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Rue de Sèvres, le soulagement

IMG_9634Dernière étape d’une procédure déjà vieille de cinq ans, la Cour d’Appel de Paris a condamné hier huit jeunes précaires à payer 23 000 euros à une propriétaire multi-millionnaire. Leurs faute ? S’être abrité pendant quinze mois, d’avril 2008 à juin 2009, dans un immeuble à l’abandon.

S’il y a parfois des personnes qui ne sont pas éloignées de la caricature du richissime vieillard acariâtre, la propriétaire du 69, rue de Sèvres en fait partie. Domiciliée fiscalement en Belgique, possédant en nom propre plusieurs appartements et immeubles à Paris et Neuilly, détenant des parts dans une société immobilière luxembourgeoise, elle laisse véritablement pourrir sur place une part non négligeable de son patrimoine, au grand désespoirs des municipalités concernées.

Non réquisitionnable par les limitations de la loi de 1998, l’immeuble reste toujours vide, malgré les menaces qu’il pourrait faire courir aux voisins et au passant : les nombreuses infiltrations causent des dégâts à la structure en bois de cette construction du XVIIIème siècle.

Pourtant, c’est avec un soupir de soulagement que la nouvelle de la condamnation a été accueillie par les personnes concernées. C’est que, condamnées en première instance à 80 000 euros, elles s’en voyaient réclamer 245 000 par la propriétaire. Cette dernière réclamait en effet les loyers d’un immeuble qu’elle n’avait jamais mis en location. Elles n’auraient jamais pu inventer cet argent qu’on leur demandait. Au moins, 23 000 euros, même si c’est un effort financier conséquent pour les anciens habitants de la rue de Sèvres, c’est une somme qui pourra être payer. Et mettre fin à l’angoisse de ces cinq ans de procédures, ne plus avoir à vivre au jour le jour est la priorité de tous.

A juste titre, la Cour a estimé qu’en l’absence d’activité dans l’immeuble (pour les étages, on parle en décennies de vacance…), la propriétaire ne pouvait se prévaloir d’un quelconque préjudice économique. En revanche, elle a estimé que la seule atteinte à la propriété causait un préjudice à hauteur de 1500 euros par mois. Pour ma part, je n’arrive pas à considérer cette somme autrement que comme un enrichissement sans cause de cette propriétaire.

Certes, la justice applique le droit et non la morale. Mais quel préjudice à être passé dans un immeuble à l’abandon ? Quel montant pour ces indemnités ? Hier, l’État a également été condamné, pour la violation des droits fondamentaux. Alors que ce dernier a l’obligation légale d’héberger, il a mis à la rue plusieurs familles avec enfants. Résultat ? Une astreinte de 75 euros par jour, soit 2250 euros par mois. Quand on regarde la jurisprudence sur cette obligation d’hébergement, on se rend compte que c’est une des astreintes les plus importantes, dans la plupart des cas, elles n’existent même pas.

Alors parlons droit, parlons préjudice et indemnité. Voir un de ses immeubles vide occupé par des personnes qui n’ont pas d’autres choix pour s’abriter, cause-t-il réellement un préjudice supérieur ou même comparable à celui de devoir dormir à la rue, sous la pluie ?

Aujourd’hui, non, si je fête avec ces amis leur soulagement, je me refuse à parler de victoire.