Archives mensuelles : janvier 2013

La « flagrance » en matière de squat

20091121_035La politique actuelle visant à chasser les squatteurs de Paris, les expulsions en flagrance comme celle de la rue saint-Marc ou celle diligentée par le parti communiste se font de plus en plus fréquente. Pourtant, bien que menée par la police, elles sont dans la plupart des cas totalement illégales et relèvent clairement de l’abus de pouvoir.
La police et la justice se basent sur les articles 53 à 74-2 du Code de Procédure Pénale, qui parlent des mesures spéciales dans le cas d’un crime ou délit flagrant.

 Premier point qu’il est important de rappeler, l’occupation sans droit ni titre, n’est pas un délit et encore moins un crime. En fait, ce n’est pas même une contravention. Le squat peut éventuellement causer un préjudice au propriétaire, amenant une condamnation au motif de l’article 1382 du Code Civil, mais en théorie, la puissance publique n’a pas à y mettre son nez. La seule exception étant évidemment la violation de domicile, punie d’un an de prison, mais il existe dans ce cas une autre procédure spécifique, définit à l’article 38 de la loi n°2007-290 du 5 mars 2007 et surtout, elle est en pratique rarissime : il existe suffisamment de locaux vides pour que les squatteurs n’aillent pas prendre des risques inutiles.

Deuxième point, et je parle d’expérience, il est relativement facile de pénétrer dans des locaux vides sans commettre de dégradation, réprimée à l’article 322-1 du Code Pénal. Sans prétendre que les portes ou les fenêtres sont systématiquement ouvertes (mais ça arrive beaucoup plus fréquemment qu’on ne le croit !), je ne connais pas de bâtiment vide qui puisse résister pour peu qu’on s’en donne les moyens. L’escalade ou l’effraction, telles que définies aux articles 132-73 et 132-74 du code pénal, ne constituent même pas des infractions et ne sont pas en tant que telles des dégradations. (En revanche, elles constituent clairement des voies de fait faisant disparaître le bénéfice de la trêve hivernale, mais c’est une autre histoire)
J’ajouterai que l’article 322-1 punie les dégradations, sauf s’il n’en est résulté qu’un dommage léger. En de tel cas, c’est l’article R635-1 qui prend la suite, avec une amende de 1 500 euros et une mention au casier judiciaire, sans oublier naturellement les éventuels dommages civils.
Ce n’est pas rien, mais en sortant du champ délictuel, on sort également du cadre de la flagrance. Le remplacement d’une serrure constitue-t-il un dommage léger ou « lourd » ? C’est à la jurisprudence d’en décider, mais si l’on se base par comparaison des compétences respectives des tribunaux d’instance ou de grande instance, on est clairement dans le cadre contraventionnel seulement.
Quoiqu’il en soit, la seule occupation d’un local ne peut constituer un indice de la commission d’un délit.

Troisième point, en admettant que l’entrée dans les lieux se soit effectuée suite à un délit, il est encore nécessaire que ce délit soit flagrant. Sinon, ce sont les règles de l’enquête préliminaire qui doivent s’appliquer. (Ce qui n’empêche pas une condamnation, bien entendu…) La jurisprudence étend le principe de flagrance pendant un délai de 24 à 48h. Le problème, c’est qu’il est le plus souvent impossible de dater l’entrée dans les lieux : ni le propriétaire ni le squatteur n’ont de preuves formelles, et on ne peut faire plus confiance à l’un qu’à l’autre. A cet égard, j’ai tendance à penser que le principe de la présomption d’innocence fait porter sur le propriétaire ou sur le ministère public la charge si ce n’est de la preuve, au moins d’indices sur la temporalité des évènements. De simples déclarations ne peuvent suffire. Les forces de l’ordre procèdent souvent à une enquête de quartier, en interrogeant les voisins, mais là encore, le fait que ces derniers n’aient rien vu ne me paraît pas suffisant pour établir une flagrance. Seriez-vous capable d’attester que votre voisin était ou pas chez lui ces dernières 48h ? Nous ne vivons pas (encore) dans une société de contrôle permanent.

Ces procédures de « flagrance » ont toujours existé en matière de squat, mais elles sont utilisées de plus en plus fréquemment, et avec un entrain nouveau depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir. Elles sont pourtant manifestement illégale, et les autorités le savent bien : À une occasion au moins, la présence de deux avocats a forcé les forces de l’ordre à réintégrer les squatteurs faute de titre d’expulsion, après plusieurs heures de négociation devant le bâtiment. Dans la plupart des cas, il n’y a pas même de poursuite ni de contrôle d’identité. Quant aux quelques garde à vue, elles ont jusqu’à maintenant toujours été classées sans suite en ce qui concerne les dégradations.

La volonté politique de faire la guerre aux pauvres est de plus en plus présente. Comme le Conseil Constitutionnel lui-même protège le domicile comme droit fondamental, et que les gouvernements qui se succèdent ne peuvent modifier les lois comme ils l’entendent, ils passent par des artifices qui relèvent de l’abus de pouvoir : les pauvres ne font pas de procès.