Madame, Monsieur,
Vous allez examiner demain une proposition de loi tendant à préciser l’infraction de violation de domicile. Ce texte, issu des travaux de la commission des Lois, modifie l’article 226-4 code pénal pour faire du maintien au domicile une infraction continue donnant aux forces de l’ordre les moyens légaux découlant de la flagrance tant que dure l’occupation.
Dans sa rédaction actuelle, le texte ne modifie pas la notion de domicile précisée par la jurisprudence depuis son introduction dans la loi en 1832. Cette notion couvre déjà l’ensemble des lieux où l’on peut se dire chez soi, qu’on y habite ou non, quelque soit le titre d’occupation. Par exemple, une maison de vacance ou laissé vide suite à un séjour à l’hôpital est un domicile protégé. De même, les locaux professionnels sont protégés, tant qu’ils sont utilisés. Les militants de Greenpeace sont notamment condamnés pour violation de domicile lorsqu’ils pénètrent dans le parc de centrales nucléaires.
Ce que la notion de domicile ne protège pas, ce sont les locaux ou terrains vacants. En effet la jurisprudence constante de la Cour de Cassation estime que l’article 226-4 n’a pas pour objet de garantir d’une manière générale les propriétés immobilières contre une usurpation. (Cass. Crim. du 30 octobre 2006, Bull. Crim. 2006 n° 261, Cass. Crim. du 26 juin 2002, Cass. Crim du 22 janvier 1997, Bull. Crim. 1997 n°31…)
Dans le cadre de la violation de domicile, au-delà des sanctions pénales susceptibles d’être prononcées, l’article 38 de la loi DALO permet d’expulser tout occupant sur simple plainte et après un délai de seulement 24h. Il n’apparaît pas anormal que l’occupant légitime puisse retrouver son domicile rapidement.
Dans le cas des locaux vacants, la procédure civile permet d’obtenir l’expulsion en quelques semaines, en respectant le droit fondamental à un procès équitable.
En effet, devant l’impossibilité de respecter l’obligation d’hébergement de l’État, (article L 345-2 et suivants du code de l’action sociale et des familles), hébergement reconnu comme liberté fondamentale par le Conseil d’État (CE, 10 février 2012), de nombreuses personnes sans autres solutions se réfugient dans des locaux vacants pour y habiter. Ces occupations sont d’ailleurs soutenus par de nombreux élus de tous bords comme Etienne Pinte, ancien député-maire UMP de Versailles.
L’amendement n°2 de Mme Bouchart aurait pour effet de transformer tous les locaux vacants en domiciles fictifs du simple fait de leur occupation aux fins d’habitation. Le but est évidemment de pouvoir expulser sans décision de justice. Il est peu probable en effet, face à la misère humaine, que les sanctions pénales soient de nature à effrayer le sans abris au seuil d’un bâtiment vide.
L’amendement n°3 permettrait au maire d’une commune de se substituer au propriétaire du bien pour demander l’expulsion. La commission des Lois s’est justement interrogée dans son rapport sur le risque de voir la responsabilité du maire engagée, notamment en cas de saisine abusive, en l’absence d’information du propriétaire.
Ces deux amendements ne résoudront aucun des problèmes qu’ils prétendent résoudre. Au contraire, en multipliant les phases d’ouverture et d’expulsion, on va multiplier les risques de trouble à l’ordre public. Une fois expulsés, les sans-abris iront ouvrir un autre bâtiment pour s’abriter. Ce ne sont pas les occupations de locaux vacants le problème, mais bien la présence de sans-abris.
Par ailleurs, la constitutionnalité de ces amendements est douteuse. En effet, dans sa décision 2011-625 DC, le Conseil Constitutionnel a considéré qu’un délai de 48h pour déposer un recours suspensif avant une expulsion ne saurait, en l’espèce, constituer une garantie suffisante pour assurer une conciliation qui ne serait pas manifestement déséquilibrée entre la nécessité de sauvegarder l’ordre public et les droits et libertés constitutionnellement garantis.