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Militantisme et audition libre

{EDIT du 15/11/2013} : Après une discussion sur Twitter avec Simone, que je remercie et que je vous invite à suivre à l’occasion, il est apparu que les militants concernés dans ce texte n’était pas entendus sous le régime de l’audition libre, mais sous celui de la vérification d’identité. Ce qui est, convenons-en, un tantinet ennuyeux pour une note dont le titre est précisément Militantisme et audition libre.
Je laisse ce texte pour sa première partie et pour archive, et j’en prépare un second avec les nouvelles informations.

C’est une action comme on en a mené des dizaines. Pour dénoncer l’évasion fiscale, quoi de mieux que de rendre une petite visite à Reyl et Compagnie, la fameuse banque qui a déplacé le compte de Jérome Cahuzac depuis la Suisse vers Singapour ? Le collectif Sauvons les Riches et quelques autres militants s’étaient donc donnés rendez-vous au cœur du huitième arrondissement pour découvrir les locaux de cette société. Comme à leur habitude, les fonctionnaires de la Direction du Renseignement de la Préfecture de Police sont présents, et comme à leur habitude, ils viennent nous serrer la main avant que nous nous mettions en route. S’ils ne connaissent évidemment pas la « cible » avant que nous y entrions, ils communiquent en direct notre position à la hiérarchie et aux « bleus » sur le terrain. Voilà quelques temps, en effet, que nous ne nous déplaçons plus sans quelques véhicules d’une Compagnie de Sécurisation et d’Intervention. Déploiement de force bien inutile, les actions que nous pouvons mener étant bien entendu non-violentes, et ponctuelles puisque nous quittons toujours les lieux au bout de quinze à vingt minutes. (J’exclus les ouvertures ou tentatives d’ouverture de squats, qui se font sur des modes très différents, et surtout pas en pleine journée.)

Profitant d’une porte ouverte, les militants, au cri de Adieu, adieu la Suisse, tous à Fleury-Mérogis montent faire un peu de bruit dans les bureaux de Reyl, sous le regard un brin amusé du RG de service et des nombreux journalistes présents. Une administratrice de la banque prévient « Attention, vous vous attaquez à des choses que vous ne savez pas ! » Comment lui dire… À la descente, toutefois, une surprise les attend : la douzaine de véhicules de police, habituellement cantonnés dans une rue parallèle, a pris position devant la porte de l’immeuble et empêche toute sortie, y compris celle des salariés…

Des « négociations » s’engagent pour essayer de débloquer la situation. Un simple contrôle d’identité paraît insuffisant pour satisfaire les autorités, tout notre petit monde étant identifié depuis belle lurette. Et bientôt, (au bout de trois quart d’heure tout de même) c’est le panier à salade qui arrive en effet pour embarquer les douze militants au commissariat. Vu que nous prenons bien garde à ne pas commettre d’infraction, c’est une situation assez rare pour être signalée : en fait, cela faisait plus de deux ans, lors d’une action contre les biens mal acquis, qu’une telle interpellation n’était pas arrivée. Ce qui, au passage, éclaire ce qui est vraiment protégé par la police dans notre pays : la Françafrique et les banquiers suisses.

Le trajet entre le lieu de l’action, dans le huitième arrondissement, et le commissariat du cinquième, permet à un policier de prendre la traditionnelle photo de groupe dans le panier à salade, aussitôt diffusée sur les réseaux sociaux.

De mon coté, à peine arrivé devant ce commissariat avec quatre autres militants pour attendre la sortie de nos amis, la police entreprend de poser des barrières en travers de la rue basse des Carmes, comme si nous risquions de prendre d’assaut le bâtiment… Mais c’est à l’intérieur qu’a lieu la véritable mascarade : si les militants acceptent d’être entendus en audition libre (alors qu’ils sont matériellement privés de liberté depuis déjà deux heures), ils ont une chance d’être libérés rapidement. Sinon ? Eh bien, c’est une garde à vue en bonne et due forme, qui permet certes de bénéficier de l’assistance d’un avocat, mais qui risque de durer bien plus longtemps et d’entrainer un prélèvement ADN… Vu les emplois du temps de chacun, le choix n’en est pas vraiment un.

Le summum sera atteint quand, voulant sortir au terme des auditions, les militants se verront répondre qu’il leur faut attendre l’autorisation du parquet. Visiblement, certains policiers ont encore du mal avec le concept d’audition libre.

Épilogue

Après un peu plus de trois heures trente de retenue, tout le monde a été libéré sans qu’aucune charge ne soit retenue. Reyl a annoncé par voie de presse vouloir porter plainte. Même dans le cas où la volonté médiatique serait suivie d’effet, il y a tout lieu de croire que la plainte serait classée sans suite. Et puis, avec les suites de l’affaire Cahuzac, on peut penser que les avocats de Reyl auront mieux à faire que de s’occuper d’une dizaine de militants.