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Pauvre Église !

Cécile Duflot ne s’attendait peut-être pas à une telle volée de bois vert en demandant à l’Église de mobiliser ses bâtiments vides pour loger des sans-abris. Attaque en règle contre l’Église, Cathophobie… Les réactions les plus virulentes, d’ailleurs, ne venant pas de l’Église mais plutôt de la droite. Il est vrai que pour l’UMP, toute polémique qui fasse parler d’autre chose est en ce moment bonne à prendre. La partie la plus militante et sociale de l’Église, s’est sentie un peu en porte-à-faux, face à des propos qu’elle ne partage pas vraiment.

On entend citer l’Évangile selon saint-Luc, la paille dans l’œil de ton voisin et la poutre dans le tien. Pourquoi ne pas mobiliser les bâtiments de l’État, avant de s’en prendre à l’Église ?

Benêt. À qui croyez-vous qu’appartiennent les centres d’hébergements d’urgence ? De la direction générale de l’aviation civile à la direction régionale du travail, l’État utilise son patrimoine, celui de la SNCF, celui des collectivités pour héberger. Il y a bien entendu encore à faire : je rêve de voir la direction générale de la gendarmerie, servir de centre d’hébergement. Mais elle fait 3 000 m², pas 10 000 ! A Paris, le patrimoine vacant de l’État est inférieur à celui de l’Église.

À droite, Nombreux sont ceux qui ont parlé de fantasme, à propos du patrimoine supposé de l’Église. Et de rappeler 1789 et 1905, quand l’État totalement spolié le clergé, deux fois de suite.

Pourtant, il y a visiblement de beaux restes. Alors certes, ce ne sont pas les archevêchés qui sont les plus riches. Et beaucoup au sein de l’Église agissent en faveur des plus démunis, ce qu’a toujours reconnu Cécile Duflot. Mais le tableau dressé par le Canard Enchaîné, à Paris, vaut quand même le coup d’œil. Il ya des congrégations qui sont (très) riches. Et peut-être même un peu égoïste.

Sur dix bâtiments cités par l’hebdomadaire, un seul, il est vrai, est totalement vide. Les Petites Sœurs des Pauvres cherchent en effet à vendre leurs 6 600 m² habitables du boulevard Murat. La mairie de Paris est très intéressée, pour y construire des logements, en partie sociaux, et une maison de retraite. D’autant qu’avec un coefficient d’occupation du sol de 0,65 on peut facilement densifier la parcelle sans pour autant détruire l’environnement urbain. Problème, les 35 millions d’euros proposés par la mairie ne satisfont pas l’appétit financier des petites sœurs des pauvres, On raconte aussi que Vincent Bolloré, un voisin, cherche à intervenir dans le dossier, mais ça n’a bien entendu rien à voir avec le rejet que suscite les 90 logements sociaux qui doivent être construit sur le site.

Les autres immeubles dont parle le Canard ne sont pas vides, non. Quatre religieuses par ici, une quinzaine de moines par là, au total sur la dizaine de bâtiment, un peu moins de 180 religieux se partagent plus de 45 000 m². Avec 270 m² par personne, on conçoit en effet qu’ils soient un peu à l’étroit.

Il est assez savoureux d’entendre le frère Jean-Pierre Longeat, président de la conférence des religieux et religieuses de France, expliquer qu’il n’existe pas de recensement du patrimoine des congrégations. Celui du Canard enchaîné ne prétend certainement pas être exhaustif, mais les dizaines de milliers de mètres carrés vacants dont il est question représentent déjà un minimum de 300 millions d’euros.

Alors certes, L’Église est à peu près aussi unie que le parti socialiste et l’UMP réunis. Certes, comme les politiques, l’Église adore multiplier les petites structures financières indépendantes les unes des autres. Je n’ai pas fait le tour de tous les bâtiments, mais il est fort probable que qu’aucun des bâtiments ici n’appartiennent à l’archevêché. Mais, à l’heure où l’Église se veut être une autorité morale pour l’ensemble des Français, catholiques ou non, il ne paraît pas idiot de penser que l’Église peut avoir une autorité morale sur ses congrégations.

Ordonnance de 45 ou Loi de 98 ? (2)

Ce billet est la suite de celui-ci

La Loi de 1998 est plus restrictive, et partant beaucoup plus difficile à appliquer en pratique. Deux difficultés majeures se posent à l’Etat : d’une part, cette loi ne permet de réquisitionner que les locaux appartenant à des personnes morales. Et même, certaines Sociétés Civiles Immobilières (SCI) bénéficient de dérogations empêchant l’application de la loi pour leurs biens. L’autre limitation est la possibilité pour le propriétaire d’échapper à la réquisition en mettant fin de lui même à la vacance, sur simple présentation d’un échéancier. Par ailleurs, la durée de vacance doit être de dix-huit mois au lieu de six pour l’ordonnance de 1945, mais cela influe peu.

Les deux premières dispositions, à elles seules, ont rendu presque impossible les réquisitions lors de la seule tentative du gouvernement Jospin en 2000. En effet, toutes les entreprises concernées ont évidemment présentés des échéanciers de remise sur le marché de leurs biens. Si les engagements pris ont été respectés, il n’y a rien à redire : peu importe que les locaux soient effectivement réquisitionnés, tant qu’ils ne sont pas vides ! Malheureusement, il est à craindre que dans un certain nombre de cas la vacance ait perduré. Dans ce cas, la loi prévoit que la réquisition s’applique, dès que l’Etat constate le non respect es engagements, mais le changement de gouvernement et de politique en 2001 n’a pas permis d’assurer le suivi nécessaire.

La limitation de la réquisition aux seules sociétés est également un problème. Parmi les immeubles vacants, on en trouve régulièrement qui appartiennent, soit directement, soit au travers de SCI, à des individus qui les maintiennent vides pendant des années, voire des décennies. On se heurte ici souvent à des agissements irrationnels, qui, s’ils ne correspondent qu’à une infime minorité de propriétaires au regard de l’ensemble des biens du marché, présentent une source non négligeable de possibilités de réquisitions. Dans la liste d’immeubles fournie par le DAL et Jeudi Noir, les trois immeubles les plus anciens en terme de vacance appartiennent tous à des particuliers. On remonte quand même aux années 80.

La Loi de 1998 devait être modifiée par la Loi Duflot, sur deux point : la durée de vacance avant possibilité de réquisition passait à un an, par souci d’uniformité avec la Taxe sur les Logements Vacants, et surtout la suppression de cette possibilité d’échapper à la vacance sur un simple engagement du propriétaire. Il faudra suivre la discussion parlementaire lors du nouveau passage de ce texte après la censure du Conseil Constitutionnel pour surveiller le maintien de ces dispositions et pourquoi pas en profiter pour étendre la réquisition aux personnes physiques.

L’autre différence entre l’Ordonnance de 1945 et la Loi de 1998, c’est le montant des indemnités perçues par le propriétaire. Dans l’Ordonnance, elles sont fixées à l’amiable et doivent correspondre au prix du marché (réglementé à l’époque). Pour la Loi de 98, elles sont fixées par décret, et normalement revalorisées tous les ans par arrêté du ministre du logement, mais je ne suis pas certain que Benoist Apparu ait fait son travail. A Paris, le montant indiqué est de 5,34 € du mètre carré. Compte tenu de la revalorisation prévue dans la loi, ça mettrait le loyer de base à 5,86 € à partir du 1er janvier 2013. Cela peut paraître faible, mais d’une part le propriétaire ne touchait rien avant la réquisition, et surtout, ça correspond malgré tout aux prix des logements sociaux. C’est également le prix du marché Berlinois, pour avoir un point de comparaison international. Peut-être que ce sont nos 30 € qui sont excessifs, en fait ?

Et puis, si quelques UMP trouvent que c’est vraiment scandaleux d’offrir aussi peu d’argent aux propriétaires, il faudra leur dire que le décret a été signé par Dominique de Villepin, Jean-Louis Borloo et Nicolas Sarkozy.

Ordonnance de 45 ou Loi de 98 ? (1)

On a vu que les pouvoirs de Police que le maire tire de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales ne lui permet de réquisitionner des locaux vacants qu’en cas d’urgence. La crise du logement étant tout ce qu’il y a de plus habituelle, le maire ne peut se substituer à la procédure normale de réquisition. A l’époque où le Conseil d’État se prononce, il n’y a pas de doute possible, la procédure normale c’est celle de l’Ordonnance de 1945. Depuis 14 ans, s’y est ajouté la Loi de 1998. Les deux textes ont évidemment des histoires et des effets qui n’ont rien à voir. Mais, au-delà des circonstances de leurs adoptions, quelles sont donc ces différences ?

Précisons tout d’abord que ces deux textes ne sont plus employés sous ces dénominations là. Ils ont tous deux été intégrés dans le code de la construction et de l’habitation, les articles L. 641-1 à L. 641-14 pour l’ordonnance de 1945 et les articles L. 642-1 à L. 642-28 pour la Loi de 1998. La codification est peut-être bien pratique, mais fait perdre un peu la poésie et l’histoire de notre droit. Pour ma part, je continuerai à nommer ces textes par leurs noms de baptêmes, ça évitera de se perdre dans les numéros d’articles.

L’ordonnance du 11 octobre 1945 a donc été prise au sortir de la seconde guerre mondiale. Au passage, pour mon ami Benoist qui a tendance à qualifier de Soviétique tout ce qui ne lui plait pas, le 11 octobre, c’est sous la présidence du général de Gaulle, avant l’élection de la première assemblée constituante qui a vu la victoire massive de la gauche. Le gouvernement, nommé par De Gaulle forcément sans contrôle d’une assemblée, comprenait alors 22 ministres, dont seulement 2 communistes et 5 SFIO. Ce n’est que plus d’un mois après l’ordonnance qu’entrera en fonction le gouvernement tripartite (MRP, SFIO, PCF).

Destruction de guerre oblige, ce texte permet à peu près tout. Pour en faire bénéficier « les personnes dépourvues de logement ou logées dans des conditions manifestement insuffisantes » et également « les personnes à l’encontre desquelles une décision judiciaire définitive ordonnant leur expulsion est intervenue » (et donc la plupart des squatteurs), les réquisitions peuvent concerner les logements vacants, bien sûr, mais aussi tous les locaux, vacants, inhabités ou insuffisamment occupés. Pour l’ordonnance, sont considérés comme vacants tous les locaux vides depuis plus de six mois, mais également toutes les résidences secondaires. Il est possible par ailleurs de réquisitionner, pièce par pièce, un logement que vous ne seriez pas assez nombreux à occuper. Si vous vivez à deux dans un cinq pièce, la préfecture peut vous imposer d’accueillir un mal-logé chez vous. Un seul, vous avez malgré tout droit à deux pièces « vides ».

Si dans l’écriture de la loi, rien n’empêche d’utiliser aujourd’hui ces dispositions, il est évident qu’en pratique, elles ne sauraient être utilisée qu’exceptionnellement, dans des circonstances très particulières nécessitant des relogements soudains et massifs. Autrement, elles courraient le risque d’être annulées par la justice, non pas pour l’atteinte à la propriété, mais pour l’atteinte au domicile, principe supérieur. D’autres dispositions, toujours officiellement valables, ne sont plus appliquées depuis longtemps : je crois que personne n’écrit à la mairie pour préciser le nombre de pièce dont il dispose chez lui.

Du reste, les derniers exemples de réquisition utilisant cette ordonnance de 1945, sous le gouvernement de Juppé, ne concernaient que des locaux entièrement à l’abandon depuis plusieurs années. Et aucune association, aucun collectif, ne demande aujourd’hui des « colocations forcées », ni même la réquisition de résidence secondaire. Il y a suffisamment à faire avec les biens vides. Et puis, contrairement à ce que certains voudraient faire croire, le droit, mais pas seulement celui de propriété, compte aussi pour nous.

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Réquisition, où est le droit ?

Il est assez cocasse d’entendre de nombreuses voix s’élever contre la réquisition de locaux vacants en invoquant le droit, le droit « sacré » de propriété. Si l’on ne peut pas trop en vouloir aux représentants des propriétaires, – on ne peut pas demander à un Jean Perrin de connaître son droit – il est plus troublant de voir un avocat expliquer posément « on n’a pas le droit de réquisitionner ». Il est même assez plaisant, en tant que squatteur ou militant proche de squatteur, de voir ces personnes s’enferrer dans des explications vaines. J’ai beau rappeler à chaque fois que je le peux que squatter n’est pas illégal, il est certain que les lois protègent davantage les propriétaires. Mais en ce qui concerne les réquisitions, pour une fois le droit est de notre coté.

Les propriétaires et leurs conseils prétendent que le droit de propriété, droit à valeur constitutionnelle par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du Citoyen, est supérieur dans la hiérarchie des normes, au droit au logement qui n’est qu’un objectif de valeur constitutionnel. On verra que s’ils n’ont pas tort, il leur échappe pourtant quelques éléments.

On entend assez souvent assez souvent que la puissance publique dispose de deux moyens pour appliquer la réquisition, l’ordonnance du 11 octobre 1945, et la loi du 29 juillet 1998. En réalité, il en existe une autre, qui n’appartient qu’aux maires et qu’ils tirent de leurs pouvoirs de généraux de police.  Toutefois, le Conseil d’État, dans une décision du 18 octobre 1989, apporte deux limitations à ce pouvoir : il ne peut être appliqué qu’en cas d’urgence, et à titre exceptionnel lorsqu’il y a un trouble grave à l’ordre public. L’urgence ici ne s’entend pas comme une urgence à reloger, mais plutôt comme la soudaineté de la nécessité du relogement. Dans le cas d’espèce, le Conseil d’État reconnaissait que l’absence de relogement constituait un trouble grave, mais que le maire, prévenu longtemps à l’avance de l’expulsion, ne se trouvait pas dans un urgence lui permettant de recourir à la réquisition « aux lieu et place de l’autorité préfectorale ».

Car dans cette décision, le Conseil d’État considère l’ordonnance de 1945 comme une procédure normale, sans qu’il soit question un seul instant d’opposer un quelconque droit de propriété au principe de la réquisition.

Ce droit de police du maire, donc, ne saurait s’appliquer pour résoudre la crise du logement : si l’absence d’hébergement constitue un trouble grave à l’ordre public, ainsi qu’une atteinte grave à une liberté fondamentale, on ne peut malheureusement pas prétendre que cette crise soit soudaine. En revanche, cette disposition peut, et devrait, être utilisée dans le cas d’incendie, ou de tout autre événement, nécessitant des relogements en urgence. Voilà qui aurait peut-être évité aux habitants du 39, rue Gabriel Péri de devoir occuper la basilique de saint-Denis pour se faire entendre.

L’ordonnance de 1945, par la force des choses, n’a pas été soumise au Conseil constitutionnel. N’ayant pas été appliquée depuis l’apparition des Questions Prioritaires de Constitutionalité (QPC), elle n’a pas profité de la sagacité des Sages. En fait, dans l’esprit du précédent gouvernement, elle était probablement destinée à rejoindre l’ordonnance du 16 brumaire an IX au panthéon des dispositions oubliées.

La loi de 1998, elle, a naturellement fait l’objet d’une saisine du Conseil par au moins 60 députés de l’opposition. Appartenant pour la plupart à la majorité ayant procédé aux réquisitions deux ans avant, en toute logique politique.

La décision qui en découle est intéressante, car les députés avaient utilisé la même argumentation qu’on nous ressort maintenant. L’article 2 de la DDHC dispose : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. » L’article 17 se fait plus précis : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

Le Conseil constitutionnel balaye totalement l’argumentaire des tenants du caractère sacré de la propriété, en un seul considérant que je ne résiste pas au plaisir de citer intégralement :

31. Considérant que, si la mise en œuvre de la procédure de réquisition prévue par la disposition contestée n’emporte pas, par elle-même, contrairement à ce que soutiennent les requérants, privation du droit de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, elle limite néanmoins, pour une période de temps déterminée, le droit d’usage des locaux réquisitionnés ; qu’une telle limitation, alors même qu’elle répond à un objectif de valeur constitutionnelle, ne saurait revêtir un caractère de gravité tel qu’elle dénature le sens et la portée du droit de propriété ;

De manière simple, la réquisition n’est pas une privation de la propriété, ça n’est évidemment en rien comparable à du vol ou une spoliation, comme c’est appliqué en faveur du logement, c’est bien entendu conforme à la Constitution et à la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen. On notera que l’argumentaire répond également aux critiques pouvant être proférées contre l’ordonnance de 1945.

Il ne reste plus aux représentants des propriétaires qu’à râler contre ces bolcheviks du Conseil d’État et du Conseil Constitutionnel, qui se croient encore sous Staline.

Mais comment pouvait-il en être autrement ? Certes, le droit de propriété est un droit fondamental, en France et ailleurs. Mais il a toujours connu des limites, comme l’ensemble des autres droits. La Loi est faite d’équilibre, et user d’un bien immobilier lorsque son propriétaire ne l’utilise ni n’en tire un quelconque profit n’est pas une atteinte aux libertés fondamentales.

D’ailleurs, les tenants d’un droit de propriété absolu se font beaucoup plus discret lorsqu’il s’agit d’expropriation, comme, un exemple au hasard, à Notre-Dame des Landes. C’est vrai qu’on les imagine mal installés sur un tracteur à coté des agriculteurs locaux…

S’il est nécessaire…

« S’il est nécessaire, je ferai appel à l’ensemble des moyens disponibles, la réquisition fait partie de cette panoplie. »        Cécile Duflot, 27 octobre 2012

En est-on encore à se demander s’il est nécessaire ? Quelques mots de la ministre déclenchent une tempête médiatique, de fausses polémiques en déclarations nuisibles. Chaque premier novembre, on découvre que la rue tue, que la pauvreté tue. Chaque premier novembre, chacun a son idée pour « résoudre la crise du logement ». Cinq mois de gouvernement, et il faut encore étudier, peut-être, réquisitionner ? Que de temps perdu. Quand les femmes de ministres ne peuvent plus rentrer chez elles sans rencontrer de mendiant, il est temps d’agir. Chasser les pauvres est simple, procès, police, expulsion. Et si la justice est trop lente, on laisse faire la solidarité, les voisins et leurs bidons d’essence. On a toujours plus pauvre que soi à maltraiter, à expulser. Il y a la trêve hivernale, alors il faut faire vite ! La rue tue, été comme hiver. C’est pour les réquisitions qu’il faut faire vite, pas pour les expulsions. Dix personnes dehors deux jours avant la trêve, pour un immeuble du vingtième arrondissement.

S’il est nécessaire, l’État fera respecter la Loi.

S’il est nécessaire, l’État ouvrira des places, dans le plus grand centre d’hébergement d’urgence : le cimetière de Thiais.

La rue tue, ce n’est pas nouveau : Il y a cinquante-huit ans, le ministre du logement Maurice Lemaire assistait à l’enterrement d’une petite fille tuée par le froid. Mme Duflot, irez-vous à l’enterrement de Bernard, mort ce samedi à Paris ?

S’il est nécessaire…

Censure de la loi Duflot

Le Conseil constitutionnel a censuré la loi Duflot relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social. Comment pouvait-il en être autrement ? Le droit (et si ce sont les parlementaires qui font la loi, il ne faut pas oublier que la loi, c’est du droit.) Le droit, donc, connaît des formalismes et des règles de procédures qui peuvent être casse-pied, strictes et rébarbatives, mais qui n’en sont pas moins des garde-fous. L’Etat de droit dont se gargarisent tous nos responsables, c’est, bien plus qu’un Etat utopique où tous les individus respecteraient la loi, un Etat qui lui-même respecte son droit.

Que s’est-il passé ? S’agissant d’un texte qui concerne en premier chef les collectivités territoriales, c’est le Sénat qui devait se prononcer en premier. Le projet de loi adopté en conseil des ministres le 5 septembre a donc été déposé au Sénat  l’après-midi même. La Constitution prévoit que dans chaque chambre, les textes déposés soient examinés par des commissions spécialisées avant d’être discutés en séances publiques. Le 11 septembre au matin, la commission des affaires économiques du Sénat se réunissait donc pour examiner les quinze articles du projet de loi, et adopter une quinzaine d’amendement. Or, l’examen en séance publique commença le même jour, non pas sur le texte adopté par la commission, mais sur le projet de loi du gouvernement, non modifié. En passant ainsi avec pertes et fracas sur le travail de la commission, le Sénat violait avec une telle flagrance la Constitution qu’il ne fallait pas être grand clerc pour prévoir la censure par le Conseil constitutionnel. A tel point que le Premier ministre, dernière hérésie, annonça avec quelques heures d’avance une décision qui n’était pas encore officiellement prise.

Il est des victoires qu’on offre à l’ennemi. En agissant ainsi dans le simple but d’afficher un volontarisme politique, le gouvernement pensait-il vraiment que l’UMP allait s’abstenir de saisir le Conseil constitutionnel ? Cela relève soit de la naïveté, coupable à ce niveau, soit d’un cynisme important. D’aucuns pensent en effet qu’un autre projet de loi, ou un autre ministre, n’aurait pas fait les frais de cette erreur. Jean-Pierre Bel, président du Sénat, a beau jeu d’appeler maintenant à un meilleur respect du travail législatif, c’est bien a lui, in fine, qu’est revenu la responsabilité de valider le calendrier du gouvernement.

Les conséquences politiques sont lourdes. Au-delà de l’amateurisme que cette histoire dénote, c’est toute une loi qu’il faut revoter. Certaines dispositions n’avaient été adoptées qu’après bien des débats, et, au Sénat, le parti socialiste doit composer avec les autres groupes de la majorité : communistes, écologistes et radicaux. Ce n’est qu’avec l’ensemble de ces quatre groupes qu’ils peuvent espérer obtenir la majorité.

La saisine du Conseil constitutionnel par 60 députés et 60 sénateurs ne visait pas uniquement la procédure d’adoption du texte, mais également les articles 3, 10, 15 et 16. Censurant la loi dans son intégralité, le Conseil ne s’est évidemment pas prononcé sur ces articles, et il est plus que probable qu’une nouvelle saisine sera faite à l’issue du nouveau calendrier. En attendant, ce sont des projets qui sont bloqués, des dispositions inapplicables et des logements qui ne seront pas construits.

Pourtant, le gouvernement avait bien d’autres moyens de faire preuve de volontarisme tout en évitant ce désastre politique : il annonce aujourd’hui une circulaire pour empêcher l’expulsion des prioritaires DALO. Circulaire tout ce qu’il y a de plus conforme aux lois existantes et à la jurisprudence, elle ne nécessite que la signature de ministres. Combien de personnes ont été expulsées depuis deux mois, qui auraient pu ne pas l’être ? Et qu’on ne vienne pas me parler du préjudice de ces pauvres propriétaires : dans le cas de refus d’expulsion, le loyer est pris en charge par l’Etat, ce qui coûte d’ailleurs moins cher que la mobilisation des forces de l’ordre et les nuitées d’hôtel.

Qu’attend encore aujourd’hui le gouvernement pour annoncer quelques réquisitions d’immeubles vides ? Quand l’UNPI elle même reconnaît que plusieurs centaines de milliers de logements pourraient être remis immédiatement sur le marché ?

Tout ne peut être fait par décret ou circulaire, et c’est heureux que le parlement ait à ce prononcer sur le sujet du logement, comme sur d’autres. Mais de nombreuses dispositions existent déjà dans nos lois, qui ne demandent qu’à être appliquées. Mais il faut pour cela une véritable volonté politique qui se distingue d’un volontarisme de façade.

Faire de la place des Vosges un bidonville

Cet article a été publié précédemment sur un libéblog tenu par Jeudi Noir.

La cour de la MarquiseDepuis le 1er décembre 2008, la loi sur le droit au logement opposable est en application:  comme il ne suffit pas d’une loi pour créer des logements, l’État est de plus en plus souvent condamné, au point que le Conseil d’État s’en émeuve. L’État doit ainsi près de 10 millions d’euros, d’après le député UMP Étienne Pinte. Mais comme en fait cette somme passe juste d’une poche à l’autre de l’État, il n’est pas certain que cela accélère les constructions de logements.  Il y a un mois, le Comité de suivi de la loi DALO reprenait à son compte les demandes des associations d’appliquer le droit de réquisition. Il est vrai que ce comité est peuplé de dangereux gauchistes, des parlementaires comme, tiens, le député UMP Étienne Pinte.

Et puis, c’est historique, le Conseil de Paris a apporté son soutien à l’occupation de Jeudi Noir, place des Vosges. Occupation totalement légitime ont-ils dit. Pour comprendre l’évolution, il faut savoir que la mairie de Paris, avec la complicité active de l’État, n’hésitait pas à envoyer la police expulser de manière totalement illégale une occupation identique rue de Candie. Mais c’est vrai que là, il n’y avait pas les caméras de TF1 pour protéger les occupants… On aurait aimé que ce soutien « historique » se prolonge un peu, mais la mairie vient à nouveau d’expulser des habitants d’un immeuble  dans le 19ème arrondissement. Les occupations sont donc totalement légitimes sauf, bien sûr, quand c’est la mairie qui est propriétaire…

Évidemment, la réquisition, qu’elle soit l’œuvre de collectifs comme Jeudi Noir ou celle des préfectures en application de la loi, ne résoudra pas tous les problèmes de logements. Mais, dans l’urgence de la situation, permettre à quelques centaines de personnes de se loger, c’est déjà une victoire. Il y a comme toujours une querelle de chiffres sur le nombre de logements vacants, notamment à Paris. Cependant, même M. Mano, maire adjoint au logement de la mairie de Paris, qu’on ne peut pas suspecter de sympathie pour les squatteurs, donne le chiffre de 16.000 logements vacants1. Toutefois, tant que le secrétaire d’État chargé du logement et de l’urbanisme, M. Apparu, aura peur de transformer la France en URSS, comme il le déclare sur le sujet, on peut douter que des réquisitions aient lieu.

Dans cette situation, les squats sont amenés à se multiplier, malgré les risques juridiques, bien réels. Des huit étudiants d’ores et déjà condamnés à 80.000 euros d’amendes aux 12 sympathisants et voisins de la  place des Vosges, dont certains ignorent encore qu’on leur demande plus de 100.000 euros par mois, les sommes sont sans rapport avec les moyens d’une personne « normale ».

Pourtant, même sur le plan judiciaire, les choses bougent. Ainsi, à Lyon, la justice a débouté le Conseil général qui demandait l’expulsion d’un bidonville. Pour la première fois sans doute, un juge a considéré que lorsqu’un propriétaire n’utilisait pas son bien, l’état de nécessité permettait de s’y installer2. Bien entendu, les conditions de vie en bidonville ou à la rue sont bien plus dures que dans un squat, nous en sommes conscients. Mais justement. Lorsque la société entière manque de logements, on ne peut pas tolérer de laisser à l’abandon des milliers de logements. C’est pour ça que l’on espère que, le 30 décembre, la justice fera de la place des Vosges un bidonville.

[1] L’INSEE en donne 120 000…
[2] C’est, en résumé, le constat que l’usufruit abandonné puisse être transférer aux habitants, tandis que la nue-propriété reste au propriétaire.