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Guillaume Pley peut-il être condamné ?

Capture d'écran de la vidéo

Capture d’écran de la vidéo

Depuis quelques jours circule une vidéo réalisée par l’animateur de NRJ12 qui prétend montrer comment choper une fille en trois questions. Ces trois questions sont :

  • Est-ce que tu as un petit copain ?
  • Comment tu me trouves physiquement ?
  • C’est quoi ton excuse pour ne pas m’embrasser, là, tout de suite ?

En s’inscrivant en plein dans une vision sexiste de la société, où les hommes seraient des prédateurs devant multiplier leurs conquêtes, et les femmes ravalées au rang de proies, cette vidéo serait déjà problématique. Supposer qu’une femme célibataire n’aurait aucune de bonnes raisons de refuser d’embrasser un homme, même séduisant, est assez étrange. Surtout que l’enchainement des trois questions par un inconnu fait poser la question de sa santé mentale…
Las, Guillaume Pley ne se contente pas de poser ses questions et d’attendre la réaction, il embrasse. Anticipant un taux d’échec trop important pour réaliser sa vidéo dans un délai raisonnable – oui, une équipe de tournage coûte chère, même s’il ne l’a sans doute pas payée de sa poche – l’animateur ne laisse aucun choix à ses victimes.

Plusieurs avocats, plusieurs féministes, se sont émues de cette vidéo en appelant à des poursuites. Et, dans ce cas, des poursuites pénales sont tout à fait possible. Le premier alinéa de l’article 222-22 du code pénal est en effet tout à fait clair : Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise.

Dans la vidéo, on voit Guillaume Pley embrasser, sans attendre la réponse à sa dernière question, et parfois malgré une réponse négative. A d’autres reprises, on le voit même bloquer une tête de son bras. L’élément de surprise est donc parfaitement constitué, et pour le second cas, celui de contrainte également.
D’aucuns ont prétendu qu’un simple baiser ne constituait pas une atteinte sexuelle. Il faut être honnête, la jurisprudence est assez rare. La justice ayant plutôt tendance à requalifier les viols en simples agressions, les baisers volés se retrouvent assez rarement devant les tribunaux.

Pourtant, et avec toute la prudence nécessaire compte-tenu des différences, on trouve malgré tout quelques renseignements : Ainsi, en 2004, la chambre criminelle de la Cour de cassation estimait que le fait d’embrasser sur la bouche ne constituait pas un harcèlement sexuel, mais enjoignait à la cour de renvoi d’examiner si les faits correspondait à une atteinte sexuelle. En 2006, la Cour de cassation reprends les motifs de la décision qui lui est soumise : même si un baiser sur la bouche (…) n’a pas nécessairement le caractère d’une atteinte sexuelle, les circonstances dans lesquelles ces baisers ont été donnés (…) ne laisse à la cour aucun doute sur ce caractère.

Le caractère sexuel d’un simple baiser doit donc s’entendre en fonction des circonstance. De cette manière, un homme ayant furtivement embrassé sur la bouche au lieu de la joue a été récemment relaxé du chef d’agression sexuelle.
Dans le cas de Guillaume Pley, plusieurs choses jouent en sa défaveur : d’une part, le terme de « choper » mis en exergue au début de la vidéo induit clairement une connotation sexuelle. D’autre part, la multiplicité des atteintes rend illusoire une défense qui se prévaudrait d’une tentative de séduction maladroite.

Mais Guillaume Pley n’est pas la seule personne passible de sanctions pénales dans cette affaire. En effet, l’article 222-33-3 du code pénal rend complice du délit d’agression celui qui enregistre sciemment le délit. C’est un des très rare cas dans la législation française où la seule prise de vue est répréhensible. Ici, c’est toute l’équipe de prise de vue qui se retrouve complice d’agression sexuelle, faisant passer la peine encourue de cinq à sept ans d’emprisonnement et de 75 000 à 100 000 € d’amende par l’application du 4° de l’article 222-28.

Au passage, avis à tous ceux qui voudraient publier également cette vidéo, le fait de diffuser de telles images est puni de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende, c’est le deuxième alinéa de l’article 222-33-3.

Le dernier alinéa de cet article prévoit une exception dans deux cas seulement : si l’enregistrement est réalisé afin de servir de preuve en justice, ce qui n’est évidemment pas le cas ici, et s’il est réalisé à des fins journalistiques. Ici, peu importe le statut non-journaliste de la personne : de mon point de vue, toute personne peut se réclamer d’une volonté d’information sur des faits qui existeraient sans la prise de vue. Toutefois, cette vidéo n’a pas été tournée dans le but d’informer du comportement de l’animateur, mais dans un but commercial, pour faire le buzz. Et Guillaume Pley, selon ses propres dires, à dû « se forcer » pour la vidéo.

Le fait que les personnes victimes aient donné leur accord pour la diffusion des images est sans influence sur la commission du délit. Par ailleurs, si le papier a été signé immédiatement après la prise de vue, on peut se poser la question de la validité du consentement : juste après une agression, entouré de l’agresseur et de ses complices ?

Enfin, Guillaume Pley peut être poursuivi pour son incitation à l’imiter, et donc à commettre un délit. Bien qu’il s’en soit défendu par la suite, les capture d’écran ne laissent aucun doute sur le sujet. D’autre part, la vidéo à elle seule, sans aucun avertissement et se présentant comme un mode d’emploi, pourrait être considérée comme une incitation. Et l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée prévoit que si cette incitation est suivie d’effet, son auteur doit être puni comme complice. A chaque auditeur de NRJ12, à chaque internaute qui embrasserait en utilisant cette technique, Guillaume Pley est susceptible d’une nouvelle condamnation. Même sans être suivi d’effet, et s’agissant d’agressions sexuelles, l’article 24 de la loi précitée prévoit encore une peine de cinq ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende pour cette incitation.

Alors, il faut bien entendu relativiser. Non, cette vidéo n’est pas l’affaire du siècle, et oui, il y a malheureusement des faits bien plus graves. Je ne crois pas d’ailleurs qu’aucune des féministes qui se sont mobilisées souhaite réellement que cet animateur passe cinq ou sept ans en prison. Pour autant, je crois nécessaire de se mobiliser sur le sujet, notamment pour obtenir le retrait de la vidéo. D’abord parce que l’excuse des sujets plus importants est inopérante. Il y aura toujours, quelque soit le sujet et sa gravité, d’autres évènements encore pire. Refuser d’agir pour ce motif, ce n’est qu’un moyen de se donner bonne conscience. Surtout, on a là affaire à une vidéo avec une diffusion conséquente, qui répand l’idée que le consentement des femmes n’est pas chose importante. L’intervention de Najat Vallaud-Belkacem, pourtant ministre du droit des Femmes, paraît ici aberrante : ce qui a été commis n’est pas une erreur, mais plusieurs délits. Et un message de prévention n’y changerait rien. Imagine-t-on, Alors même que le seul usage de stupéfiant est pénalement moins sanctionné que l’agression sexuelle, un ministre de l’intérieur ne pas même envisager la suppression d’une vidéo où un animateur expliquerait les bienfaits du cannabis ?

Appel citoyen contre l’incitation au viol sur Internet

Je reprends ici une tribune contre l’incitation au viol sur Internet ou ailleurs. L’intégralité de cette tribune peut être téléchargée ici. Toute personne adhérant à cet appel peut le reprendre à son compte et le reproduire, le diffuser et le publier. À la fin de l’article, vous trouverez une liste non-exhaustive de blogs le reprenant.

Tribune

Incitation au viol sur un site de coaching en séduction

Nous, militantes féministes et citoyennes, avons récemment dénoncé un site de coaching en « séduction » appelé Seduction By Kamal 1 comme incitant au viol.

Seduction By Kamal est un site d’apprentissage des techniques de « pick up artist », à savoir « artiste de la drague ». Il s’agit de techniques de « drague » et de conseils en matière de sexualité. Le site est gérée par la société SBK Coaching, et génère du profit grâce à la vente de livres numériques (« e-books »).

L’indignation s’est focalisée sur un article violent en accès libre et gratuit. Intitulé « Comment Bien Baiser : les 3 Secrets du Hard SEXE »2, il nous apparait en réalité comme une incitation au viol, particulièrement toxique en raison de l’aspect éducatif du site.

Nous estimons que les propos sont explicites : pour bien « baiser », l’important est de ne pas tenir compte du consentement de sa « partenaire ». Une capture d’écran est conservée ici. Les extraits les plus choquants sont cités ci-dessous, dans la lettre au Procureur, ainsi que chez la blogueuse Diké3.

Cet article a été écrit par Jean-Baptiste Marsille, rédacteur web, auto-entrepreneur et écrivain4. Le directeur de publication du site se fait appeler Kamal5.

Il ne s’agit pas d’un petit blog isolé. D’après son créateur, ce site reçoit 20 000 visiteurs par jours, le chiffre d’affaire de la société « SBK Coaching» est de l’ordre de 10 000 euros par mois6. Sa page Facebook est suivie (« likée ») par près de 17 000 personnes. Nous notons aussi que les frais de fonctionnement du site semblent peu élevés, compte-tenu des avantages fiscaux de la Pologne par rapport à la France7, et du caractère dématérialisé des publications électroniques vendues.

Malgré de multiples sollicitations depuis octobre 2012, Kamal n’a jamais réagi. L’article était toujours en ligne à l’heure où nous écrivons cette lettre.

Depuis 2012, cet article a également été signalé en vain au Ministère de l’Intérieur (www.internet-signalement.gouv.fr). Pourquoi la loi n’est-elle pas appliquée ? Est-ce un problème managérial (manque de moyens pour traiter tous les signalements) ou un problème culturel (mauvaise formation et sensibilisation des agents du Ministère à la misogynie en ligne et à la culture du viol) ?

Nous joignons donc à cette tribune une plainte au Procureur de la République concernant le délit d’incitation au viol en ligne sur la page signalée.

Appel aux autorités et aux acteurs du web : stopper la misogynie en ligne

Ceci dit, notre objectif n’est pas de nous focaliser sur ce seul type de site Internet à la marge, mais sur l’ensemble de la misogynie globalement répandue sur l’espace Internet, et trop tolérée.

De nombreux agresseurs et leurs complices se sentent autorisés, en toute impunité, à exhiber sur Internet leurs infractions misogynes (viol, agression, non-assistance à personne en danger, recel de médias à caractère pédo-criminel…). Leurs victimes sont réduites au silence ou humiliées à l’échelle planétaire, subissant la reproduction perpétuelle de leurs agressions sur les réseaux sociaux.

Comment les Internautes peuvent-ils encourager un tel laxisme envers des criminels, et une telle sévérité envers les victimes ? Certainement à cause d’un amalgame toxique entre sexualité et violence érotisée (culture du viol) combinée à une mauvaise appréciation du sexisme sur Internet, perçu à tort comme “virtuel”.

Or le sexisme en ligne n’a rien de virtuel : le harcèlement subi par des personnalités connues comme par des adolescentes anonymes (ou qui auraient voulu le rester), le racolage des mineures par les pédo-criminels ou les proxénètes, l’omniprésence des images de femmes hypersexualisées et objectivées, dans les contenus personnels, journalistiques, culturels et commerciaux – clichés parfois pris à l’insu du sujet, l’humour sexiste qui alimente la tolérance envers le sexisme, les discours vindicatifs, stéréotypés et dégradants à l’égard des femmes, tout ceci est bien réel.

Ailleurs, sur le web anglophone notamment, des voix se sont élevées pour exposer l’ampleur de la misogynie sur Internet, et exiger des actions concrètes pour y mettre fin. Ainsi la campagne #FBRape a permis un début de dialogue avec Facebook, dans le but d’améliorer les systèmes d’identification et de modération des discours de haine misogyne8.

Côté français, l’incitation à haine, à la discrimination ou à la violence est interdite par la Loi sur la liberté de la presse, article 249. Nous exigeons que l’alinéa 7 soit appliqué, à savoir que l’incitation à la violence en raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap soit réellement pénalisée.

Nous demandons également une modification de l’alinéa 6 de cette même loi (concernant l’incitation à la discrimination et à la haine) pour qu’il soit étendu au sexisme. Actuellement seules sont concernées les discriminations et la haine motivées par des raisons ethniques, raciales ou religieuses.

Enfin, nous appelons les pouvoirs publics à mettre en place une plateforme dédiée au signalement de sites misogynes, à la sensibilisation des acteurs du web sur le sujet, et à l’accompagnement des victimes de discrimination, de haine ou de violences misogynes sur Internet.

Nous appelons également les entreprises du web ou présentes sur Internet à mettre en place des pratiques éthiques pour lutter contre le sexisme sur Internet, en coopération avec la société civile.

Collectif féministe et citoyen

Plainte au Procureur

Paris, le 05/09/2013

Lettre R.A.R.

Monsieur le Procureur de la République,

Nous, citoyennes, tenons par la présente à vous signaler les faits délictueux visés par l’article 24 de la Loi sur la Liberté de la Presse qui punit de « cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ceux qui (…) auront directement provoqué, dans le cas où cette provocation n’aurait pas été suivie d’effet, à commettre l’une des infractions suivantes : les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne et les agressions sexuelles définies par le livre II du code pénal ».

Sur le site Seduction By Kamal, cette page (URL : http://www.seductionbykamal.com/comment-bien-baiser – captures d’écran ci-joint) intitulée « Comment Bien Baiser : les 3 Secrets du Hard SEXE » constitue une apologie du viol et une incitation à la violence contre les femmes. Quelques extraits explicites :

  • « Montrez-lui qu’elle n’a pas vraiment le choix »
  • « Attaquez sa poitrine »
  • « créer rapidement une image du mec qui sait ce qu’il veut et qui l’obtient quand il veut ».
  • « vous décidez […] tout est entre vos mains (ou vos cuisses devrais-je dire) »
  • « perdre tout contrôle de la situation est un « turn on » majeur pour les femmes ».
  • « appliquez-vous à aller en profondeur et à ne stopper la cadence que quand VOUS le décidez ! Elle se plaint ? Pas pour longtemps ! C’est un phénomène naturel de rejet de l’autorité, mais une fois cette barrière franchie, elle s’abandonnera à vous et vous demandera de la défoncer […] c’est ça en fait la véritable notion du fameux « BIEN BAISER ».
  • « Imposez votre puissance ».
  • « Donnez des ordres et soyez inflexible. Ne lui demandez pas gentiment si, éventuellement, vous pourriez avoir une fellation et éjaculer dans sa bouche… La décision est prise, retirez-vous et faites la descendre vers votre sexe afin d’affirmer votre posture. »
  • « Si seulement vous saviez combien de femmes rêvent de se faire démonter par un inconnu au chibre géant ».
  • « Cette méthode est relativement efficace quand on rencontre une inconnue qui nous ramène chez elle. Si elle en arrive là, c’est sans doute parce qu’au fond, ce qu’elle veut, c’est tirer un coup. »
  • « Ne lui demandez pas si vous pouvez la pénétrer comme un animal sauvage, faites-le ! »
  • « il vous suffit […] de laisser parler vos envies, sans vous restreindre. Prenez le contrôle du rapport sexuel et pensez que votre masculinité passe par des coups de boutoir infligés. »
  • « ne vous refusez rien ».

Nous avons signalé ce lien à internet.signalement.gouv.fr sans aucune conséquence concrète.

La présente faisant valoir ce que de droit.

Copie à

– Monsieur Manuel Valls, Ministre de l’Intérieur
– Madame Vallaud-Belkacem, Ministre des Droits des femmes,
– Madame Christiane Taubira, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice
– Haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Hommes
– Observatoire des Inégalités
– Le Monde
– Le Figaro
– Médiapart
– Rue 89
– Libération
– Les Nouvelles News
– Slate
– Fédération Nationale Solidarité Femmes
– Signalement publié sur internet par une dizaine de blogs

le 05/09/2013

Capture d’écran de l’article signalé : http://dikecourrier.files.wordpress.com/2013/08/comment-bien-violer-une-femme-par-seduction-by-kamal-kay-et-jb-marsille1.pdf

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Sources et liens cités dans l’appel :

  1. www.seductionbykamal.com
  2. www.seductionbykamal.com/comment-bien-baiser
  3. http://dikecourrier.wordpress.com/2013/08/19/pick-up-artists-le-marketing-de-la-violence-misogyne
  4. www.profils-auto-entrepreneurs.com/profil/jean-baptiste.marsille
  5. www.seductionbykamal.com/mentions-legales/
  6. www.agence-csv.com/seduction-by-kamal-le-seducteur/
  7. www.lepetitjournal.com/varsovie/economie/132935-varsovie-eco
  8. www.womenactionmedia.org/facebookaction/how-to-report-gender-based-hate-speech-to-facebook
  9. www.legifrance.gouv.fr

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Si vous êtes d’accord avec cet appel, n’hésitez pas à le copier-coller sur votre blog, comme ci-dessous. Merci ;)

V.I.O.L.

Les victimes de viol ne doivent pas se sentir bien, ces derniers temps. Est-il besoin de dire pourquoi ? Ce n’est pas tant l’évocation d’une nouvelle affaire de viol ; si certains peuvent en souffrir, il appartient à chacun et d’abord aux victimes de se blinder un peu. Malheureusement, de tels faits se produiront toujours, et un empathie trop importante n’est finalement que le reflet de ses propres traumatismes. Il faut passer outre.

Le plus dur, ce ne sont même pas les faits qui sont reprochés à Dominique Strauss-Kahn, mais les propos de quelques-uns qui prennent « sa défense ». Bien entendu, DSK a droit à la présomption d’innocence. Bien entendu, on peut évoquer la thèse du complot : si elle paraît de moins en moins crédible au fil des jours, qui peut prétendre ne pas l’avoir envisagée ? Même les arguties de ceux qui, visiblement, ont du mal avec la notion d’égalité, n’ont pas grande importance.

Ce qui choque, ce qui me choque, ce sont toutes ces phrases qui minimisent la gravité des accusations. Ces commentateurs qui rappellent qu’il n’est pas accusé de viol, mais de tentative de viol. Mascarade intellectuelle. Parce qu’en droit français, les faits reprochés correspondent bien au viol. Parce que, surtout, la tentative de viol est punie de la même manière que le viol. Se rendent-ils comptent d’ailleurs qu’ils enfoncent DSK en disant cela ? Comme s’ils le savaient d’ors et déjà impossible à innocenter ?

Le summum a été atteint avec Jean-François Kahn. Son « troussage de femme de chambre », il l’a retiré et je veux bien croire à un mot malheureux d’une personne dont le métier est de « faire le buzz ». Mais sa « tentative violente de viol » ? Ce n’est pas que je veuille l’accabler, c’est surtout que cette phrase est l’expression presque inconsciente de l’imaginaire collectif : le viol, c’est quand un inconnu vous agresse dans la rue, et ce n’est que ça. Des monstres pathologiques qu’il faut enfermer, même après qu’ils aient purgés leurs peines. Cette idée est tellement répandue, et confortée par la politique actuelle, avec la médiatisation systématique de ces faits divers. Mais tellement éloignée de la réalité.

Ma formation universitaire fait que je me méfie lorsque je vois des chiffres sans sources. 75 000 viols annuels, dix pour cent des victimes qui portent plainte. On peut chipoter sur le détail, mais les ordres de grandeurs sont sans doute justes. Croyez-vous que tous ces actes sont le fait de serial violeur ? Le coupable, c’est le père, l’oncle, l’ami, le collègue. Dans l’immense majorité des cas. Et c’est bien ce qui rend difficile de porter plainte. S’il est déjà honteux d’avoir été violé quand c’est par un inconnu, imagine-t-on un instant la difficulté d’accuser celui que l’on connaît depuis des années ?

Lorsque j’ai commencé, pour des raisons personnelles, à aborder le sujet avec des amies, j’ai été effaré des réponses. Sur la dizaine de personnes questionnées, quatre ont reconnues avoir été violées. Je n’en avais jamais rien su, même après plusieurs années. Pourtant, le traumatisme est bien là. Aucune n’a porté plainte, probablement parce qu’elles connaissaient toutes leurs violeurs depuis longtemps. Et, pour les deux qui ont été violées par un membre de leur famille, parce qu’elles continuent à le fréquenter. C’est difficile, à vingt ans, de rejeter son père ou son frère.

Dans tous ces cas où l’on connaît le violeur, la première difficulté, c’est d’admettre avoir été victime. Cette simple étape peut prendre des années, et des années de souffrance qui perturberont toutes relations amoureuses. Je me souviens en particulier d’une amie qui me racontait que, oui, il l’avait pénétrée alors qu’elle ne voulait pas, que ça avait été douloureux, mais que c’était son copain, qu’il ne l’avait pas violée. Que répondre ?

Ce qui est douloureux aujourd’hui, ce n’est pas le traitement de l’affaire DSK en lui même, ce ne sont pas les déclarations scandaleuses, mais bien ce qu’elles montrent de notre société. Si l’on a pas été violé dans la rue par un détraqué, on n’a pas vraiment été violé.