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Appel citoyen contre l’incitation au viol sur Internet

Je reprends ici une tribune contre l’incitation au viol sur Internet ou ailleurs. L’intégralité de cette tribune peut être téléchargée ici. Toute personne adhérant à cet appel peut le reprendre à son compte et le reproduire, le diffuser et le publier. À la fin de l’article, vous trouverez une liste non-exhaustive de blogs le reprenant.

Tribune

Incitation au viol sur un site de coaching en séduction

Nous, militantes féministes et citoyennes, avons récemment dénoncé un site de coaching en « séduction » appelé Seduction By Kamal 1 comme incitant au viol.

Seduction By Kamal est un site d’apprentissage des techniques de « pick up artist », à savoir « artiste de la drague ». Il s’agit de techniques de « drague » et de conseils en matière de sexualité. Le site est gérée par la société SBK Coaching, et génère du profit grâce à la vente de livres numériques (« e-books »).

L’indignation s’est focalisée sur un article violent en accès libre et gratuit. Intitulé « Comment Bien Baiser : les 3 Secrets du Hard SEXE »2, il nous apparait en réalité comme une incitation au viol, particulièrement toxique en raison de l’aspect éducatif du site.

Nous estimons que les propos sont explicites : pour bien « baiser », l’important est de ne pas tenir compte du consentement de sa « partenaire ». Une capture d’écran est conservée ici. Les extraits les plus choquants sont cités ci-dessous, dans la lettre au Procureur, ainsi que chez la blogueuse Diké3.

Cet article a été écrit par Jean-Baptiste Marsille, rédacteur web, auto-entrepreneur et écrivain4. Le directeur de publication du site se fait appeler Kamal5.

Il ne s’agit pas d’un petit blog isolé. D’après son créateur, ce site reçoit 20 000 visiteurs par jours, le chiffre d’affaire de la société « SBK Coaching» est de l’ordre de 10 000 euros par mois6. Sa page Facebook est suivie (« likée ») par près de 17 000 personnes. Nous notons aussi que les frais de fonctionnement du site semblent peu élevés, compte-tenu des avantages fiscaux de la Pologne par rapport à la France7, et du caractère dématérialisé des publications électroniques vendues.

Malgré de multiples sollicitations depuis octobre 2012, Kamal n’a jamais réagi. L’article était toujours en ligne à l’heure où nous écrivons cette lettre.

Depuis 2012, cet article a également été signalé en vain au Ministère de l’Intérieur (www.internet-signalement.gouv.fr). Pourquoi la loi n’est-elle pas appliquée ? Est-ce un problème managérial (manque de moyens pour traiter tous les signalements) ou un problème culturel (mauvaise formation et sensibilisation des agents du Ministère à la misogynie en ligne et à la culture du viol) ?

Nous joignons donc à cette tribune une plainte au Procureur de la République concernant le délit d’incitation au viol en ligne sur la page signalée.

Appel aux autorités et aux acteurs du web : stopper la misogynie en ligne

Ceci dit, notre objectif n’est pas de nous focaliser sur ce seul type de site Internet à la marge, mais sur l’ensemble de la misogynie globalement répandue sur l’espace Internet, et trop tolérée.

De nombreux agresseurs et leurs complices se sentent autorisés, en toute impunité, à exhiber sur Internet leurs infractions misogynes (viol, agression, non-assistance à personne en danger, recel de médias à caractère pédo-criminel…). Leurs victimes sont réduites au silence ou humiliées à l’échelle planétaire, subissant la reproduction perpétuelle de leurs agressions sur les réseaux sociaux.

Comment les Internautes peuvent-ils encourager un tel laxisme envers des criminels, et une telle sévérité envers les victimes ? Certainement à cause d’un amalgame toxique entre sexualité et violence érotisée (culture du viol) combinée à une mauvaise appréciation du sexisme sur Internet, perçu à tort comme “virtuel”.

Or le sexisme en ligne n’a rien de virtuel : le harcèlement subi par des personnalités connues comme par des adolescentes anonymes (ou qui auraient voulu le rester), le racolage des mineures par les pédo-criminels ou les proxénètes, l’omniprésence des images de femmes hypersexualisées et objectivées, dans les contenus personnels, journalistiques, culturels et commerciaux – clichés parfois pris à l’insu du sujet, l’humour sexiste qui alimente la tolérance envers le sexisme, les discours vindicatifs, stéréotypés et dégradants à l’égard des femmes, tout ceci est bien réel.

Ailleurs, sur le web anglophone notamment, des voix se sont élevées pour exposer l’ampleur de la misogynie sur Internet, et exiger des actions concrètes pour y mettre fin. Ainsi la campagne #FBRape a permis un début de dialogue avec Facebook, dans le but d’améliorer les systèmes d’identification et de modération des discours de haine misogyne8.

Côté français, l’incitation à haine, à la discrimination ou à la violence est interdite par la Loi sur la liberté de la presse, article 249. Nous exigeons que l’alinéa 7 soit appliqué, à savoir que l’incitation à la violence en raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap soit réellement pénalisée.

Nous demandons également une modification de l’alinéa 6 de cette même loi (concernant l’incitation à la discrimination et à la haine) pour qu’il soit étendu au sexisme. Actuellement seules sont concernées les discriminations et la haine motivées par des raisons ethniques, raciales ou religieuses.

Enfin, nous appelons les pouvoirs publics à mettre en place une plateforme dédiée au signalement de sites misogynes, à la sensibilisation des acteurs du web sur le sujet, et à l’accompagnement des victimes de discrimination, de haine ou de violences misogynes sur Internet.

Nous appelons également les entreprises du web ou présentes sur Internet à mettre en place des pratiques éthiques pour lutter contre le sexisme sur Internet, en coopération avec la société civile.

Collectif féministe et citoyen

Plainte au Procureur

Paris, le 05/09/2013

Lettre R.A.R.

Monsieur le Procureur de la République,

Nous, citoyennes, tenons par la présente à vous signaler les faits délictueux visés par l’article 24 de la Loi sur la Liberté de la Presse qui punit de « cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ceux qui (…) auront directement provoqué, dans le cas où cette provocation n’aurait pas été suivie d’effet, à commettre l’une des infractions suivantes : les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne et les agressions sexuelles définies par le livre II du code pénal ».

Sur le site Seduction By Kamal, cette page (URL : http://www.seductionbykamal.com/comment-bien-baiser – captures d’écran ci-joint) intitulée « Comment Bien Baiser : les 3 Secrets du Hard SEXE » constitue une apologie du viol et une incitation à la violence contre les femmes. Quelques extraits explicites :

  • « Montrez-lui qu’elle n’a pas vraiment le choix »
  • « Attaquez sa poitrine »
  • « créer rapidement une image du mec qui sait ce qu’il veut et qui l’obtient quand il veut ».
  • « vous décidez […] tout est entre vos mains (ou vos cuisses devrais-je dire) »
  • « perdre tout contrôle de la situation est un « turn on » majeur pour les femmes ».
  • « appliquez-vous à aller en profondeur et à ne stopper la cadence que quand VOUS le décidez ! Elle se plaint ? Pas pour longtemps ! C’est un phénomène naturel de rejet de l’autorité, mais une fois cette barrière franchie, elle s’abandonnera à vous et vous demandera de la défoncer […] c’est ça en fait la véritable notion du fameux « BIEN BAISER ».
  • « Imposez votre puissance ».
  • « Donnez des ordres et soyez inflexible. Ne lui demandez pas gentiment si, éventuellement, vous pourriez avoir une fellation et éjaculer dans sa bouche… La décision est prise, retirez-vous et faites la descendre vers votre sexe afin d’affirmer votre posture. »
  • « Si seulement vous saviez combien de femmes rêvent de se faire démonter par un inconnu au chibre géant ».
  • « Cette méthode est relativement efficace quand on rencontre une inconnue qui nous ramène chez elle. Si elle en arrive là, c’est sans doute parce qu’au fond, ce qu’elle veut, c’est tirer un coup. »
  • « Ne lui demandez pas si vous pouvez la pénétrer comme un animal sauvage, faites-le ! »
  • « il vous suffit […] de laisser parler vos envies, sans vous restreindre. Prenez le contrôle du rapport sexuel et pensez que votre masculinité passe par des coups de boutoir infligés. »
  • « ne vous refusez rien ».

Nous avons signalé ce lien à internet.signalement.gouv.fr sans aucune conséquence concrète.

La présente faisant valoir ce que de droit.

Copie à

– Monsieur Manuel Valls, Ministre de l’Intérieur
– Madame Vallaud-Belkacem, Ministre des Droits des femmes,
– Madame Christiane Taubira, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice
– Haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Hommes
– Observatoire des Inégalités
– Le Monde
– Le Figaro
– Médiapart
– Rue 89
– Libération
– Les Nouvelles News
– Slate
– Fédération Nationale Solidarité Femmes
– Signalement publié sur internet par une dizaine de blogs

le 05/09/2013

Capture d’écran de l’article signalé : http://dikecourrier.files.wordpress.com/2013/08/comment-bien-violer-une-femme-par-seduction-by-kamal-kay-et-jb-marsille1.pdf

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Sources et liens cités dans l’appel :

  1. www.seductionbykamal.com
  2. www.seductionbykamal.com/comment-bien-baiser
  3. http://dikecourrier.wordpress.com/2013/08/19/pick-up-artists-le-marketing-de-la-violence-misogyne
  4. www.profils-auto-entrepreneurs.com/profil/jean-baptiste.marsille
  5. www.seductionbykamal.com/mentions-legales/
  6. www.agence-csv.com/seduction-by-kamal-le-seducteur/
  7. www.lepetitjournal.com/varsovie/economie/132935-varsovie-eco
  8. www.womenactionmedia.org/facebookaction/how-to-report-gender-based-hate-speech-to-facebook
  9. www.legifrance.gouv.fr

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Si vous êtes d’accord avec cet appel, n’hésitez pas à le copier-coller sur votre blog, comme ci-dessous. Merci ;)

Ordre et Justice

La prison des Baumettes, à Marseille, fait encore un peu parler d’elle. Le contrôleur général des lieux de privations de liberté a utilisé une procédure d’urgence pour demander au gouvernement de répondre à ses observations. Le contrôle a « fait apparaître, sans aucun doute, une violation grave des droits fondamentaux, notamment au regard de l’obligation incombant aux autorités publiques (…) de préserver les personnes détenues de tout traitement inhumain et dégradant. » La situation n’est pas nouvelle, comme le rappelle l’avocat Gilles Devers.

Mais, alors que de tels manquements aux règles de droit devraient faire la une des journaux, tout le monde (ou presque) s’en fout. Après tout, ce ne sont que des prisonniers, ils n’avaient qu’à être honnête comme tout le monde ! Alors que la majorité des détenus n’ont même pas dû être jugés…

On retrouve cette situation où l’État se met hors-la-loi, au nom de l’ordre et la sécurité, dans bien d’autres situations.

Je ne me considère pas comme totalement angélique, non. Sans parler d’une société de justice « idéale », car toute le monde à sa vision de la justice (et celle de l’IPJ, par exemple, n’est pas la même que la mienne), j’ai le sentiment que l’État de droit recule en France, non pas du fait des délinquants, mais du fait de l’État lui-même.

Après, le droit a toujours fait que les puissants étaient mieux protégés que les faibles. Mais au moins il était respecté.

Je n’ai pas d’exemples généraux, je ne suis pas juriste et ne suis pas la situation d’assez près. En revanche, je connais (très) bien la situation des squats à Paris, par expérience personnelle ou pour avoir fait des recherches sur les années précédentes. Le squat est de plus en plus souvent traité comme une infraction pénale qu’il n’est pas, les expulsions policières illégales se multiplient. Les policiers vont jusqu’à expliquer aux propriétaires qu’ils n’ont qu’à dire être passé la veille dans le bâtiment pour obtenir l’expulsion, quand bien même les squatteurs sont dans le bâtiment depuis plusieurs semaines.

Des expulsions en violation de la trêve hivernale se font de plus en plus souvent, alors que la trêve hivernale s’applique aux squatteurs, sauf décision motivée du juge. Sans qu’il y ait de relogement, en violation de la loi là encore. Pourtant, l’hébergement est un droit fondamental, reconnu comme tel par le Conseil d’État, et l’État justement se fait régulièrement condamné sur le sujet. Mais la part de sans-abris capable de rédiger un référé-liberté sur le trottoir est assez faible. Les CRS vont jusqu’à suivre les groupes délogés pour les empêcher de se réinstaller ailleurs, et les contraindre à rester à la rue.

Ce ne sont pas des bavures ponctuelles, commises par des fonctionnaires sous le coup du stress, mais c’est une politique qui est validée au plus haut niveau de l’État. (Des témoignages crédibles font état d’intervention du cabinet du premier ministre pour ordonner de telles expulsions).

En agissant ainsi contre le droit, l’État détruit par lui-même ce qui le fonde. Il ne faut pas s’étonner alors que d’aucuns cherchent à se faire justice eux-mêmes, comme à Marseille. Et ils auraient bien tort de s’en priver, de leurs points de vue, puisqu’on traite plus durement l’occupation sans droit ni titre que les violences et les violations de domiciles, quand ce sont des Roms les victimes.

Ces phénomènes ont certes toujours existé, mais ils étaient ne serait-ce qu’il y a dix ans, marginaux. Aujourd’hui, ils deviennent la norme. Ce qui pose d’autres problèmes, car les squats doublaient très efficacement les hébergements d’urgence, et la guerre aux squats se traduit par un engorgement encore plus important des structures officielles.

Alors que pas mal de squatteurs espéraient que l’arrivée de la gauche au pouvoir marquerait, non pas une tolérance des squats, mais un simple retour au respect de la loi, Manuel Vals a considérablement amplifié le mouvement. En toute illégalité.

Voilà ce qui m’inquiète et me fait dire qu’on passe d’une société de justice à une société d’ordre : la justice expulsait, mais permettait aux squatteurs de se défendre, en laissant le temps d’une occupation temporaire. Au nom d’un ordre moral, on expulse maintenant en violation flagrante de la loi. Sans que la justice ne réagisse énormément.

Pourtant, il existe un squat à Paris, dont la justice a ordonné l’expulsion il y a plus de 35 ans. A vrai dire, la prise du squat constituait vraisemblablement le délit de violation de domicile (au moins) compte tenu des circonstances particulières. L’État a même été condamné il y a 25 ans à payer des indemnités à l’affectataire légal, pour ne pas avoir expulsé. Pour ce bâtiment seul, la jurisprudence Couitéas existe, exécuter les décisions de justice n’est pas obligatoire.

Les catholiques intégristes squatteurs de Saint-Nicolas du Chardonnet vous saluent bien.