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Non, monsieur Eckert, vous n’êtes pas victimes « d’attaques d’une violence incroyable » !

1024px-Fleurcup_and_tamponsNon, M. Eckert, vous n’êtes pas victimes « d’attaques d’une violence incroyable » !

Naïvement, je pensais que la violence incroyable, c’était quand toutes les femmes se faisaient harceler dans les transports, dans la rue, au travail ou à l’université. je pensais que la violence, c’était les 83 000 viols de femmes chaque année. Que c’était quand l’État nie les viols en les correctionnalisant. Que c’était quand une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint.

Mais non, la violence, la vraie, c’est que des femmes osent interpeller un ministre (sur Twitter !)

Vous faites, parait-il, les courses pour vos filles et votre femme. La belle affaire ! Mais rappelez-vous que toutes n’ont pas un ministre comme père ou mari. Rappelez-vous que les hommes gagnent en moyenne 36% de plus que les femmes1 !

Oui, cette diminution de la TVA n’entraînerait qu’une baisse limitée à 30 à 50 centimes par paquets. Limitée, mais non négligeable. C’est ce principe qui a conduit à la baisse de la TVA sur les préservatifs.

Même cette chose minuscule (0,15% du CICE) est refusée ! Pourtant, malgré les positions de principe, les périmètres des taux de TVA varient chaque année. Quand ce ne sont pas les œuvres d’art qui passent de 10 à 5,5%, c’est la TVA sur les rencontres sportives qu’on créé. Qu’on créé, mais en supprimant deux impôts existants, histoire que les clubs en sortent gagnant, ce que vous même avez reconnu.

Vous avez reçu 25 tweets. « Le poids du lobbying » s’exclame une députée. On voit le résultat ! Il est clair que l’UEFA ou la ligue de football ne passent pas par Twitter pour n’être taxées qu’à 5,5%. Mais nous ne lâcherons pas. Les réactions suite au refus du gouvernement, dépassant de très loin tout ce qu’on aurait pu imaginer, montre l’importance du sujet. Ce n’est pas un lobby, c’est la moitié de la population française.

(1) Pour M. Eckert, c’est plutôt 445% de plus…

Samaritaine, Fondation Louis Vuitton. L’architecture et le droit

La récente annulation du permis de construire de la Samaritaine est pour moi l’occasion de revenir sur les péripéties de la fondation Louis Vuitton récemment inaugurée. Les points communs sont assez nombreux puisqu’on y trouve à chaque fois les intérêts de la mairie de Paris et de LVMH, confrontés à des associations de riverains particulièrement tenaces. Querelle des anciens contre les modernes ? Comme toujours, c’est peut-être plus nuancé.

Remontons donc quelques années en arrière, quand la fondation Louis Vuitton a fait appel à l’architecte-star Franck Gehry pour construire un musée sur les terres du bois de Boulogne.

Le 8 avril 2007, la mairie de Paris accorde donc par un arrêté, le permis de construire du bâtiment. Très rapidement, une association forme un recours au tribunal administratif contre cet arrêté, ce qui est la voie classique du recours dans ce cas. Ce qui est moins classique, c’est que la même association avait auparavant attaqué le nouveau règlement d’urbanisme, adopté en juin 2006. Elle est bien déboutée par le tribunal administratif en août 2007, mais qu’à cela ne tienne, elle fait appel.

En février 2009, la cour administrative d’appel réforme le jugement et annule l’ensemble du règlement d’urbanisme de la zone N, celle qui concerne le bâtiment. Dans ce cas, c’est le règlement précédent, le POS, qui redevient le texte de référence. Ça commence à sentir le roussi, car évidemment l’architecte n’a pas basé son projet sur un règlement alors abrogé. C’est au tour de la mairie de Paris de faire un pourvoi devant le Conseil d’État.

En juin 2010, le Conseil d’État valide le raisonnement de la cour d’appel, en en limitant la portée aux seuls articles N6 et N7 du règlement. Le tribunal administratif peut donc dès lors statuer sur la conformité du permis de construire à un texte abrogé au moment de son élaboration…

Et, en janvier 2011, le tribunal administratif annule le permis de construire. Là, ça devient la panique chez les promoteurs du projet. Dans un élan d’union nationale après le douloureux souvenir de l’abandon du projet de Tadao Ando sur l’île Seguin, gauche et droite s’allient pour tenter de sauver le soldat Vuitton. Quelques jours après la décision du tribunal, un article est inséré dans la loi sur le prix du livre numérique :

Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validés, à la date de leur délivrance, les permis de construire accordés à Paris en tant que leur légalité a été ou serait contestée pour un motif tiré du non respect des articles ND6 et ND7 du règlement du plan d’occupation des sols remis en vigueur à la suite de l’annulation par le Conseil d’État des articles N6 et N7 du règlement du plan local d’urbanisme approuvé par délibération des 12 et 13 juin 2006 du conseil de Paris.

Le nombre de permis concernés par cette loi ? Un seul. La séparation des pouvoirs législatif et judiciaire ? Mais voyons, la ville de Paris a fait appel, la décision n’est pas définitive, il n’y a pas de problème… Le lien entre le prix du livre numérique et la construction d’un musée ? euh…

Évidemment, l’association dépose immédiatement une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil Constitutionnel. Lequel valide l’article, alors qu’on l’a connu plus sourcilleux sur les cavaliers législatifs. Mais « La disposition contestée répond à un but d’intérêt général suffisant ».

La cour d’appel administrative se paie alors le luxe de critiquer très sévèrement le conseil Constitutionnel dans cinq considérants qui rappellent le droit à un procès équitable et considèrent comme inapplicable une validation législative d’un permis de construire. Elle valide toutefois le permis de construire du bâtiment, en juin 2012, soir plus de cinq ans après son dépôt.

 Qu’est-ce que nous apprends cette histoire sur l’architecture ? D’abord, qu’on a tort d’en faire des héraut de la liberté architecturale. La fondation Louis Vuitton, tout comme le projet de la Samaritaine, sont des projets aux enjeux financiers énormes qui dominent toute la réflexion architecturale. Ils trouveront toujours des soutiens de poids hors de portée même d’architectes bien établis.

Ensuite, elle dit la difficulté de faire un bon règlement d’urbanisme. Si les articles ont été annulés dans le cas de la fondation Louis Vuitton, c’est qu’ils se contentaient de prescrire « une bonne insertion », demande trop floue pour avoir une valeur règlementaire. Et si le permis de construire de la Samaritaine est annulé, c’est toujours cette « insertion » qui pose problème. Il saute aux yeux que le projet ne respecte pas les matériaux ou les volumes de la rue de Rivoli. Est-ce un problème architectural en soi ? Non, l’architecture passe aussi par le jeu de contraste. Est-ce que les juges administratifs sont des vieux réacs qui sacquent un bâtiment par amour des vieilles pierres ? Non plus. Ils sont simplement contraints par le règlement d’urbanisme adopté par la ville de Paris.

Si l’on veut plus d’innovation en architecture et en urbanisme, il faut avant tout que les architectes s’emparent de ces questions au niveau politique et ne restent pas passifs devant les règlements qu’on leur impose. C’est un travail qui doit se faire en amont du projet architectural. Ne soutenir les très grands projets qui bénéficient de circonstances exceptionnelles, voire de passe-droit, ne sera qu’un leurre.

Présidente : celle qui préside, depuis 1835

DictionaryFrenchAcademy1835C’est une recherche que longtemps je n’ai pas faite, tant l’affaire me paraissait entendu. Dans la polémique Président/Présidente, l’Académie française donnait raison à Julien Aubert. Présidente ne désignait que la femme du Président, sinon ce n’était qu’un néologisme ou un médiévisme militant.
Après tout, que ces barbants barbons de l’Académie soient un peu réacs, la chose était entendue. Maurice Druon ne s’était-il pas exprimé, voilà quinze ans, sur le sujet ?
Et puis, je me suis demandé ce qu’en disait les dictionnaires.
Le Littré, d’abord, que j’aime beaucoup depuis qu’il m’a servi à séduire une agréable demoiselle1.
A l’entrée « Présidente » de ce dictionnaire de la fin du XIXe siècle ; voilà ce que l’on trouve :

1. Celle qui préside. La présidente d’une association de charité.
2. Femme d’un président. Madame la présidente. Madame la première présidente.

Ainsi donc, un dictionnaire ancien, qui fait référence, met en avant la femme qui préside et non pas l’épouse. Mais alors, qu’en est-il de l’Académie ?

Point d’entrée distincte dans la 9e édition de son dictionnaire, celle qui est encore en cours de rédaction. On y trouve une entrée commune, « président, -ente n. XIIIe siècle » Qui fait mention, naturellement, de la présidente en tant qu’épouse du président, mais pas seulement. Au détour d’un exemple, il y a bien Le président, la présidente d’une association, d’un club, d’une fédération. Alors certes, ce qui est valable pour une association ne l’est sans doute pas pour l’Assemblée Nationale, mais tout de même…

Ne nous arrêtons pas en si bon chemin, puisque s’il y a une neuvième, il y eut une huitième édition, en 1932. Qui, tiens, comporte une entrée « Présidente » :

PRÉSIDENTE. n. f. Celle qui préside une assemblée, une réunion. Elle est la présidente de cette œuvre de bienfaisance.
Il se dit aussi, en certains cas, de la Femme d’un président. Madame la présidente. Madame la première présidente.

De mieux en mieux. Non seulement la présidente est bien la femme qui préside, mais l’épouse du président ne se dit qu’en certains cas.
Les sources sur Internet sont lacunaires, mais, lors de la 6e édition, en 1835, nous avions déjà la femme qui préside. Finalement, mon bon vieux Littré ne faisait que suivre les préceptes de l’Académie.

Il est assez cocasse que cette dernière, dans sa mise au point récemment publiée, ne dise pas un mot de Présidente, pourtant l’objet du débat, alors qu’elle précise accepter depuis 1935 Bucheronne ou factrice…


1) Point de contradiction : si le générique impose un Madame, les particulières que je séduis sont toujours demoiselles à mes yeux.


Illustration : première page de la sixième édition du dictionnaire de l’Académie française, 1835. Wikimedia Commons

Petites saloperies habituelles

Cour administrative d'appel de Paris

Cour administrative d’appel de Paris

L’été c’est la période des vacances, de la plage et du farniente. Presque tout le monde en profite, et même si l’on n’a pas les moyens de partir, le rythme est souvent plus léger. Mais l’été, c’est aussi la période rêvée par le gouvernement pour faire passer un tas de petits décrets emmerdants, susceptible de faire grogner les Français. Profitez-en, ils pensent à autre chose. Et comme on est dans le décret, pas besoin de débat, pas besoin d’Assemblée, il suffit à l’administration de se réunir dans un ministère pour imaginer le texte. A la rigueur, si c’est important, on demandera l’avis du Conseil d’État.

Et là, Boum ! Ce sont les avocats spécialisés dans le code de la route qui ont levé le lièvre en premier. Par un décret publié le quinze août, pour un certain nombre de contentieux administratifs, le gouvernement supprime tout bonnement la possibilité de faire appel des décisions de justice. C’est valable donc pour les litiges liés aux permis de conduire, mais surtout, ce qui m’intéresse ici, c’est valable pour toutes les procédures DALO.

Alors, il faut comprendre le gouvernement, on fait des lois, on fait des lois, et quand on s’aperçoit qu’elles ne sont pas applicables, parce qu’on ne veut pas s’en donner les moyens, on est bien emmerdé ! Surtout quand on aggrave le problème en maintenant la politique sarkozyste d’expulsion massive, au lieu de revenir à la sagesse qui prévalait avant.

L’inconvénient, quand on donne des droits aux pauvres, c’est qu’il y en a toujours quelques uns pour essayer de les faire respecter. Oh, pas beaucoup, en proportion, mais ça suffit à engorger les tribunaux. (Oui, les pauvres sont nombreux…)
Plutôt que de résorber la crise du logement et de l’hébergement, plutôt que de donner quelques moyens à la justice, pourquoi ne pas supprimer une étape ?
Jusqu’alors, en cas de recours contre une décision administrative, il y avait trois étapes successives : le tribunal administratif, la cour administrative d’appel, puis le Conseil d’État. C’est le passage intermédiaire qui, dans une demi-douzaine de domaines, est purement supprimé.

Vous me direz, ce n’est pas bien grave puisqu’il reste le Conseil d’État ? Sauf que… Sauf que plaider devant ce Conseil n’a rien à voir avec un recours devant une cour d’appel. Il faut passer par des avocats spécialisés, la procédure est plus complexe, plus coûteuse. N’oubliez pas qu’on parle de personnes qui n’ont pas de logement adapté, voire pas de logement du tout. Imaginez suivre tout ça, quand vous êtes ballotés d’hôtel en hôtel.

L’accès à la justice est clairement déjà un problème (sans parler de certaines décisions). Dans la pratique, le gouvernement compte clairement sur le très faible nombre de recours pour, par exemple, procéder à des expulsions illégales sans trop de risque. Avec ce décret, il rend encore plus difficile cet accès. Une vraie petite saloperie du 15 août.

Militantisme et audition libre

{EDIT du 15/11/2013} : Après une discussion sur Twitter avec Simone, que je remercie et que je vous invite à suivre à l’occasion, il est apparu que les militants concernés dans ce texte n’était pas entendus sous le régime de l’audition libre, mais sous celui de la vérification d’identité. Ce qui est, convenons-en, un tantinet ennuyeux pour une note dont le titre est précisément Militantisme et audition libre.
Je laisse ce texte pour sa première partie et pour archive, et j’en prépare un second avec les nouvelles informations.

C’est une action comme on en a mené des dizaines. Pour dénoncer l’évasion fiscale, quoi de mieux que de rendre une petite visite à Reyl et Compagnie, la fameuse banque qui a déplacé le compte de Jérome Cahuzac depuis la Suisse vers Singapour ? Le collectif Sauvons les Riches et quelques autres militants s’étaient donc donnés rendez-vous au cœur du huitième arrondissement pour découvrir les locaux de cette société. Comme à leur habitude, les fonctionnaires de la Direction du Renseignement de la Préfecture de Police sont présents, et comme à leur habitude, ils viennent nous serrer la main avant que nous nous mettions en route. S’ils ne connaissent évidemment pas la « cible » avant que nous y entrions, ils communiquent en direct notre position à la hiérarchie et aux « bleus » sur le terrain. Voilà quelques temps, en effet, que nous ne nous déplaçons plus sans quelques véhicules d’une Compagnie de Sécurisation et d’Intervention. Déploiement de force bien inutile, les actions que nous pouvons mener étant bien entendu non-violentes, et ponctuelles puisque nous quittons toujours les lieux au bout de quinze à vingt minutes. (J’exclus les ouvertures ou tentatives d’ouverture de squats, qui se font sur des modes très différents, et surtout pas en pleine journée.)

Profitant d’une porte ouverte, les militants, au cri de Adieu, adieu la Suisse, tous à Fleury-Mérogis montent faire un peu de bruit dans les bureaux de Reyl, sous le regard un brin amusé du RG de service et des nombreux journalistes présents. Une administratrice de la banque prévient « Attention, vous vous attaquez à des choses que vous ne savez pas ! » Comment lui dire… À la descente, toutefois, une surprise les attend : la douzaine de véhicules de police, habituellement cantonnés dans une rue parallèle, a pris position devant la porte de l’immeuble et empêche toute sortie, y compris celle des salariés…

Des « négociations » s’engagent pour essayer de débloquer la situation. Un simple contrôle d’identité paraît insuffisant pour satisfaire les autorités, tout notre petit monde étant identifié depuis belle lurette. Et bientôt, (au bout de trois quart d’heure tout de même) c’est le panier à salade qui arrive en effet pour embarquer les douze militants au commissariat. Vu que nous prenons bien garde à ne pas commettre d’infraction, c’est une situation assez rare pour être signalée : en fait, cela faisait plus de deux ans, lors d’une action contre les biens mal acquis, qu’une telle interpellation n’était pas arrivée. Ce qui, au passage, éclaire ce qui est vraiment protégé par la police dans notre pays : la Françafrique et les banquiers suisses.

Le trajet entre le lieu de l’action, dans le huitième arrondissement, et le commissariat du cinquième, permet à un policier de prendre la traditionnelle photo de groupe dans le panier à salade, aussitôt diffusée sur les réseaux sociaux.

De mon coté, à peine arrivé devant ce commissariat avec quatre autres militants pour attendre la sortie de nos amis, la police entreprend de poser des barrières en travers de la rue basse des Carmes, comme si nous risquions de prendre d’assaut le bâtiment… Mais c’est à l’intérieur qu’a lieu la véritable mascarade : si les militants acceptent d’être entendus en audition libre (alors qu’ils sont matériellement privés de liberté depuis déjà deux heures), ils ont une chance d’être libérés rapidement. Sinon ? Eh bien, c’est une garde à vue en bonne et due forme, qui permet certes de bénéficier de l’assistance d’un avocat, mais qui risque de durer bien plus longtemps et d’entrainer un prélèvement ADN… Vu les emplois du temps de chacun, le choix n’en est pas vraiment un.

Le summum sera atteint quand, voulant sortir au terme des auditions, les militants se verront répondre qu’il leur faut attendre l’autorisation du parquet. Visiblement, certains policiers ont encore du mal avec le concept d’audition libre.

Épilogue

Après un peu plus de trois heures trente de retenue, tout le monde a été libéré sans qu’aucune charge ne soit retenue. Reyl a annoncé par voie de presse vouloir porter plainte. Même dans le cas où la volonté médiatique serait suivie d’effet, il y a tout lieu de croire que la plainte serait classée sans suite. Et puis, avec les suites de l’affaire Cahuzac, on peut penser que les avocats de Reyl auront mieux à faire que de s’occuper d’une dizaine de militants.

Ordre et Justice

La prison des Baumettes, à Marseille, fait encore un peu parler d’elle. Le contrôleur général des lieux de privations de liberté a utilisé une procédure d’urgence pour demander au gouvernement de répondre à ses observations. Le contrôle a « fait apparaître, sans aucun doute, une violation grave des droits fondamentaux, notamment au regard de l’obligation incombant aux autorités publiques (…) de préserver les personnes détenues de tout traitement inhumain et dégradant. » La situation n’est pas nouvelle, comme le rappelle l’avocat Gilles Devers.

Mais, alors que de tels manquements aux règles de droit devraient faire la une des journaux, tout le monde (ou presque) s’en fout. Après tout, ce ne sont que des prisonniers, ils n’avaient qu’à être honnête comme tout le monde ! Alors que la majorité des détenus n’ont même pas dû être jugés…

On retrouve cette situation où l’État se met hors-la-loi, au nom de l’ordre et la sécurité, dans bien d’autres situations.

Je ne me considère pas comme totalement angélique, non. Sans parler d’une société de justice « idéale », car toute le monde à sa vision de la justice (et celle de l’IPJ, par exemple, n’est pas la même que la mienne), j’ai le sentiment que l’État de droit recule en France, non pas du fait des délinquants, mais du fait de l’État lui-même.

Après, le droit a toujours fait que les puissants étaient mieux protégés que les faibles. Mais au moins il était respecté.

Je n’ai pas d’exemples généraux, je ne suis pas juriste et ne suis pas la situation d’assez près. En revanche, je connais (très) bien la situation des squats à Paris, par expérience personnelle ou pour avoir fait des recherches sur les années précédentes. Le squat est de plus en plus souvent traité comme une infraction pénale qu’il n’est pas, les expulsions policières illégales se multiplient. Les policiers vont jusqu’à expliquer aux propriétaires qu’ils n’ont qu’à dire être passé la veille dans le bâtiment pour obtenir l’expulsion, quand bien même les squatteurs sont dans le bâtiment depuis plusieurs semaines.

Des expulsions en violation de la trêve hivernale se font de plus en plus souvent, alors que la trêve hivernale s’applique aux squatteurs, sauf décision motivée du juge. Sans qu’il y ait de relogement, en violation de la loi là encore. Pourtant, l’hébergement est un droit fondamental, reconnu comme tel par le Conseil d’État, et l’État justement se fait régulièrement condamné sur le sujet. Mais la part de sans-abris capable de rédiger un référé-liberté sur le trottoir est assez faible. Les CRS vont jusqu’à suivre les groupes délogés pour les empêcher de se réinstaller ailleurs, et les contraindre à rester à la rue.

Ce ne sont pas des bavures ponctuelles, commises par des fonctionnaires sous le coup du stress, mais c’est une politique qui est validée au plus haut niveau de l’État. (Des témoignages crédibles font état d’intervention du cabinet du premier ministre pour ordonner de telles expulsions).

En agissant ainsi contre le droit, l’État détruit par lui-même ce qui le fonde. Il ne faut pas s’étonner alors que d’aucuns cherchent à se faire justice eux-mêmes, comme à Marseille. Et ils auraient bien tort de s’en priver, de leurs points de vue, puisqu’on traite plus durement l’occupation sans droit ni titre que les violences et les violations de domiciles, quand ce sont des Roms les victimes.

Ces phénomènes ont certes toujours existé, mais ils étaient ne serait-ce qu’il y a dix ans, marginaux. Aujourd’hui, ils deviennent la norme. Ce qui pose d’autres problèmes, car les squats doublaient très efficacement les hébergements d’urgence, et la guerre aux squats se traduit par un engorgement encore plus important des structures officielles.

Alors que pas mal de squatteurs espéraient que l’arrivée de la gauche au pouvoir marquerait, non pas une tolérance des squats, mais un simple retour au respect de la loi, Manuel Vals a considérablement amplifié le mouvement. En toute illégalité.

Voilà ce qui m’inquiète et me fait dire qu’on passe d’une société de justice à une société d’ordre : la justice expulsait, mais permettait aux squatteurs de se défendre, en laissant le temps d’une occupation temporaire. Au nom d’un ordre moral, on expulse maintenant en violation flagrante de la loi. Sans que la justice ne réagisse énormément.

Pourtant, il existe un squat à Paris, dont la justice a ordonné l’expulsion il y a plus de 35 ans. A vrai dire, la prise du squat constituait vraisemblablement le délit de violation de domicile (au moins) compte tenu des circonstances particulières. L’État a même été condamné il y a 25 ans à payer des indemnités à l’affectataire légal, pour ne pas avoir expulsé. Pour ce bâtiment seul, la jurisprudence Couitéas existe, exécuter les décisions de justice n’est pas obligatoire.

Les catholiques intégristes squatteurs de Saint-Nicolas du Chardonnet vous saluent bien.

Pauvre Église !

Cécile Duflot ne s’attendait peut-être pas à une telle volée de bois vert en demandant à l’Église de mobiliser ses bâtiments vides pour loger des sans-abris. Attaque en règle contre l’Église, Cathophobie… Les réactions les plus virulentes, d’ailleurs, ne venant pas de l’Église mais plutôt de la droite. Il est vrai que pour l’UMP, toute polémique qui fasse parler d’autre chose est en ce moment bonne à prendre. La partie la plus militante et sociale de l’Église, s’est sentie un peu en porte-à-faux, face à des propos qu’elle ne partage pas vraiment.

On entend citer l’Évangile selon saint-Luc, la paille dans l’œil de ton voisin et la poutre dans le tien. Pourquoi ne pas mobiliser les bâtiments de l’État, avant de s’en prendre à l’Église ?

Benêt. À qui croyez-vous qu’appartiennent les centres d’hébergements d’urgence ? De la direction générale de l’aviation civile à la direction régionale du travail, l’État utilise son patrimoine, celui de la SNCF, celui des collectivités pour héberger. Il y a bien entendu encore à faire : je rêve de voir la direction générale de la gendarmerie, servir de centre d’hébergement. Mais elle fait 3 000 m², pas 10 000 ! A Paris, le patrimoine vacant de l’État est inférieur à celui de l’Église.

À droite, Nombreux sont ceux qui ont parlé de fantasme, à propos du patrimoine supposé de l’Église. Et de rappeler 1789 et 1905, quand l’État totalement spolié le clergé, deux fois de suite.

Pourtant, il y a visiblement de beaux restes. Alors certes, ce ne sont pas les archevêchés qui sont les plus riches. Et beaucoup au sein de l’Église agissent en faveur des plus démunis, ce qu’a toujours reconnu Cécile Duflot. Mais le tableau dressé par le Canard Enchaîné, à Paris, vaut quand même le coup d’œil. Il ya des congrégations qui sont (très) riches. Et peut-être même un peu égoïste.

Sur dix bâtiments cités par l’hebdomadaire, un seul, il est vrai, est totalement vide. Les Petites Sœurs des Pauvres cherchent en effet à vendre leurs 6 600 m² habitables du boulevard Murat. La mairie de Paris est très intéressée, pour y construire des logements, en partie sociaux, et une maison de retraite. D’autant qu’avec un coefficient d’occupation du sol de 0,65 on peut facilement densifier la parcelle sans pour autant détruire l’environnement urbain. Problème, les 35 millions d’euros proposés par la mairie ne satisfont pas l’appétit financier des petites sœurs des pauvres, On raconte aussi que Vincent Bolloré, un voisin, cherche à intervenir dans le dossier, mais ça n’a bien entendu rien à voir avec le rejet que suscite les 90 logements sociaux qui doivent être construit sur le site.

Les autres immeubles dont parle le Canard ne sont pas vides, non. Quatre religieuses par ici, une quinzaine de moines par là, au total sur la dizaine de bâtiment, un peu moins de 180 religieux se partagent plus de 45 000 m². Avec 270 m² par personne, on conçoit en effet qu’ils soient un peu à l’étroit.

Il est assez savoureux d’entendre le frère Jean-Pierre Longeat, président de la conférence des religieux et religieuses de France, expliquer qu’il n’existe pas de recensement du patrimoine des congrégations. Celui du Canard enchaîné ne prétend certainement pas être exhaustif, mais les dizaines de milliers de mètres carrés vacants dont il est question représentent déjà un minimum de 300 millions d’euros.

Alors certes, L’Église est à peu près aussi unie que le parti socialiste et l’UMP réunis. Certes, comme les politiques, l’Église adore multiplier les petites structures financières indépendantes les unes des autres. Je n’ai pas fait le tour de tous les bâtiments, mais il est fort probable que qu’aucun des bâtiments ici n’appartiennent à l’archevêché. Mais, à l’heure où l’Église se veut être une autorité morale pour l’ensemble des Français, catholiques ou non, il ne paraît pas idiot de penser que l’Église peut avoir une autorité morale sur ses congrégations.

Ordonnance de 45 ou Loi de 98 ? (2)

Ce billet est la suite de celui-ci

La Loi de 1998 est plus restrictive, et partant beaucoup plus difficile à appliquer en pratique. Deux difficultés majeures se posent à l’Etat : d’une part, cette loi ne permet de réquisitionner que les locaux appartenant à des personnes morales. Et même, certaines Sociétés Civiles Immobilières (SCI) bénéficient de dérogations empêchant l’application de la loi pour leurs biens. L’autre limitation est la possibilité pour le propriétaire d’échapper à la réquisition en mettant fin de lui même à la vacance, sur simple présentation d’un échéancier. Par ailleurs, la durée de vacance doit être de dix-huit mois au lieu de six pour l’ordonnance de 1945, mais cela influe peu.

Les deux premières dispositions, à elles seules, ont rendu presque impossible les réquisitions lors de la seule tentative du gouvernement Jospin en 2000. En effet, toutes les entreprises concernées ont évidemment présentés des échéanciers de remise sur le marché de leurs biens. Si les engagements pris ont été respectés, il n’y a rien à redire : peu importe que les locaux soient effectivement réquisitionnés, tant qu’ils ne sont pas vides ! Malheureusement, il est à craindre que dans un certain nombre de cas la vacance ait perduré. Dans ce cas, la loi prévoit que la réquisition s’applique, dès que l’Etat constate le non respect es engagements, mais le changement de gouvernement et de politique en 2001 n’a pas permis d’assurer le suivi nécessaire.

La limitation de la réquisition aux seules sociétés est également un problème. Parmi les immeubles vacants, on en trouve régulièrement qui appartiennent, soit directement, soit au travers de SCI, à des individus qui les maintiennent vides pendant des années, voire des décennies. On se heurte ici souvent à des agissements irrationnels, qui, s’ils ne correspondent qu’à une infime minorité de propriétaires au regard de l’ensemble des biens du marché, présentent une source non négligeable de possibilités de réquisitions. Dans la liste d’immeubles fournie par le DAL et Jeudi Noir, les trois immeubles les plus anciens en terme de vacance appartiennent tous à des particuliers. On remonte quand même aux années 80.

La Loi de 1998 devait être modifiée par la Loi Duflot, sur deux point : la durée de vacance avant possibilité de réquisition passait à un an, par souci d’uniformité avec la Taxe sur les Logements Vacants, et surtout la suppression de cette possibilité d’échapper à la vacance sur un simple engagement du propriétaire. Il faudra suivre la discussion parlementaire lors du nouveau passage de ce texte après la censure du Conseil Constitutionnel pour surveiller le maintien de ces dispositions et pourquoi pas en profiter pour étendre la réquisition aux personnes physiques.

L’autre différence entre l’Ordonnance de 1945 et la Loi de 1998, c’est le montant des indemnités perçues par le propriétaire. Dans l’Ordonnance, elles sont fixées à l’amiable et doivent correspondre au prix du marché (réglementé à l’époque). Pour la Loi de 98, elles sont fixées par décret, et normalement revalorisées tous les ans par arrêté du ministre du logement, mais je ne suis pas certain que Benoist Apparu ait fait son travail. A Paris, le montant indiqué est de 5,34 € du mètre carré. Compte tenu de la revalorisation prévue dans la loi, ça mettrait le loyer de base à 5,86 € à partir du 1er janvier 2013. Cela peut paraître faible, mais d’une part le propriétaire ne touchait rien avant la réquisition, et surtout, ça correspond malgré tout aux prix des logements sociaux. C’est également le prix du marché Berlinois, pour avoir un point de comparaison international. Peut-être que ce sont nos 30 € qui sont excessifs, en fait ?

Et puis, si quelques UMP trouvent que c’est vraiment scandaleux d’offrir aussi peu d’argent aux propriétaires, il faudra leur dire que le décret a été signé par Dominique de Villepin, Jean-Louis Borloo et Nicolas Sarkozy.

Ordonnance de 45 ou Loi de 98 ? (1)

On a vu que les pouvoirs de Police que le maire tire de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales ne lui permet de réquisitionner des locaux vacants qu’en cas d’urgence. La crise du logement étant tout ce qu’il y a de plus habituelle, le maire ne peut se substituer à la procédure normale de réquisition. A l’époque où le Conseil d’État se prononce, il n’y a pas de doute possible, la procédure normale c’est celle de l’Ordonnance de 1945. Depuis 14 ans, s’y est ajouté la Loi de 1998. Les deux textes ont évidemment des histoires et des effets qui n’ont rien à voir. Mais, au-delà des circonstances de leurs adoptions, quelles sont donc ces différences ?

Précisons tout d’abord que ces deux textes ne sont plus employés sous ces dénominations là. Ils ont tous deux été intégrés dans le code de la construction et de l’habitation, les articles L. 641-1 à L. 641-14 pour l’ordonnance de 1945 et les articles L. 642-1 à L. 642-28 pour la Loi de 1998. La codification est peut-être bien pratique, mais fait perdre un peu la poésie et l’histoire de notre droit. Pour ma part, je continuerai à nommer ces textes par leurs noms de baptêmes, ça évitera de se perdre dans les numéros d’articles.

L’ordonnance du 11 octobre 1945 a donc été prise au sortir de la seconde guerre mondiale. Au passage, pour mon ami Benoist qui a tendance à qualifier de Soviétique tout ce qui ne lui plait pas, le 11 octobre, c’est sous la présidence du général de Gaulle, avant l’élection de la première assemblée constituante qui a vu la victoire massive de la gauche. Le gouvernement, nommé par De Gaulle forcément sans contrôle d’une assemblée, comprenait alors 22 ministres, dont seulement 2 communistes et 5 SFIO. Ce n’est que plus d’un mois après l’ordonnance qu’entrera en fonction le gouvernement tripartite (MRP, SFIO, PCF).

Destruction de guerre oblige, ce texte permet à peu près tout. Pour en faire bénéficier « les personnes dépourvues de logement ou logées dans des conditions manifestement insuffisantes » et également « les personnes à l’encontre desquelles une décision judiciaire définitive ordonnant leur expulsion est intervenue » (et donc la plupart des squatteurs), les réquisitions peuvent concerner les logements vacants, bien sûr, mais aussi tous les locaux, vacants, inhabités ou insuffisamment occupés. Pour l’ordonnance, sont considérés comme vacants tous les locaux vides depuis plus de six mois, mais également toutes les résidences secondaires. Il est possible par ailleurs de réquisitionner, pièce par pièce, un logement que vous ne seriez pas assez nombreux à occuper. Si vous vivez à deux dans un cinq pièce, la préfecture peut vous imposer d’accueillir un mal-logé chez vous. Un seul, vous avez malgré tout droit à deux pièces « vides ».

Si dans l’écriture de la loi, rien n’empêche d’utiliser aujourd’hui ces dispositions, il est évident qu’en pratique, elles ne sauraient être utilisée qu’exceptionnellement, dans des circonstances très particulières nécessitant des relogements soudains et massifs. Autrement, elles courraient le risque d’être annulées par la justice, non pas pour l’atteinte à la propriété, mais pour l’atteinte au domicile, principe supérieur. D’autres dispositions, toujours officiellement valables, ne sont plus appliquées depuis longtemps : je crois que personne n’écrit à la mairie pour préciser le nombre de pièce dont il dispose chez lui.

Du reste, les derniers exemples de réquisition utilisant cette ordonnance de 1945, sous le gouvernement de Juppé, ne concernaient que des locaux entièrement à l’abandon depuis plusieurs années. Et aucune association, aucun collectif, ne demande aujourd’hui des « colocations forcées », ni même la réquisition de résidence secondaire. Il y a suffisamment à faire avec les biens vides. Et puis, contrairement à ce que certains voudraient faire croire, le droit, mais pas seulement celui de propriété, compte aussi pour nous.

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Réquisition, où est le droit ?

Il est assez cocasse d’entendre de nombreuses voix s’élever contre la réquisition de locaux vacants en invoquant le droit, le droit « sacré » de propriété. Si l’on ne peut pas trop en vouloir aux représentants des propriétaires, – on ne peut pas demander à un Jean Perrin de connaître son droit – il est plus troublant de voir un avocat expliquer posément « on n’a pas le droit de réquisitionner ». Il est même assez plaisant, en tant que squatteur ou militant proche de squatteur, de voir ces personnes s’enferrer dans des explications vaines. J’ai beau rappeler à chaque fois que je le peux que squatter n’est pas illégal, il est certain que les lois protègent davantage les propriétaires. Mais en ce qui concerne les réquisitions, pour une fois le droit est de notre coté.

Les propriétaires et leurs conseils prétendent que le droit de propriété, droit à valeur constitutionnelle par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen, est supérieur dans la hiérarchie des normes, au droit au logement qui n’est qu’un objectif de valeur constitutionnel. On verra que s’ils n’ont pas tort, il leur échappe pourtant quelques éléments.

On entend assez souvent assez souvent que la puissance publique dispose de deux moyens pour appliquer la réquisition, l’ordonnance du 11 octobre 1945, et la loi du 29 juillet 1998. En réalité, il en existe une autre, qui n’appartient qu’aux maires et qu’ils tirent de leurs pouvoirs de généraux de police.  Toutefois, le Conseil d’État, dans une décision du 18 octobre 1989, apporte deux limitations à ce pouvoir : il ne peut être appliqué qu’en cas d’urgence, et à titre exceptionnel lorsqu’il y a un trouble grave à l’ordre public. L’urgence ici ne s’entend pas comme une urgence à reloger, mais plutôt comme la soudaineté de la nécessité du relogement. Dans le cas d’espèce, le Conseil d’État reconnaissait que l’absence de relogement constituait un trouble grave, mais que le maire, prévenu longtemps à l’avance de l’expulsion, ne se trouvait pas dans un urgence lui permettant de recourir à la réquisition « aux lieu et place de l’autorité préfectorale ».

Car dans cette décision, le Conseil d’État considère l’ordonnance de 1945 comme une procédure normale, sans qu’il soit question un seul instant d’opposer un quelconque droit de propriété au principe de la réquisition.

Ce droit de police du maire, donc, ne saurait s’appliquer pour résoudre la crise du logement : si l’absence d’hébergement constitue un trouble grave à l’ordre public, ainsi qu’une atteinte grave à une liberté fondamentale, on ne peut malheureusement pas prétendre que cette crise soit soudaine. En revanche, cette disposition peut, et devrait, être utilisée dans le cas d’incendie, ou de tout autre événement, nécessitant des relogements en urgence. Voilà qui aurait peut-être évité aux habitants du 39, rue Gabriel Péri de devoir occuper la basilique de saint-Denis pour se faire entendre.

L’ordonnance de 1945, par la force des choses, n’a pas été soumise au Conseil constitutionnel. N’ayant pas été appliquée depuis l’apparition des Questions Prioritaires de Constitutionalité (QPC), elle n’a pas profité de la sagacité des Sages. En fait, dans l’esprit du précédent gouvernement, elle était probablement destinée à rejoindre l’ordonnance du 16 brumaire an IX au panthéon des dispositions oubliées.

La loi de 1998, elle, a naturellement fait l’objet d’une saisine du Conseil par au moins 60 députés de l’opposition. Appartenant pour la plupart à la majorité ayant procédé aux réquisitions deux ans avant, en toute logique politique.

La décision qui en découle est intéressante, car les députés avaient utilisé la même argumentation qu’on nous ressort maintenant. L’article 2 de la DDHC dispose : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. » L’article 17 se fait plus précis : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

Le Conseil constitutionnel balaye totalement l’argumentaire des tenants du caractère sacré de la propriété, en un seul considérant que je ne résiste pas au plaisir de citer intégralement :

31. Considérant que, si la mise en œuvre de la procédure de réquisition prévue par la disposition contestée n’emporte pas, par elle-même, contrairement à ce que soutiennent les requérants, privation du droit de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, elle limite néanmoins, pour une période de temps déterminée, le droit d’usage des locaux réquisitionnés ; qu’une telle limitation, alors même qu’elle répond à un objectif de valeur constitutionnelle, ne saurait revêtir un caractère de gravité tel qu’elle dénature le sens et la portée du droit de propriété ;

De manière simple, la réquisition n’est pas une privation de la propriété, ça n’est évidemment en rien comparable à du vol ou une spoliation, comme c’est appliqué en faveur du logement, c’est bien entendu conforme à la Constitution et à la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. On notera que l’argumentaire répond également aux critiques pouvant être proférées contre l’ordonnance de 1945.

Il ne reste plus aux représentants des propriétaires qu’à râler contre ces bolcheviks du Conseil d’État et du Conseil Constitutionnel, qui se croient encore sous Staline.

Mais comment pouvait-il en être autrement ? Certes, le droit de propriété est un droit fondamental, en France et ailleurs. Mais il a toujours connu des limites, comme l’ensemble des autres droits. La Loi est faite d’équilibre, et user d’un bien immobilier lorsque son propriétaire ne l’utilise ni n’en tire un quelconque profit n’est pas une atteinte aux libertés fondamentales.

D’ailleurs, les tenants d’un droit de propriété absolu se font beaucoup plus discret lorsqu’il s’agit d’expropriation, comme, un exemple au hasard, à Notre-Dame des Landes. C’est vrai qu’on les imagine mal installés sur un tracteur à coté des agriculteurs locaux…