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8h15, un SMS me prévient de la perquisition

12314091_899582330136986_5359725128136582020_n8h15. Pendant que je prends mon café, un SMS m’alerte : des dizaines de CRS à l’Annexe, sur le toit et dans la rue.

Ce n’est pas totalement une surprise, après les perquisitions au Massicot et au Moulin, à Ivry, hier soir, et surtout après les assignations à résidence de juristes et militants liés à la coalition climat, mais tout de même. L’Annexe, au Pré-saint-Gervais, ils ont une réputation de Bisounours. Il faut chercher ailleurs les Black blocks… Les habitants ont même signé un accord avec le propriétaire, qui est tombé des nues quand ils lui ont annoncé l’opération.

J’essaye d’avoir plus d’information par téléphone, mais bien entendu plus personne ne répond. Je décide d’aller voir sur place.

Bien avant d’arriver sur place, je croise deux gendarmes, mitraillettes en bandoulières, à un angle de rue. Je passe sans rien dire. À la rue suivante, deux autres gendarmes me demandent où je vais. J’explique que je vais voir un ami, ce qui leur suffit. Ils faut juste que je marche sur le trottoir de droite.

Plusieurs camionnettes de gendarmerie sont stationnées devant le bâtiment, mais le gros du dispositif n’est pas là. Je m’approche, mais suis rapidement repoussé jusqu’au pâté de maison suivant.

J’ai pu passer sans problème, mais en théorie toutes les rues du quartier sont bloquées, même pour les piétons. De nombreuses mères de familles, avec leurs poussettes, sont obligées de faire des détours, même pour s’éloigner du lieu… D’autres passent sans trop de problème, avec la même consigne de ne pas changer de trottoir. Même pas de discrimination là-dedans, juste une grande désorganisation et des ordres contradictoires. J’essaye tant bien que mal de rassurer les passants qui demandent ce qui se passe. Il faut dire que le gendarme en charge fait tout l’inverse « c’est une opération en lien avec les évènements, nous sommes là pour vous protéger. » C’est sur que ça doit être rassurant de voir son quartier quadrillé par des hommes en armes.

Pour les voitures, de toutes façon, la dizaine de véhicules banalisés de la police bloque tout passage, ce qui énerve les voisins, d’ailleurs. Le camion de déminage bloque un homme devant aller au travail. Il s’énerve tellement que j’ai peur qu’il se fasse embarquer, mais non. Il décide finalement de partir au travail en transport en commun. Un bon point pour l’environnement. Une journaliste de l’AFP s’enquiert de la situation auprès d’un gendarme, puis s’en va et passe sans s’arrêter devant les soutiens et habitants qui patientent. Au moins, le journaliste de Médiapart aura la décence de leur demander un témoignage une fois l’opération terminée.

Une partie du dispositif, à 500m du bâtiment

Une partie du dispositif, à 500m du bâtiment

Petit à petit, un groupe se forme et nous sommes une dizaine à attendre à l’angle de la rue. Trois habitants qui étaient partis travailler avant l’intervention sont revenus et se présentent aux forces de l’ordre. Ils sont séparés de nous, contrôlé et aligné contre le mur d’en face, toujours surveillés par des gendarmes l’arme en bandoulière.

Une voisine, dont la voiture est également bloquée par le dispositif, s’approche d’un gendarme pour avoir des infos, puis discute quelques temps avec nous. À ce moment, ordre est donné de nous encadrer pour procéder à un contrôle d’identité. Elle se retrouve avec nous bien malgré elle quand nous rejoignons les trois habitants sur le trottoir d’en face.

Les femmes ont même droit à une palpation de sécurité et fouilles de leurs sacs par une policière. Curieusement, les hommes ne sont pas concernés. On ne me demande même pas d’ouvrir le sac que je porte en bandoulière. Pourtant, ce n’est pas le nombre de policier qui manque pour s’occuper de nous ! Nous sommes néanmoins filmés sous toutes les coutures par deux personnes, le visage dissimulé par une écharpe. J’essaye de faire le selfie ‪#‎FiersdelaFrance‬ avec l’écusson d’un CRS, mais il ne veut pas. On ne peut plus compter sur la police, dans ce pays…

Nous patientons ensemble dans le froid la fin de l’opération. Les soutiens continuent à arriver, avec des pains au chocolat, qui sont soigneusement examinés par la gendarmerie. On plaisante sur « l’attroupement interdit » qu’ils nous obligent à former. Petit à petit, la police sort du bâtiment. D’abord les deux chiens et leurs maîtres, puis une grosse escouade de civils, qui s’en vont visiblement préparer une nouvelle perquisition ailleurs.

Une impressionnante quantité de CRS sort ensuite et s’aligne en colonne dans la rue. En plus de leurs protections habituelles, ils portent des protections blindées pliantes et des armes d’assaut type FAMAS pour certains. Enfin, la musique retentit aux fenêtres tandis que les derniers civils en gilet pare-balle sortent du bâtiment, et nous sommes autorisés à rejoindre nos amis à l’intérieur, un peu plus de deux heures après le début de l’opération. Finalement assez court pour fouiller un bâtiment de près de 2500m2.

L’heure est au bilan à l’intérieur. La motivation officielle est le soupçon de troubler l’ordre public pendant la COP21. Le responsable sur place de l’opération reconnait qu’il ne connaissait même pas le bâtiment il y a deux jours. Première certitude, les policiers n’ont embarqué personne, n’ont assigné personne, et fait signer un papier disant qu’ils n’avaient rien trouvé. On vérifie quand même que rien n’ait disparu, notamment le matériel informatique, mais tout semble là. Certaines chambres n’ont même pas été visitées !

La porte d’entrée a bien entendu été fracturée, et quelques meubles renversés à l’intérieur. Plus surprenant, dans la pièce qui accueille une petite salle de répétition, le rideau de scène a été consciencieusement lacéré au cutter. Il suffisait pourtant de passer par le coté ! Ce qui a le plus attiré l’attention des forces de l’ordre était visiblement le grand calendrier des évènements prévus de la COP21…

Au final, près de 250 gendarmes, policiers de différents services ont été mobilisés pour cette opération. De quoi sérieusement remettre en question l’argument que les forces de l’ordre ont autre chose à faire que d’encadrer des manifestations. Après tout, on autorise bien les spectacles, rencontres sportives…

On peut s’étonner des motifs de cette perquisition, et des autres identiques. On est très loin de l’antiterrorisme. Faire peur ? S’il y avait en effet quelques personnes prêtes à braver l’interdiction de manifester, leur détermination n’en est que renforcée. Et d’autres, alertées par ces gesticulations de la police et du gouvernement, les rejoindront, bien au delà de « l’ultra gauche » crainte.

Je ne m’en fais pas pour mes amis, qui pour la plupart en ont vu d’autre. Mais pour ceux qui n’avaient jamais eu affaire à la police, et notamment les populations musulmanes ou assimilées, qui souffrent déjà des discriminations et des rétorsions de certains, quel effet peut faire ces perquisitions ? Entendra-t-on un jour ces analystes parlant, non seulement du bilan nul sur le plan opérationnel de ces perquisitions déconnectées des attentats, mais de l’effet contre-productif accentuant les tensions ?

Edit du 28 novembre 2015 : Courte vidéo prise à l’intérieur pendant la perquisition :

Lettre ouverte aux Sénatrices et Sénateurs

Madame, Monsieur,

Vous allez examiner demain une proposition de loi tendant à préciser l’infraction de violation de domicile. Ce texte, issu des travaux de la commission des Lois, modifie l’article 226-4 code pénal pour faire du maintien au domicile une infraction continue donnant aux forces de l’ordre les moyens légaux découlant de la flagrance tant que dure l’occupation.

Dans sa rédaction actuelle, le texte ne modifie pas la notion de domicile précisée par la jurisprudence depuis son introduction dans la loi en 1832. Cette notion couvre déjà l’ensemble des lieux où l’on peut se dire chez soi, qu’on y habite ou non, quelque soit le titre d’occupation. Par exemple, une maison de vacance ou laissé vide suite à un séjour à l’hôpital est un domicile protégé. De même, les locaux professionnels sont protégés, tant qu’ils sont utilisés. Les militants de Greenpeace sont notamment condamnés pour violation de domicile lorsqu’ils pénètrent dans le parc de centrales nucléaires.

Ce que la notion de domicile ne protège pas, ce sont les locaux ou terrains vacants. En effet la jurisprudence constante de la Cour de Cassation estime que l’article 226-4 n’a pas pour objet de garantir d’une manière générale les propriétés immobilières contre une usurpation. (Cass. Crim. du 30 octobre 2006, Bull. Crim. 2006 n° 261, Cass. Crim. du 26 juin 2002, Cass. Crim du 22 janvier 1997, Bull. Crim. 1997 n°31)

Dans le cadre de la violation de domicile, au-delà des sanctions pénales susceptibles d’être prononcées, l’article 38 de la loi DALO permet d’expulser tout occupant sur simple plainte et après un délai de seulement 24h. Il n’apparaît pas anormal que l’occupant légitime puisse retrouver son domicile rapidement.

Dans le cas des locaux vacants, la procédure civile permet d’obtenir l’expulsion en quelques semaines, en respectant le droit fondamental à un procès équitable.

En effet, devant l’impossibilité de respecter l’obligation d’hébergement de l’État, (article L 345-2 et suivants du code de l’action sociale et des familles), hébergement reconnu comme liberté fondamentale par le Conseil d’État (CE, 10 février 2012), de nombreuses personnes sans autres solutions se réfugient dans des locaux vacants pour y habiter. Ces occupations sont d’ailleurs soutenus par de nombreux élus de tous bords comme Etienne Pinte, ancien député-maire UMP de Versailles.

L’amendement n°2 de Mme Bouchart aurait pour effet de transformer tous les locaux vacants en domiciles fictifs du simple fait de leur occupation aux fins d’habitation. Le but est évidemment de pouvoir expulser sans décision de justice. Il est peu probable en effet, face à la misère humaine, que les sanctions pénales soient de nature à effrayer le sans abris au seuil d’un bâtiment vide.

L’amendement n°3 permettrait au maire d’une commune de se substituer au propriétaire du bien pour demander l’expulsion. La commission des Lois s’est justement interrogée dans son rapport sur le risque de voir la responsabilité du maire engagée, notamment en cas de saisine abusive, en l’absence d’information du propriétaire.

Ces deux amendements ne résoudront aucun des problèmes qu’ils prétendent résoudre. Au contraire, en multipliant les phases d’ouverture et d’expulsion, on va multiplier les risques de trouble à l’ordre public. Une fois expulsés, les sans-abris iront ouvrir un autre bâtiment pour s’abriter. Ce ne sont pas les occupations de locaux vacants le problème, mais bien la présence de sans-abris.

Par ailleurs, la constitutionnalité de ces amendements est douteuse. En effet, dans sa décision 2011-625 DC, le Conseil Constitutionnel a considéré qu’un délai de 48h pour déposer un recours suspensif avant une expulsion ne saurait, en l’espèce, constituer une garantie suffisante pour assurer une conciliation qui ne serait pas manifestement déséquilibrée entre la nécessité de sauvegarder l’ordre public et les droits et libertés constitutionnellement garantis.

Une nouvelle loi antisquat, pourquoi faire ?

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L’entrée d’un squat, en 2009

Après de nombreuses tentatives plus ou moins avortées, voilà que le Sénat, nouvellement repassé à droite, se précipite pour mettre à l’ordre du jour une proposition de loi visant à faciliter l’expulsion des squatteurs de domicile. Dès le titre, en fait, on sent que la confusion est savamment entretenue en les squatteurs, qui occupent des locaux ou logements vides, et les quelques cas de violations de domicile qui peuvent être recensés.

Cette impression est largement renforcée à la lecture de l’exposé des motifs, qui en plus révèle une méconnaissance des dispositions légales existantes. Examinons :

L’amplification des occupations illicites de domicile ne peut laisser indifférent le législateur.

Si l’on parle des squats au sens commun, il est difficile d’obtenir des chiffres précis. Plus qu’une augmentation, on constate une concentration géographique des squats, liée à une répression qui cible en priorité les quartiers aisés pour repousser les squats dans les parties pauvres. Si l’on parle de violation de domicile, à défaut de statistiques plus récentes, la réponse du ministère de la justice à la question parlementaire 01067 indiquait que le nombre d’infraction était stable entre 2006 et 2010, autour de 2000 par an. Surtout, ces infractions concerne bien autre chose que des occupations, on trouve quantité de propriétaires tentant d’expulser leurs locataires sans décision de justice ou même des militants de Greenpeace envahissant les centrales nucléaires.

Les exemples se multiplient de personnes qui, de retour de vacances, d’un déplacement professionnel ou d’un séjour à l’hôpital, ne peuvent plus ni rentrer chez elles, parce que les squatters ont changé les serrures, ni faire expulser ces occupants.

Dès la deuxième phrase, on sombre dans le n’importe quoi. Les trois cas cités sont sans ambiguité des cas de violation de domicile. Ce n’est pas, en effet, parce que vous êtes en vacances ou à l’hôpital que votre domicile cesse d’être votre domicile. Dans ce cas, s’agissant d’un délit permanent, l’expulsion est réalisé par les forces de l’ordre après le dépôt d’une plainte, sans avoir à passer par un jugement, et ce quelque soit la durée de l’occupation.

Grâce à l’action de notre collègue Catherine PROCACCIA qui avait instauré par voie d’amendement à la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable un article prévoyant et réprimant l’occupation illicite du domicile d’autrui, « l’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet » est aujourd’hui un délit et l’article L. 226-4 du code pénal le punit « d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».

Les Sénateurs et Sénatrices UMP ne se mouchent pas du pied. La violation de domicile ne doit pas grand chose à Catherine Procaccia, mais tout à Louis-Philippe et à la modification du code pénal de 1832 qui l’a instaurée pour les particuliers. Même la rédaction de l’article 226-4 qu’ils citent date de 1994…

Cependant, le phénomène des maisons et appartements squattés se développe et notre droit pénal reste inadapté à la répression de cette infraction. Malgré l’illégalité de l’occupation, une personne installée dans un local d’habitation sans l’autorisation du propriétaire a des droits. En conséquence, une personne propriétaire d’un logement peut assez difficilement expulser des personnes sans l’intervention d’un juge, sous peine d’être elle-même sujette à des poursuites.

Une personne installée dans un local vacant a des droits, oui, celui d’un procès équitable et du respect de son domicile notamment. Pour éviter ces ennuis, un seul conseil, ne laissez pas vos propriétés vacantes quand tant de gens dorment à la rue.

La principale raison est que la notion de flagrant délit qui permettrait une expulsion rapide des occupants sans titre est difficilement caractérisable. Passé un délai de 48 heures suivant l’intrusion illicite, le flagrant délit ne peut plus être caractérisé et la police ne peut donc plus procéder à l’expulsion immédiate des squatteurs de domicile. Elle est juridiquement impuissante. Il revient alors au propriétaire ou au locataire du domicile de saisir la justice afin d’obtenir une décision d’expulsion. Cette procédure qui peut être particulièrement longue est mal comprise par nos concitoyens.

On arrive au cœur du sujet : ce paragraphe entier ne concerne pas les violations de domicile qui sont un délit continu, mais bien l’ensemble des squats. Une fois de plus, l’UMP souhaite s’abstraire de la justice pour laisser libre cours à la police.

Seul, l’article 38 de la loi Dalo du 5 mars 2007, peu connu de nos concitoyens, permet une procédure d’expulsion accélérée par voie de décision administrative, sans passer par une décision de justice. Cet article permet au préfet, sur saisine du propriétaire ou du locataire qui constate l’occupation illégale de son logement, de demander à cet occupant sans titre de quitter les lieux.

Si le rapport parle d’une dizaine de procédures liées à cet article, je n’en en connais pour ma part aucun exemple. Parce que la police expulse couramment en flagrance de dégradation, sans utiliser ce texte. On aimerait une meilleure utilisation de ce texte, oui, pour s’assurer que les quelques droits des occupants soient respectés.

La fin de l’exposé des motifs détaille les deux articles de la proposition de loi. Le premier proposait d’étendre la durée de la flagrance, le second rien moins que de donner la possibilité au maire de demander l’expulsion même sans joindre le propriétaire. Heureusement, cette partie du texte a été supprimée en commission. Elle me paraissait de toute façon peu constitutionnelle.

La « flagrance » en matière de squat

20091121_035La politique actuelle visant à chasser les squatteurs de Paris, les expulsions en flagrance comme celle de la rue saint-Marc ou celle diligentée par le parti communiste se font de plus en plus fréquente. Pourtant, bien que menée par la police, elles sont dans la plupart des cas totalement illégales et relèvent clairement de l’abus de pouvoir.
La police et la justice se basent sur les articles 53 à 74-2 du Code de Procédure Pénale, qui parlent des mesures spéciales dans le cas d’un crime ou délit flagrant.

 Premier point qu’il est important de rappeler, l’occupation sans droit ni titre, n’est pas un délit et encore moins un crime. En fait, ce n’est pas même une contravention. Le squat peut éventuellement causer un préjudice au propriétaire, amenant une condamnation au motif de l’article 1382 du Code Civil, mais en théorie, la puissance publique n’a pas à y mettre son nez. La seule exception étant évidemment la violation de domicile, punie d’un an de prison, mais il existe dans ce cas une autre procédure spécifique, définit à l’article 38 de la loi n°2007-290 du 5 mars 2007 et surtout, elle est en pratique rarissime : il existe suffisamment de locaux vides pour que les squatteurs n’aillent pas prendre des risques inutiles.

Deuxième point, et je parle d’expérience, il est relativement facile de pénétrer dans des locaux vides sans commettre de dégradation, réprimée à l’article 322-1 du Code Pénal. Sans prétendre que les portes ou les fenêtres sont systématiquement ouvertes (mais ça arrive beaucoup plus fréquemment qu’on ne le croit !), je ne connais pas de bâtiment vide qui puisse résister pour peu qu’on s’en donne les moyens. L’escalade ou l’effraction, telles que définies aux articles 132-73 et 132-74 du code pénal, ne constituent même pas des infractions et ne sont pas en tant que telles des dégradations. (En revanche, elles constituent clairement des voies de fait faisant disparaître le bénéfice de la trêve hivernale, mais c’est une autre histoire)
J’ajouterai que l’article 322-1 punie les dégradations, sauf s’il n’en est résulté qu’un dommage léger. En de tel cas, c’est l’article R635-1 qui prend la suite, avec une amende de 1 500 euros et une mention au casier judiciaire, sans oublier naturellement les éventuels dommages civils.
Ce n’est pas rien, mais en sortant du champ délictuel, on sort également du cadre de la flagrance. Le remplacement d’une serrure constitue-t-il un dommage léger ou « lourd » ? C’est à la jurisprudence d’en décider, mais si l’on se base par comparaison des compétences respectives des tribunaux d’instance ou de grande instance, on est clairement dans le cadre contraventionnel seulement.
Quoiqu’il en soit, la seule occupation d’un local ne peut constituer un indice de la commission d’un délit.

Troisième point, en admettant que l’entrée dans les lieux se soit effectuée suite à un délit, il est encore nécessaire que ce délit soit flagrant. Sinon, ce sont les règles de l’enquête préliminaire qui doivent s’appliquer. (Ce qui n’empêche pas une condamnation, bien entendu…) La jurisprudence étend le principe de flagrance pendant un délai de 24 à 48h. Le problème, c’est qu’il est le plus souvent impossible de dater l’entrée dans les lieux : ni le propriétaire ni le squatteur n’ont de preuves formelles, et on ne peut faire plus confiance à l’un qu’à l’autre. A cet égard, j’ai tendance à penser que le principe de la présomption d’innocence fait porter sur le propriétaire ou sur le ministère public la charge si ce n’est de la preuve, au moins d’indices sur la temporalité des évènements. De simples déclarations ne peuvent suffire. Les forces de l’ordre procèdent souvent à une enquête de quartier, en interrogeant les voisins, mais là encore, le fait que ces derniers n’aient rien vu ne me paraît pas suffisant pour établir une flagrance. Seriez-vous capable d’attester que votre voisin était ou pas chez lui ces dernières 48h ? Nous ne vivons pas (encore) dans une société de contrôle permanent.

Ces procédures de « flagrance » ont toujours existé en matière de squat, mais elles sont utilisées de plus en plus fréquemment, et avec un entrain nouveau depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir. Elles sont pourtant manifestement illégale, et les autorités le savent bien : À une occasion au moins, la présence de deux avocats a forcé les forces de l’ordre à réintégrer les squatteurs faute de titre d’expulsion, après plusieurs heures de négociation devant le bâtiment. Dans la plupart des cas, il n’y a pas même de poursuite ni de contrôle d’identité. Quant aux quelques garde à vue, elles ont jusqu’à maintenant toujours été classées sans suite en ce qui concerne les dégradations.

La volonté politique de faire la guerre aux pauvres est de plus en plus présente. Comme le Conseil Constitutionnel lui-même protège le domicile comme droit fondamental, et que les gouvernements qui se succèdent ne peuvent modifier les lois comme ils l’entendent, ils passent par des artifices qui relèvent de l’abus de pouvoir : les pauvres ne font pas de procès.

Quand le parti communiste expulse

120, rue la Fayette en 1936L’édition du jour du Parisien nous apprend que le Parti communiste a demandé (et obtenu !) l’expulsion de squatteurs d’un immeuble au 149, rue du château dans le 14ème arrondissement.

Au-delà du changement de posture entre le parti qui prône la mise en commun des richesses dans le préambule de ses statuts et le parti propriétaire qui a visiblement beaucoup de mal à mettre en application ses principes, cette expulsion, sans décisions de justice et en plein hiver, pose de nombreuses questions juridiques.

En effet, les forces de l’ordre seraient intervenues en « flagrance », suite à une plainte du Parti Communiste, et les squatteurs doivent être poursuivis prochainement pour « dégradations de biens prives en réunion. »

On espère pour lui que le Parti dispose de quelques preuves de ce qu’il avance, car les témoignages disponibles font plutôt état de personnes installées dans les lieux depuis plusieurs jours, donc bien au-delà du délai de flagrance. Les photos des affaires embarquées dans un camion montrent d’ailleurs bien la réalité du domicile des occupants. On attendra également quelques preuves de dégradations lourdes susceptibles d’être considérées comme un délit. J’avoue que j’ai des doutes.

Les explications du secrétaire de la fédération de Paris ressemblent à toutes celles des propriétaires pris la main dans la vacance : qu’on se le dise, pour le propriétaire, un squat est toujours dangereux, quand bien même il viendrait d’être inaugurer ! Au vu du nombre de sociétés immobilières détenues par le parti communiste, (ma préférée étant la SCI Leninvest…) ils doivent savoir également que le péril fait l’objet de dispositions légales permettant une évacuation immédiate quelque soit la période de l’année. Les architectes de sécurité de la préfecture de Police de Paris, seuls habilités à déterminer le péril, ont des astreintes régulières pour être en capacité de faire des constats à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit en cas d’urgence. La procédure est purement administrative, le statut et la durée de l’occupation importent peu. Encore faut-il qu’il y ait péril !

Si les communistes ont choisi la voie pénale, c’est bien parce qu’ils savaient ne pas pouvoir obtenir une expulsion pour péril.

Dénoncer un squat politique mené par des militants anarchistes est bien beau, mais même dans le cas où ce serait vrai (et on peut avoir quelques doutes en l’espèce, vu l’absence de revendication et la tentative de négociation préalable) ça n’autorise pas pour autant à expulser. Il convient de rappeler que la politique n’est pas exorbitante du droit commun.

Pourtant, Hélène BIDARD, Présidente-Directrice-Générale de la Société Immobillière propriétaire de l’immeuble, donc celle qui porte la plainte a de fort beaux mots au Conseil de Paris pour parler de la crise du logement, qu’elle connaît bien en tant que présidente d’un bailleur social (SEMIDEP) :

Par un vœu, notre groupe demande que la Ville mette à disposition tous les bâtiments vacants en sa possession, susceptibles d’être mis à disposition de l’hébergement d’urgence. Si nous parlons d’urgence, c’est que la situation ne peut pas attendre. Lorsque la vie de femmes et d’hommes est en jeu, il est de notre devoir d’agir avec conséquence, et de le faire vite.

Les enjeux du logement sont cruciaux, ils répondent à un besoin absolument prioritaire pour les Parisiennes et les Parisiens. A nous d’investir pour se montrer à la hauteur de leurs attentes, et faire de Paris une ville pour tous.

Visiblement, le Parti Communiste a plusieurs manière de comprendre le verbe « investir ».

Squatter n’est pas illégal

squatters-handbookLe sénateur Dallier demande au gouvernement ce que celui-ci compte faire pour censurer les sites Internet qui diffusent des « guides du squatteurs ». Ces guides, en effet, donneraient des conseils pour l’organisation de la vie quotidienne dans le squat, et même des procédures à suivre pour « préparer sa défense ».

Faisant peu de cas de la liberté d’expression, brandissant le code pénal et la défense du droit de propriété « individuel » –la propriété des grandes sociétés ne mérite pas les mêmes droits ? – il oublie quelques points juridiques pourtant importants.

Squatter n’est pas illégal

On ne trouvera nulle part dans la loi un texte qui interdise d’occuper un bâtiment vide. Bien au contraire, la loi prévoit que l’occupant puisse devenir propriétaire, si nul n’a contesté l’occupation pendant trente ans1. Situation théorique sans doute, mais qui montre bien qu’il n’est pas (encore) interdit de se chercher un toit.

Ce qui constitue un délit, c’est la violation de domicile2. Depuis le XIXème siècle, la Cour de Cassation a eu le temps de définir précisément la notion de domicile, qui en France recouvre un champ assez large. Est un domicile votre logement bien sûr, que vous y soyez ou non, mais également votre maison de vacances, l’appartement de la grand-mère à l’hôpital depuis six mois, les bureaux/ateliers de votre entreprise… et le squat dans lequel vous logez.

Dans le cas d’une violation de domicile, en plus des risques encourus (un an de prison tout de même), la police procède à l’expulsion des occupants quelle que soit la durée de leur occupation. Elle en a même l’obligation3, à la différence des expulsions locatives que la préfecture peut différer. C’est pour cela que les guides de squats sont clairs : « Ne jamais faire de violation de domicile ! » On est bien loin de l’incitation au délit…

L’autre délit qui est utilisé fréquemment pour lutter contre le squat, c’est la dégradation4. Là encore, plutôt que d’y inciter, ces guides indiquent comment l’éviter, puisque ce délit est largement utilisé par la police pour obtenir l’expulsion, parfois en toute illégalité.

Alors certes, le squat est une atteinte au droit du propriétaire, et les squatteurs sont presque toujours condamnés. Tout comme un homme a été condamné à payer 10 000 euros à sa femme qu’il n’avait pas honorée. Faut-il pour autant interdire tous les livres qui prônent l’abstinence ?

Mais évidemment, il est plus facile de censurer quelques sites Internet que de faire appliquer la loi, lorsqu’elle dit que toute personne a droit au logement et au respect de son domicile. Y compris les squatteurs.

[1] Articles 2258 à 2275 du code civil
[2] Article 226-4 du code pénal
[3] Article 38 de la loi 2007-290 du 5 mars 2007
[4] Article 322-1 du code pénal

Quand la police protège les délinquants

Cet article a été publié précédemment sur un libéblog tenu par Jeudi Noir.

Photo 25, rue de l'EchiquierLe 25, rue de l’échiquier, dans le 10ème arrondissement, est un immeuble de logement social. Ou plutôt, il aurait dû être un immeuble de logement social. Squatté entre 2004 et 2007, il appartient maintenant à ICF La Sablière, une SA HLM créée à l’origine pour loger les cheminots. Les anciens squatters avaient quitté ce bâtiment de plusieurs milliers de m2 lorsque la société avait déposé un permis de construire, le 16 novembre 2007, pour en faire plus d’une soixantaine de logements. Malgré les 2 millions d’euros investis par la mairie de Paris, aucun travaux n’a encore commencé.

Puisque cet immeuble est resté vide, une quinzaine de ménages sans abris ont investi les lieux voilà plus de trois mois. L’occupation n’ayant pas été dénoncée dans les 48 heures, la loi reconnaît donc cet immeuble comme leur domicile, et ils ne peuvent en être expulsés sans décision de justice.

Tout cela est bien connu de tous, propriétaires, mairie, policiers.

Pourtant, jeudi 28 janvier, des vigiles se disant mandatés par ICF ont pénétré de force dans les logements, accompagnés de chiens, pour expulser tout le monde. Les habitants ayant eu le dessus dans la bagarre qui a suivi, la société de gardiennage a alors changé de tactique. Laissant une petite troupe dans le couloir, les vigiles se sont contentés de bloquer le passage.

Depuis jeudi, en toute illégalité, plus personne ne peut rentrer dans cet immeuble sans leur accord. Les occupants sont divisés en deux groupes: l’un est de fait séquestré à l’intérieur du bâtiment, tandis que l’autre dort sur le trottoir, au pied de l’immeuble. L’eau, la nourriture, les médicaments (l’une des personnes à l’intérieur est cardiaque) sont passés dans un sac suspendu au bout d’une corde par la fenêtre du premier étage. Alerté, le DAL, l’Intersquat et Jeudi Noir se sont rendu sur place mardi, avant d’être stoppés par le commissaire de l’arrondissement. D’après lui, un arrêté de péril devrait être pris, mais il n’a aucun papier à présenter. Et quand on demande à entrer, il prononce un nouveau refus, poli mais illégal.

On se prend à rêver de sanctions contre ces gens, pas tellement les vigiles eux-mêmes qui gagnent leurs vies, mais contre le propriétaire qui commandite ces actions, contre les policiers qui bafouent la loi et souillent leurs uniformes.. La réalité, c’est qu’aucune sanction ne sera prise. Parfois, on parvient à faire reculer le propriétaire. L’année dernière, il a fallu une caméra, deux avocats et trois élus pour que la police, à quatre heures du matin, laisse les occupants réintégrer leur domicile de la rue de Candie. Aucun article dans la presse, aucune sanction.

La loi protège la propriété, et c’est normal. Mais la loi protège aussi les êtres humains. Comment peut-on arguer que certes, il y a le droit au logement mais qu’on ne peut pas se faire justice soi-même en squattant, quand des sociétés HLM, des mairies, la police elle-même ne respectent pas les lois et utilisent la force plutôt que la justice?

Ce qui fonde la société, c’est le droit. Qu’un individu viole la loi, et il est sanctionné. Quand la société viole ses lois, elle se détruit de l’intérieur, et rend illégitime toute autorité.

PS : Dans la journée du 3 février, la préfecture de police a procédé à « l’évacuation » du bâtiment sans la présence d’un huissier. Les 18 habitants dorment depuis sur le trottoir au pied de l’immeuble.