation4. Là encore, plutôt que d’y inciter, ces guides indiquent comment l’éviter, puisque ce délit est largement utilisé par la police pour obtenir l’expulsion, parfois en toute illégalité.

Alors certes, le squat est une atteinte au droit du propriétaire, et les squatteurs sont presque toujours condamnés. Tout comme un homme a été condamné à payer 10 000 euros à sa femme qu’il n’avait pas honorée. Faut-il pour autant interdire tous les livres qui prônent l’abstinence ?

Mais évidemment, il est plus facile de censurer quelques sites Internet que de faire appliquer la loi, lorsqu’elle dit que toute personne a droit au logement et au respect de son domicile. Y compris les squatteurs.

[1] Articles 2258 à 2275 du code civil
[2] Article 226-4 du code pénal
[3] Article 38 de la loi 2007-290 du 5 mars 2007
[4] Article 322-1 du code pénal

Une histoire de la Marquise

Cet article a été publié précédemment sur un libéblog tenu par Jeudi Noir.
Ce billet est la suite de celui-ci

La question de base est celle d’un préjudice, tout court. Face aux mensonges de Me Améli et Me Waroquier, les avocats de Mme Cottin, qui prétendaient que leur cliente habitait place des Vosges, la juge de première instance avait condamné à de lourdes indemnités. Le temps de la procédure nous a permis de rassembler beaucoup de documents: la propriétaire est domiciliée fiscalement dans le 8ème arrondissement, l’intégralité des appartements place des Vosges sont soumis à la taxe sur les logements vacants, mais elle a obtenu un dégrèvement car «le bâtiment est en travaux et inhabitable». Des articles de journaux montrent que le bâtiment a été investi, déjà, en 1994, en 2007. A chaque fois la police est intervenue, en dehors de tout cadre judiciaire. On sait que Mme Cottin est hébergée depuis deux ans en maison de retraite, on trouve même son ancien domicile: rue François Miron, à deux pas de la place des Vosges. Ironie du sort, Mme Cottin a été condamnée à être expulsée de cet appartement en 1996, et n’a pu y échapper qu’en prouvant à la justice qu’il s’agissait de son domicile principal. L’enquête de police, lancée suite à la plainte pour violation de domicile, aboutit aux mêmes conclusions: classée faute d’infraction.
Le cynisme des représentants de Mme Cottin est sans borne: En mai, Mme Gozard, sa tutrice, vient nous demander si nous accepterions de stocker les affaires provenant de la rue François Miron, pour éviter de payer un garde meuble. L’état de santé de la vieille dame ne lui permet pas de réintégrer son appartement, qui est donc rendu. Les avocats plaident toujours qu’elle doit venir habiter place des Vosges, dans un immeuble sans chauffage et sans eau chaude, dès que nous libèrerons la place. Et menacent insidieusement, en écrivant dans leurs conclusions que nous n’avons pas conscience que la production en justice de fausses attestations nous expose à des poursuites pénales…

Restent les travaux, «d’une exceptionnelle qualité» dixit les avocats. Ils ont eu lieu, par intermittence, entre 1965 et 1995. Avec un permis de construire en 1965, des efforts importants pour préserver le bâtiment ont été entrepris les premières années, c’est vrai. Mais ensuite… Lorsque l’Architecte des Bâtiments de France refuse l’autorisation d’agrandir les lucarnes, le ministre de l’époque l’accorde. En 1975, Mme Cottin fait l’objet d’un procès-verbal et les travaux sont interrompus par l’administration: elle a simplement démoli une voute du XVIème pour faire passer un escalier et creusé 125m2 de caves en partie sous le bâtiment, en partie sous la cour. Le tout bien entendu sans aucune autorisation. En 1978, l’Architecte en Chef des Monuments Historiques du secteur écrit au ministère de la culture: «je ne peux m’empêcher de vous dire aujourd’hui ma très vive inquiétude devant la croissante dégradation de cet édifice, la propriétaire n’assurant même pas les plus élémentaires mesures conservatoires telles que par exemple le bouchement des brèches existant dans son toit.» La même année, le conservateur des Bâtiments de France pointe «la mauvaise foi de Mme COTTIN qui tente de mettre à la charge de l’administration les lenteurs dont seuls ses multiples atermoiements sont la cause.» Quatorze ans plus tard, en 1992, un Architecte des Bâtiments de France: «L’Hôtel de Mme COTTIN est l’un des plus beaux de la place des Vosges; il est partiellement restauré, vide, les carreaux des fenêtres sont cassés, les baies de rez-de-chaussée sont fermées par des palissades. Cet abandon est choquant et il me semble nécessaire de voir avec Mme COTTIN, à l’amiable, comment elle envisage la mise en valeur de sa propriété.»
Les travaux sont un désastre, les malfaçons succèdent aux erreurs de conception. La plupart ont été réalisés dans l’illégalité. Si la loi avait été appliquée, Mme Cottin aurait risqué six mois de prison. Pour un bâtiment de la taille et de la qualité de l’hôtel de Coulanges, il est particulièrement surprenant qu’il n’y ait jamais eu de poursuites, alors même que la Commission Supérieure des Monuments Historiques le demandait.
Bien entendu, il ne nous appartient pas de juger cet état de fait, d’autant qu’il y a prescription depuis longtemps. Mais user de ces travaux pour justifier un préjudice qu’aurait subi Mme Cottin…
Il y a prescription, car plus rien n’a bougé dans le bâtiment depuis le milieu des années 90. Les pigeons se sont installés sous les poutres peintes, maculant les planchers de fientes, les arbres ont poussé sur la terrasse, perçant l’étanchéité, bouchant les gouttières, les canalisations ont gelé, entrainant un dégât des eaux du quatrième étage jusqu’au rez-de-chaussée… Il y eu les tentatives d’occupation: un bâtiment comme celui-ci, vide! En 1994, l’intervention des forces de l’ordre dégénère, avec des vitrines brisées dans le quartier. En 2007, la préfecture de Police prévient la propriétaire que «les locaux sont susceptibles d’intrusion à tout moment» et lui demande d’entreprendre des travaux pour y remédier. Rien ne sera fait, jusqu’à notre expulsion. Mais quel est le coût pour la société, de toutes ces interventions de police? Au-delà de la responsabilité évidente des occupants, est-ce qu’il n’y a pas carence de la propriétaire?
La Cour d’appel, bien entendu, n’a pas à statuer là dessus. Devant nos documents, elle reconnaît, quand même, que le bâtiment était vide, qu’il ne peut être mis en location dans de courts délais. Que par conséquent, l’indemnité ne peut être fixée en référence au prix du marché locatif. Elle est donc fixée à 8 000 €. En fait, l’ordonnance de janvier, avec ses 25 000 €, n’avait pas dit autre chose: pour 1500m2, le prix du marché locatif place des Vosges est un peu plus élevé que ça. Dans les deux cas, il s’agit donc d’un préjudice moral. Entre 25 000 et 8 000 €, il n’y a que l’arbitraire des juges. Après tout, nous sommes chanceux, on est loin des 42 millions estimés de la moralité de Bernard Tapie.