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8h15, un SMS me prévient de la perquisition

12314091_899582330136986_5359725128136582020_n8h15. Pendant que je prends mon café, un SMS m’alerte : des dizaines de CRS à l’Annexe, sur le toit et dans la rue.

Ce n’est pas totalement une surprise, après les perquisitions au Massicot et au Moulin, à Ivry, hier soir, et surtout après les assignations à résidence de juristes et militants liés à la coalition climat, mais tout de même. L’Annexe, au Pré-saint-Gervais, ils ont une réputation de Bisounours. Il faut chercher ailleurs les Black blocks… Les habitants ont même signé un accord avec le propriétaire, qui est tombé des nues quand ils lui ont annoncé l’opération.

J’essaye d’avoir plus d’information par téléphone, mais bien entendu plus personne ne répond. Je décide d’aller voir sur place.

Bien avant d’arriver sur place, je croise deux gendarmes, mitraillettes en bandoulières, à un angle de rue. Je passe sans rien dire. À la rue suivante, deux autres gendarmes me demandent où je vais. J’explique que je vais voir un ami, ce qui leur suffit. Ils faut juste que je marche sur le trottoir de droite.

Plusieurs camionnettes de gendarmerie sont stationnées devant le bâtiment, mais le gros du dispositif n’est pas là. Je m’approche, mais suis rapidement repoussé jusqu’au pâté de maison suivant.

J’ai pu passer sans problème, mais en théorie toutes les rues du quartier sont bloquées, même pour les piétons. De nombreuses mères de familles, avec leurs poussettes, sont obligées de faire des détours, même pour s’éloigner du lieu… D’autres passent sans trop de problème, avec la même consigne de ne pas changer de trottoir. Même pas de discrimination là-dedans, juste une grande désorganisation et des ordres contradictoires. J’essaye tant bien que mal de rassurer les passants qui demandent ce qui se passe. Il faut dire que le gendarme en charge fait tout l’inverse « c’est une opération en lien avec les évènements, nous sommes là pour vous protéger. » C’est sur que ça doit être rassurant de voir son quartier quadrillé par des hommes en armes.

Pour les voitures, de toutes façon, la dizaine de véhicules banalisés de la police bloque tout passage, ce qui énerve les voisins, d’ailleurs. Le camion de déminage bloque un homme devant aller au travail. Il s’énerve tellement que j’ai peur qu’il se fasse embarquer, mais non. Il décide finalement de partir au travail en transport en commun. Un bon point pour l’environnement. Une journaliste de l’AFP s’enquiert de la situation auprès d’un gendarme, puis s’en va et passe sans s’arrêter devant les soutiens et habitants qui patientent. Au moins, le journaliste de Médiapart aura la décence de leur demander un témoignage une fois l’opération terminée.

Une partie du dispositif, à 500m du bâtiment

Une partie du dispositif, à 500m du bâtiment

Petit à petit, un groupe se forme et nous sommes une dizaine à attendre à l’angle de la rue. Trois habitants qui étaient partis travailler avant l’intervention sont revenus et se présentent aux forces de l’ordre. Ils sont séparés de nous, contrôlé et aligné contre le mur d’en face, toujours surveillés par des gendarmes l’arme en bandoulière.

Une voisine, dont la voiture est également bloquée par le dispositif, s’approche d’un gendarme pour avoir des infos, puis discute quelques temps avec nous. À ce moment, ordre est donné de nous encadrer pour procéder à un contrôle d’identité. Elle se retrouve avec nous bien malgré elle quand nous rejoignons les trois habitants sur le trottoir d’en face.

Les femmes ont même droit à une palpation de sécurité et fouilles de leurs sacs par une policière. Curieusement, les hommes ne sont pas concernés. On ne me demande même pas d’ouvrir le sac que je porte en bandoulière. Pourtant, ce n’est pas le nombre de policier qui manque pour s’occuper de nous ! Nous sommes néanmoins filmés sous toutes les coutures par deux personnes, le visage dissimulé par une écharpe. J’essaye de faire le selfie ‪#‎FiersdelaFrance‬ avec l’écusson d’un CRS, mais il ne veut pas. On ne peut plus compter sur la police, dans ce pays…

Nous patientons ensemble dans le froid la fin de l’opération. Les soutiens continuent à arriver, avec des pains au chocolat, qui sont soigneusement examinés par la gendarmerie. On plaisante sur « l’attroupement interdit » qu’ils nous obligent à former. Petit à petit, la police sort du bâtiment. D’abord les deux chiens et leurs maîtres, puis une grosse escouade de civils, qui s’en vont visiblement préparer une nouvelle perquisition ailleurs.

Une impressionnante quantité de CRS sort ensuite et s’aligne en colonne dans la rue. En plus de leurs protections habituelles, ils portent des protections blindées pliantes et des armes d’assaut type FAMAS pour certains. Enfin, la musique retentit aux fenêtres tandis que les derniers civils en gilet pare-balle sortent du bâtiment, et nous sommes autorisés à rejoindre nos amis à l’intérieur, un peu plus de deux heures après le début de l’opération. Finalement assez court pour fouiller un bâtiment de près de 2500m2.

L’heure est au bilan à l’intérieur. La motivation officielle est le soupçon de troubler l’ordre public pendant la COP21. Le responsable sur place de l’opération reconnait qu’il ne connaissait même pas le bâtiment il y a deux jours. Première certitude, les policiers n’ont embarqué personne, n’ont assigné personne, et fait signer un papier disant qu’ils n’avaient rien trouvé. On vérifie quand même que rien n’ait disparu, notamment le matériel informatique, mais tout semble là. Certaines chambres n’ont même pas été visitées !

La porte d’entrée a bien entendu été fracturée, et quelques meubles renversés à l’intérieur. Plus surprenant, dans la pièce qui accueille une petite salle de répétition, le rideau de scène a été consciencieusement lacéré au cutter. Il suffisait pourtant de passer par le coté ! Ce qui a le plus attiré l’attention des forces de l’ordre était visiblement le grand calendrier des évènements prévus de la COP21…

Au final, près de 250 gendarmes, policiers de différents services ont été mobilisés pour cette opération. De quoi sérieusement remettre en question l’argument que les forces de l’ordre ont autre chose à faire que d’encadrer des manifestations. Après tout, on autorise bien les spectacles, rencontres sportives…

On peut s’étonner des motifs de cette perquisition, et des autres identiques. On est très loin de l’antiterrorisme. Faire peur ? S’il y avait en effet quelques personnes prêtes à braver l’interdiction de manifester, leur détermination n’en est que renforcée. Et d’autres, alertées par ces gesticulations de la police et du gouvernement, les rejoindront, bien au delà de « l’ultra gauche » crainte.

Je ne m’en fais pas pour mes amis, qui pour la plupart en ont vu d’autre. Mais pour ceux qui n’avaient jamais eu affaire à la police, et notamment les populations musulmanes ou assimilées, qui souffrent déjà des discriminations et des rétorsions de certains, quel effet peut faire ces perquisitions ? Entendra-t-on un jour ces analystes parlant, non seulement du bilan nul sur le plan opérationnel de ces perquisitions déconnectées des attentats, mais de l’effet contre-productif accentuant les tensions ?

Edit du 28 novembre 2015 : Courte vidéo prise à l’intérieur pendant la perquisition :

Une histoire du 2, rue de Valenciennes

Cadastre Vasserot

Cadastre Vasserot, entre 1810 et 1823

Si vous lisez cette note, vous devez déjà être au courant, mais qu’importe : depuis le début du mois de janvier 2013, l’association Droit au Logement et le collectif Jeudi Noir soutiennent l’occupation d’un immeuble dans le Xe arrondissement de Paris, rue de Valenciennes. (Et, oui, je suis à la pointe de l’actualité…)
Les propriétaires de l’immeuble, comme d’habitude dans ce genre de cas, ont engagé une procédure pour obtenir l’expulsion des occupants. Après quelques péripéties juridiques, le jugement a été mis en délibéré au 11 septembre. Les habitants auront alors une vision un peu plus précise de leur devenir, sachant qu’ils n’ont de toute façon pas vocation à demeurer sur place.
Beaucoup de choses ont été dites sur cet immeuble, et ça fait quelque temps que je voulais faire une série de billet dessus.
Petit aperçu historique de l’immeuble et de sa rue :
Si l’on remonte au début du XIXe siècle, la rue de Valenciennes n’existe pas. Le cadastre de Vasserot, dessiné entre 1810 et 1836, nous montre en effet un seul îlot gigantesque dont seules les franges sont bâties. L’îlot est limité au Sud par la rue de Paradis, à l’Est par la rue du faubourg saint-Denis, à l’Ouest par la rue du faubourg Poissonnière, et au Nord par le chemin de ronde de la barrière de saint-Denis qui deviendra le boulevard de la Chapelle. La barrière, c’est bien entendu la barrière d’octroi qui fixait alors la limite de Paris.
Cette situation ne va pas perdurer longtemps. Dès 1823, la rue La Fayette traverse l’îlot en diagonal. Une première partie de ce qui constitue aujourd’hui la rue de Valenciennes est ouverte en 1827, entre la récente rue La Fayette et l’actuelle rue saint-Quentin, comme on le voit sur le plan parcellaire Vasserot-Bellanger (sous le nom de rue Charpentier).
Ce n’est qu’à la fin du second empire que la rue de Valenciennes, qui a pris ce nom en 1845, débouche enfin sur la rue du faubourg saint-Denis. A l’époque, la parcelle n’était pas divisée et allait jusqu’à l’angle des deux rues. Et c’est probablement vers 1910 que cette division a lieu, puisque c’est la date de construction des bâtiments principaux de la parcelle, et celle de l’inscription aux hypothèques d’une cour commune entre la parcelle occupée et la parcelle d’angle nouvellement créée.
On retrouve la trace de l’immeuble dans un permis de construire en date de 1985, qui prévoit la démolition du hangar occupant la cour principale et la création d’un accès pour les voitures sur la rue de Valenciennes, et dans une demande de ravalement en 1992.
En 1993, une portion du sous-sol, à près de 18 mètres sous la surface, est expropriée pour permettre le passage du RER E alors en travaux.

C’est en mars 2004 que le propriétaire actuel, la société en nom collectif du 2, rue de Valenciennes, acquière l’ensemble pour un prix de 2 765 000 €. Un temps envisagée par le ministère, la réquisition de l’immeuble n’est plus à l’ordre du jour, car la SNC a mis en vente l’immeuble. La mairie de Paris, toujours en recherche d’emplacement pour développer le parc social dans cette zone en déficit, souhaite logiquement le préempter. Aux dernières nouvelles, les négociations achopperaient sur l’aspect financier, la ville de Paris ne proposant que 4 300 000 € (plus-value de 56 %) quand la SNC demande 7 200 000 € (plus-value de 160 %).
En absence d’accord amiable, c’est le juge de l’expropriation, intégré au TGI de Paris, qui aurait a fixer le prix de vente, en le justifiant par comparaison de ventes équivalentes, afin de ne spolier aucune partie.

Si vous avez noté que je n’ai pas encore parlé de la surface du bâtiment, c’est qu’en absence de relevé des bâtiments, il y a une incertitude sur cette surface : dans un document juridique, les propriétaires donnent une superficie de 1 745 m², quand le permis de construire de 1985 n’en donne que 1 348, alors que l’ensemble immobilier n’a pas fait l’objet de travaux d’agrandissement depuis. Il y a là une incohérence sur laquelle la justice devra se pencher.

Rue de Sèvres, le soulagement

IMG_9634Dernière étape d’une procédure déjà vieille de cinq ans, la Cour d’Appel de Paris a condamné hier huit jeunes précaires à payer 23 000 euros à une propriétaire multi-millionnaire. Leurs faute ? S’être abrité pendant quinze mois, d’avril 2008 à juin 2009, dans un immeuble à l’abandon.

S’il y a parfois des personnes qui ne sont pas éloignées de la caricature du richissime vieillard acariâtre, la propriétaire du 69, rue de Sèvres en fait partie. Domiciliée fiscalement en Belgique, possédant en nom propre plusieurs appartements et immeubles à Paris et Neuilly, détenant des parts dans une société immobilière luxembourgeoise, elle laisse véritablement pourrir sur place une part non négligeable de son patrimoine, au grand désespoirs des municipalités concernées.

Non réquisitionnable par les limitations de la loi de 1998, l’immeuble reste toujours vide, malgré les menaces qu’il pourrait faire courir aux voisins et au passant : les nombreuses infiltrations causent des dégâts à la structure en bois de cette construction du XVIIIème siècle.

Pourtant, c’est avec un soupir de soulagement que la nouvelle de la condamnation a été accueillie par les personnes concernées. C’est que, condamnées en première instance à 80 000 euros, elles s’en voyaient réclamer 245 000 par la propriétaire. Cette dernière réclamait en effet les loyers d’un immeuble qu’elle n’avait jamais mis en location. Elles n’auraient jamais pu inventer cet argent qu’on leur demandait. Au moins, 23 000 euros, même si c’est un effort financier conséquent pour les anciens habitants de la rue de Sèvres, c’est une somme qui pourra être payer. Et mettre fin à l’angoisse de ces cinq ans de procédures, ne plus avoir à vivre au jour le jour est la priorité de tous.

A juste titre, la Cour a estimé qu’en l’absence d’activité dans l’immeuble (pour les étages, on parle en décennies de vacance…), la propriétaire ne pouvait se prévaloir d’un quelconque préjudice économique. En revanche, elle a estimé que la seule atteinte à la propriété causait un préjudice à hauteur de 1500 euros par mois. Pour ma part, je n’arrive pas à considérer cette somme autrement que comme un enrichissement sans cause de cette propriétaire.

Certes, la justice applique le droit et non la morale. Mais quel préjudice à être passé dans un immeuble à l’abandon ? Quel montant pour ces indemnités ? Hier, l’État a également été condamné, pour la violation des droits fondamentaux. Alors que ce dernier a l’obligation légale d’héberger, il a mis à la rue plusieurs familles avec enfants. Résultat ? Une astreinte de 75 euros par jour, soit 2250 euros par mois. Quand on regarde la jurisprudence sur cette obligation d’hébergement, on se rend compte que c’est une des astreintes les plus importantes, dans la plupart des cas, elles n’existent même pas.

Alors parlons droit, parlons préjudice et indemnité. Voir un de ses immeubles vide occupé par des personnes qui n’ont pas d’autres choix pour s’abriter, cause-t-il réellement un préjudice supérieur ou même comparable à celui de devoir dormir à la rue, sous la pluie ?

Aujourd’hui, non, si je fête avec ces amis leur soulagement, je me refuse à parler de victoire.

La « flagrance » en matière de squat

20091121_035La politique actuelle visant à chasser les squatteurs de Paris, les expulsions en flagrance comme celle de la rue saint-Marc ou celle diligentée par le parti communiste se font de plus en plus fréquente. Pourtant, bien que menée par la police, elles sont dans la plupart des cas totalement illégales et relèvent clairement de l’abus de pouvoir.
La police et la justice se basent sur les articles 53 à 74-2 du Code de Procédure Pénale, qui parlent des mesures spéciales dans le cas d’un crime ou délit flagrant.

 Premier point qu’il est important de rappeler, l’occupation sans droit ni titre, n’est pas un délit et encore moins un crime. En fait, ce n’est pas même une contravention. Le squat peut éventuellement causer un préjudice au propriétaire, amenant une condamnation au motif de l’article 1382 du Code Civil, mais en théorie, la puissance publique n’a pas à y mettre son nez. La seule exception étant évidemment la violation de domicile, punie d’un an de prison, mais il existe dans ce cas une autre procédure spécifique, définit à l’article 38 de la loi n°2007-290 du 5 mars 2007 et surtout, elle est en pratique rarissime : il existe suffisamment de locaux vides pour que les squatteurs n’aillent pas prendre des risques inutiles.

Deuxième point, et je parle d’expérience, il est relativement facile de pénétrer dans des locaux vides sans commettre de dégradation, réprimée à l’article 322-1 du Code Pénal. Sans prétendre que les portes ou les fenêtres sont systématiquement ouvertes (mais ça arrive beaucoup plus fréquemment qu’on ne le croit !), je ne connais pas de bâtiment vide qui puisse résister pour peu qu’on s’en donne les moyens. L’escalade ou l’effraction, telles que définies aux articles 132-73 et 132-74 du code pénal, ne constituent même pas des infractions et ne sont pas en tant que telles des dégradations. (En revanche, elles constituent clairement des voies de fait faisant disparaître le bénéfice de la trêve hivernale, mais c’est une autre histoire)
J’ajouterai que l’article 322-1 punie les dégradations, sauf s’il n’en est résulté qu’un dommage léger. En de tel cas, c’est l’article R635-1 qui prend la suite, avec une amende de 1 500 euros et une mention au casier judiciaire, sans oublier naturellement les éventuels dommages civils.
Ce n’est pas rien, mais en sortant du champ délictuel, on sort également du cadre de la flagrance. Le remplacement d’une serrure constitue-t-il un dommage léger ou « lourd » ? C’est à la jurisprudence d’en décider, mais si l’on se base par comparaison des compétences respectives des tribunaux d’instance ou de grande instance, on est clairement dans le cadre contraventionnel seulement.
Quoiqu’il en soit, la seule occupation d’un local ne peut constituer un indice de la commission d’un délit.

Troisième point, en admettant que l’entrée dans les lieux se soit effectuée suite à un délit, il est encore nécessaire que ce délit soit flagrant. Sinon, ce sont les règles de l’enquête préliminaire qui doivent s’appliquer. (Ce qui n’empêche pas une condamnation, bien entendu…) La jurisprudence étend le principe de flagrance pendant un délai de 24 à 48h. Le problème, c’est qu’il est le plus souvent impossible de dater l’entrée dans les lieux : ni le propriétaire ni le squatteur n’ont de preuves formelles, et on ne peut faire plus confiance à l’un qu’à l’autre. A cet égard, j’ai tendance à penser que le principe de la présomption d’innocence fait porter sur le propriétaire ou sur le ministère public la charge si ce n’est de la preuve, au moins d’indices sur la temporalité des évènements. De simples déclarations ne peuvent suffire. Les forces de l’ordre procèdent souvent à une enquête de quartier, en interrogeant les voisins, mais là encore, le fait que ces derniers n’aient rien vu ne me paraît pas suffisant pour établir une flagrance. Seriez-vous capable d’attester que votre voisin était ou pas chez lui ces dernières 48h ? Nous ne vivons pas (encore) dans une société de contrôle permanent.

Ces procédures de « flagrance » ont toujours existé en matière de squat, mais elles sont utilisées de plus en plus fréquemment, et avec un entrain nouveau depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir. Elles sont pourtant manifestement illégale, et les autorités le savent bien : À une occasion au moins, la présence de deux avocats a forcé les forces de l’ordre à réintégrer les squatteurs faute de titre d’expulsion, après plusieurs heures de négociation devant le bâtiment. Dans la plupart des cas, il n’y a pas même de poursuite ni de contrôle d’identité. Quant aux quelques garde à vue, elles ont jusqu’à maintenant toujours été classées sans suite en ce qui concerne les dégradations.

La volonté politique de faire la guerre aux pauvres est de plus en plus présente. Comme le Conseil Constitutionnel lui-même protège le domicile comme droit fondamental, et que les gouvernements qui se succèdent ne peuvent modifier les lois comme ils l’entendent, ils passent par des artifices qui relèvent de l’abus de pouvoir : les pauvres ne font pas de procès.

Quand le parti communiste expulse

120, rue la Fayette en 1936L’édition du jour du Parisien nous apprend que le Parti communiste a demandé (et obtenu !) l’expulsion de squatteurs d’un immeuble au 149, rue du château dans le 14ème arrondissement.

Au-delà du changement de posture entre le parti qui prône la mise en commun des richesses dans le préambule de ses statuts et le parti propriétaire qui a visiblement beaucoup de mal à mettre en application ses principes, cette expulsion, sans décisions de justice et en plein hiver, pose de nombreuses questions juridiques.

En effet, les forces de l’ordre seraient intervenues en « flagrance », suite à une plainte du Parti Communiste, et les squatteurs doivent être poursuivis prochainement pour « dégradations de biens prives en réunion. »

On espère pour lui que le Parti dispose de quelques preuves de ce qu’il avance, car les témoignages disponibles font plutôt état de personnes installées dans les lieux depuis plusieurs jours, donc bien au-delà du délai de flagrance. Les photos des affaires embarquées dans un camion montrent d’ailleurs bien la réalité du domicile des occupants. On attendra également quelques preuves de dégradations lourdes susceptibles d’être considérées comme un délit. J’avoue que j’ai des doutes.

Les explications du secrétaire de la fédération de Paris ressemblent à toutes celles des propriétaires pris la main dans la vacance : qu’on se le dise, pour le propriétaire, un squat est toujours dangereux, quand bien même il viendrait d’être inaugurer ! Au vu du nombre de sociétés immobilières détenues par le parti communiste, (ma préférée étant la SCI Leninvest…) ils doivent savoir également que le péril fait l’objet de dispositions légales permettant une évacuation immédiate quelque soit la période de l’année. Les architectes de sécurité de la préfecture de Police de Paris, seuls habilités à déterminer le péril, ont des astreintes régulières pour être en capacité de faire des constats à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit en cas d’urgence. La procédure est purement administrative, le statut et la durée de l’occupation importent peu. Encore faut-il qu’il y ait péril !

Si les communistes ont choisi la voie pénale, c’est bien parce qu’ils savaient ne pas pouvoir obtenir une expulsion pour péril.

Dénoncer un squat politique mené par des militants anarchistes est bien beau, mais même dans le cas où ce serait vrai (et on peut avoir quelques doutes en l’espèce, vu l’absence de revendication et la tentative de négociation préalable) ça n’autorise pas pour autant à expulser. Il convient de rappeler que la politique n’est pas exorbitante du droit commun.

Pourtant, Hélène BIDARD, Présidente-Directrice-Générale de la Société Immobillière propriétaire de l’immeuble, donc celle qui porte la plainte a de fort beaux mots au Conseil de Paris pour parler de la crise du logement, qu’elle connaît bien en tant que présidente d’un bailleur social (SEMIDEP) :

Par un vœu, notre groupe demande que la Ville mette à disposition tous les bâtiments vacants en sa possession, susceptibles d’être mis à disposition de l’hébergement d’urgence. Si nous parlons d’urgence, c’est que la situation ne peut pas attendre. Lorsque la vie de femmes et d’hommes est en jeu, il est de notre devoir d’agir avec conséquence, et de le faire vite.

Les enjeux du logement sont cruciaux, ils répondent à un besoin absolument prioritaire pour les Parisiennes et les Parisiens. A nous d’investir pour se montrer à la hauteur de leurs attentes, et faire de Paris une ville pour tous.

Visiblement, le Parti Communiste a plusieurs manière de comprendre le verbe « investir ».

Une occupation (4)

Ce billet est la suite de celui-ci

Mardi.

Dès neuf heures du matin, les militants qui le peuvent nous rejoignent à l’intérieur. On commence à multiplier les entrées et sorties, mais nous restons dissimulés dans l’arrière du bâtiment. Vers dix heures, on envoie un communiqué de presse qui donne rendez-vous au métro Bourse, mais sans préciser l’adresse. A onze heures, enfin, on annonce l’adresse aux médias, les premiers élus arrivent et nous déployons les banderoles en façade. Les commerçants de la rue commencent à se rendre compte qu’il se passe quelque chose. Comme on est sorti devant la porte pour accueillir les arrivants, le patron de l’agence immobilière en face vient nous voir. Il nous demande le but de notre occupation, on le rassure en lui disant que ce sera un immeuble d’habitation. Il n’y aura pas de concert avec des centaines de personnes buvant et fumant dans la rue… Il en profite pour nous confirmer que l’immeuble est vide depuis des années, et qu’il trouve cela scandaleux qu’il ne soit pas loué. C’est vrai que, pour les affaires, ce serait préférable.

Pendant que les élus du front de gauche et d’europe écologie les verts discutent avec les journalistes, quelques socialistes nous annoncent leurs venues pour l’après-midi. Le maire de l’arrondissement vient nous apporter son soutien. A la porte, on s’étonne de l’absence de réaction de la police : lors de notre dernière tentative, une semaine avant le premier tour des présidentielles, les compagnies d’intervention avaient mis six minutes chrono après le communiqué de presse pour venir bloquer les accès. C’est notre petit bonhomme de la Direction des Renseignements de la Préfecture de Police (DRPP) qui arrive le premier et nous pose les questions habituelles avec son accent chantant : « Depuis quand êtes-vous installés, combien êtes-vous, est-ce que TF1 est là ? » Comme on avait prévu de manifester devant le sénat pour le début de l’examen du projet de loi sur le logement, la police nous attendait là-bas. C’est vrai que nous ne les avons pas prévenu de ce changement dans notre agenda. Il nous affirme qu’en tous les cas, il n’y aura pas de blocus comme il y en avait eu avenue Matignon. C’est vrai que Nicolas Sarkozy n’avait pas apprécié qu’on ait une vue directe sur ses appartements privés de  l’Elysée. Lorsque deux civils du commissariat de quartier arrivent, nous faisons les présentations. Nous présentons la preuve de notre présence, dans une ambiance détendue. Lorsque le commissaire de l’arrondissement arrive, nous plaisantons avec lui, il sait bien que, s’agissant du DAL et de Jeudi Noir, il sera dessaisi au profit de la Direction de l’Ordre Public et de la Circulation (DOPC) à la Préfecture de Police (PP). Il n’aura aucune décision à prendre, à peine sera-t-il informé des évènements.

Comme le nombre de policiers augmente lentement, et que ceux-ci ne bloquent pas les accès du bâtiment, bon nombre de militants vont chercher de quoi se sustenter. Les pates à l’eau du sous-marin, ça commence à bien faire, et de toute façon, il n’y en a plus. Profitant de ce qu’on ne surveille pas la porte, un individu entre à grand pas dans le hall, sans dire un mot aux militants. C’est un « en bourgeois » en sweat à capuche, qu’on arrête au rez-de-chaussée. Quand nous lui demandons calmement de sortir, il a le culot de nous reprocher notre manque de politesse.

L’AFP nous prévient qu’Allianz n’est finalement pas le propriétaire du bâtiment, mais n’était que le locataire. Ils ont quitté les lieux depuis plusieurs années déjà. D’autres sources, que nous pouvons interroger maintenant que l’adresse est connue, nous disent que les réels propriétaires sont deux caisses de retraites.

Deux gradés de la PP arrivent, que nous surnommons « Feuille de Laurier » et « Feuille de Chêne », d’après leurs képis. Feuilles de Chêne demande à voir la commande de la ligne Internet, que nous présentons à nouveau, puis décide que finalement, il nous faut un constat d’huissier. Il sait pourtant très bien que, depuis le constat d’occupation de l’avenue Matignon, les huissiers ont eu des ordres de ne plus faire de constat pour des squatteurs…

On sent que la situation se dégrade peu à peu. Les tractations ne se font plus au niveau de la préfecture de police, mais directement dans les cabinets des ministères. Signe inquiétant, les quelques socialistes qui avaient prévu leurs visites se trouvent subitement des réunions importantes. En effet, quelques instants plus tard, les véhicules de la 12ème compagnie d’intervention de la DOPC s’arrêtent devant le bâtiment, et les hommes bloquent toutes les entrées dans le bâtiment. Les nouveaux et les journalistes ne comprennent pas encore très bien, mais pour nous c’est l’évidence, l’expulsion est quasi inéluctable. Pourtant, d’autres squats ont ouvert avec bien moins de preuve que les nôtres… Petit à petit, les personnes qui étaient parties pour se nourrir reviennent et doivent rester à la rue, notamment une des mères de famille. Elles sont même rapidement chassé de devant la façade, où nous pouvions discuter avec elles, pour être positionnées à un carrefour des environs. Après négociation, la police nous autorise un peu de nourriture. Il était temps, nous n’avions plus qu’un peu de pain de mie pour les enfants. Là encore, les vidéos de bottes de carottes essayant de passer par dessus les boucliers des CRS ont dû être un mauvais souvenir de la police. Comme ils ne veulent tout de même pas autoriser des militants à se rendre devant l’immeuble, ce sont les policiers eux-mêmes qui font les navettes. Dans le même temps, un poste de commandement est installé dans une boutique en face de l’immeuble. Feuille de chêne et Feuille de laurier y font des aller-retours, vissés au téléphone.

Nous aussi, nous l’utilisons, et les militants du coin de la rue nous donnent des nouvelles des renforts. A l’est, la gendarmerie mobile, cinquième escadron, deuxième groupement, première légion, vient d’arriver. Le panier à salade aussi, avec les autres véhicules de la 12ème compagnie, qui se tiennent hors de notre vue à l’ouest, dans une voie perpendiculaire. Bientôt, les moblots viennent remplacer les compagnies d’interventions.

Nous avons fermé la porte d’entrée à double tour lors de l’arrivée de tous ces gens, mais Feuille de Chêne veut absolument une démonstration de nos clefs. Il éloigne un peu ses troupes de la porte, et on le fait entrer dans le sas pour lui montrer de l’intérieur que oui, nous pouvons bien fermer et ouvrir. Des journalistes, qui commencent à trouver le temps long, en profitent pour sortir. Quelques instants plus tard, alors qu’une deuxième équipe souhaite sortir, les forces de l’ordre en profitent pour enfoncer la porte et investir ce sas. Pourtant, ils n’ont pas encore l’ordre d’intervenir, puisqu’ils ne franchissent pas la deuxième porte, et ne pénètrent pas plus avant dans le bâtiment.

Un petit détachement de la Force d’Intervention de la Police Nationale, la brigade anti-commando, passe devant le bâtiment, harnaché de toute part. Passant par les immeubles voisins, ils viennent prendre position sur notre toit. Depuis une fenêtre du dernier étage, nous échangeons quelques coucous. Ils veulent nous empêcher de s’y réfugier : lors d’une autre expulsion, un individu a passé plus de six heures en équilibre sur une corniche d’un deuxième étage, forçant l’intervention des pompiers. Le négociateur du GIGN a été surpris que sa demande soit simplement de pouvoir récupérer ses affaires, qui autrement auraient été jetées. Cependant, nous ne sommes pas là pour mettre des vies en danger. Sur un toit en pente, sur du zinc humide, on refuse de prendre des risques.

Derrière la baie vitrée du rez-de-chaussée, on observe le matériel déployé : pinces coupantes de plus d’un mètre d’envergure, béliers, marteaux, pieds de biches… Eux n’ont pas à se préoccuper des effractions ou dégradations, ils sont couverts. Sur le trottoir devant la porte, une chaine les gênerait pour nous transporter ; elle est sciée promptement.

Pour autant, la diplomatie ne ménage pas ses efforts : en pleine séance d’examen de la loi sur la mobilisation en faveur du logement, un sénateur évoque notre situation. Le cabinet du ministère du logement nous fait savoir qu’il a officiellement demandé à son homologue de l’intérieur que nous ne soyons pas expulsé. Après coup, Cécile Duflot jugera « incompréhensible » notre éviction. C’est peut-être son poids réel au sein du gouvernement, qu’elle n’a pas bien compris.

Néanmoins, son intervention nous permet de « négocier ». Avec la police sur le toit, les gendarmes dans le sas du bâtiment, le directeur adjoint du cabinet de la Préfecture de Police nous appelle à la fenêtre. Nous montrons, une nouvelle fois, notre commande internet, mais elle est évacuée d’un revers de main : on nous explique qu’il faudrait qu’ils fassent des vérifications pour savoir si nous avons réellement passé cette commande, si nous ne leur présentons pas un faux. Ils n’ont pas le temps, il faut expulser avant. L’histoire, la vraie, celle des vainqueurs, c’est que nous sommes entrés ce matin. Pour justifier l’intervention de la police, on nous reproche une infraction. Laquelle ? Pas de réponse, nous n’avons pas à savoir.

Dans le même temps, la police nous garantit qu’il n’y aura pas de garde à vue, pas de contrôle d’identité. Pourtant, il paraît que ce sont des choses qui se font, lorsqu’on arrête des gens en flagrant délit ! La discussion tourne court assez rapidement : on ne va pas résister, ça ne servirait à rien, mais de là à ouvrir la porte et sortir volontairement…  La fenêtre se ferme. Officiellement, notre négociateur va en référer à sa hiérarchie. En pratique, tout le monde sait depuis longtemps que la décision a déjà été prise.

A l’intérieur, nous ne sommes plus qu’une grosse vingtaine, dont quatre enfants. Les matelas ont été descendus dans le hall, les affaires regroupées. Ne restent plus que les banderoles en façades. En plus de mes affaires personnelles, je m’occupe de celles des militants qui étaient sortis acheter à manger et n’ont pu rentrer. Ils sont toujours privés de leurs papiers, de leurs lunettes… On se regroupe au rez-de-chaussée, en arc de cercle dans le hall. Les enfants sentent la nervosité ambiante et se tiennent sages. Seul le plus petit s’agite dans sa poussette. Enfin, les opérations sont déclenchées. A travers la verrière, nous voyons la brigade anti-commando descendre la façade en rappel entre le cinquième et troisième étage, pour prendre position sur le dernier élément de toiture qui échappait à leur contrôle. En bas, un simple coup de masse a fait exploser la serrure qui fermait la porte intérieure du sas. Casqués, avec leurs boucliers transparents, les gendarmes mobiles investissent le bâtiment. Pendant plusieurs minutes, nous nous regardons en chien de faïence : un peloton doit vérifier qu’il ne reste personne dans les étages avant de procéder à l’extraction proprement dite. Seuls un gendarme et un militant tournent autour de nous pour filmer mutuellement la scène. Enfin, un deuxième peloton vient prendre position derrière nous : nous sommes complètement encerclés. Posant leurs boucliers, ils s’approchent d’une extrémité de notre ligne pour soulever les habitants. Les enfants se mettent à pleurer. Soulevé à mon tour, je refuse de marcher puis me ravise en passant devant la poussette. Seul moment cocasse, avant de passer la porte, les deux gendarmes qui me tiennent fermement se rendent compte que nous ne passerons pas à trois de front. Il faut bien quelques secondes pour que l’un se décide à me lâcher le bras. Dehors, je suis rapidement propulsé derrière la rangée qui protège la zone d’opération, et me retrouve au milieu des militants venus nous soutenir.

Quelques minutes suffisent pour sortir les habitants restant. On sent que la police n’est pas trop sûre d’elle-même, sur la légalité de cette expulsion. Nos matelas nous sont rendus immédiatement, des hébergements sont trouvés pour les familles sans abris. C’est assez inhabituel pour être signalé. Nos menaces implicites de poursuites judiciaires auraient-elles fait peur ?

Une occupation (3)

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Dimanche, lundi.

L’attente. Nous sommes maintenant bien installés. Hier, grâce à un vieux téléphone, nous avons récupéré un numéro interne à l’immeuble, ce qui nous permet de demander un abonnement internet. Cette demande, datée, peut nous servir de point de départ pour le délai de 48h, vieille légende du squat qui reste couramment utilisé même par les autorités, malgré son fondement légal plus que léger. Evidemment, nous ne pouvons avoir aucune preuve de notre entrée dans les lieux au préalable : on ne prévient pas la police quand on entre. Un petit jeu de société et quelques jeux de cartes nous permettent de faire patienter les enfants et nous, mais l’ennui se fait sentir. La légère angoisse liée à l’incertitude de notre situation, qui ne se dissipera qu’après l’arrivée de la police, n’arrange rien. La cuisine nous permet de nous faire des pates, mais les menus manquent de variété, et surtout de produits frais. La rue est tellement calme, que je quitte le bâtiment à 18h, avec quelques autres, qui ont des obligations le lundi. J’ai, pour ma part, quelques papiers administratifs à faire signer et à rendre à mon école. Et puis, une douche ne me fera pas de mal.

Nous avons décidé de ne nous déclarer que le mardi, pour que la demande internet fasse bien 48h révolues, et aussi parce que c’est le premier jour d’examen de la loi sur le logement social. Autant coller à l’actualité. Curieusement, alors que d’habitude les journalistes sont friands de nos aventures, pour vivre la veille de l’intérieur, cette fois personne ne souhaite vraiment se déplacer. Seule l’AFP prévoit de venir, le mardi matin.

Je retourne au 24, rue saint-Marc le lundi soir. La dernière nuit avant l’officialisation d’un bâtiment est toujours un peu particulière. Cette fois-ci, je suis plutôt confiant : alors que les derniers mois de Sarkozy avait vu une politique d’expulsions systématiques et illégales des squats, depuis l’arrivée de Hollande, plusieurs ouvertures ont montré qu’il y a, non pas une tolérance, mais un simple respect des lois les concernant. Notre bâtiment ne présente aucune trace de péril ou d’insalubrité, et nous avons un élément de preuve pour contrer le délai de flagrance. Par ailleurs, s’il est situé dans le centre de Paris, il ne s’agit pas pour autant d’un quartier « sensible » ; il n’y a pas de ministère ou d’ambassade à proximité. On en discute, tout en affinant le programme du lendemain. A quelle heure envoyer le communiqué de presse, comment prévenir les élus, les journalistes de confiance ? Dans la nuit, on enlève la pancarte « à louer » de la façade.

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Une occupation (2)

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Samedi.

Nous n’avons pas pensé au café. Le manque se fait sentir, après une nuit plutôt courte. Les croissants industriels qui nous servent de petit déjeuner sont toujours aussi mauvais. Compte tenu de la chaleur qu’il fait dans ce bâtiment, nous avons bu nos bouteilles d’eau plus rapidement que prévu. Il y a l’eau du robinet, bien sûr, mais dans quel état est-elle après avoir stagné dans les canalisations ? Dans les siphons des cuvettes de toilettes, l’eau s’est complètement évaporée, ce qui montre qu’elles ne sont plus utilisées depuis bien longtemps. A la lumière du jour, nous procédons à une nouvelle visite du bâtiment. D’un plan carré, ce dernier s’organise en quatre ailes autour d’une cour centrale d’une dizaine de mètre de coté. Au rez-de-chaussée, cette cour est recouverte par une grande verrière qui a dû être construite dans les années 80, offrant ainsi une grande pièce parfaite pour les réunions ou les conférences de presse. Les premier, deuxième et troisième étages forment un carré complet, mais les quatrième et cinquième sont ouverts au Nord, avec un petit toit terrasse au dessus du troisième. Il faudra sécuriser les fenêtres pour empêcher l’accès, car aucun garde corps ne protège de la chute sur ce toit. Deux escaliers et deux ascenseurs, à l’ouest, desservent les étages. La redondance apporte encore plus de sécurité. Bien entendu, il faudra condamner les ascenseurs, pour ne pas prendre le risque qu’une personne reste bloquée entre deux étages ou tombe dans la cage. La disposition de l’immeuble fait qu’aucun voisin n’a de vue sur la cour intérieure, ni sur la verrière, ni sur les fenêtres des étages. C’est assez appréciable de pouvoir les ouvrir et prendre un peu l’air pendant que nous sommes encore en « sous-marin », comme nous appelons cette phase avant l’officialisation du bâtiment. Le principal souci de ce bâtiment, pour nous, c’est que les ailes sont finalement très étroites : à peine trois mètres de large. Du coup, certaines pièces se commandent, ce qui complique la séparation en appartement. Certains étages aussi sont très peu cloisonnés. L’open-space, c’est déjà pas top pour du bureau, mais pour vivre, c’est totalement impossible. Malgré tout, l’immeuble entier peut accueillir sans difficulté une quarantaine de personnes, tout en respectant leur intimité.

Le premier sous-sol comporte plusieurs salles de réunion. L’une d’elle, en longueur, pourra servir de salle de cinéma. Il y a surtout une cuisine, avec plaques électriques, évier, et des emplacements pour un frigo et un lave-vaisselle. En attendant d’installer une cuisine plus commode dans les étages, celle-ci sera parfaite. Le deuxième sous-sol, par contre, devra être protégé car il ne contient que les installations techniques du bâtiment : électricité, chauffage, machinerie d’ascenseur… Il ne faudrait pas qu’un enfant vienne y jouer.

Dans un bureau du rez-de-chaussée, nous faisons une découverte intéressante : un sac plastique contient l’ensemble des clefs du bâtiment, avec les indications des serrures correspondantes. L’une d’entre-elles, particulièrement, nous intéresse, puisqu’elle est marquée « entrée ». On l’essayera dans la nuit, disposer des clefs est toujours un avantage. Je commence à faire le relevé du rez-de-chaussée pour établir un plan d’évacuation, et pour que les nouveaux arrivants puissent se repérer un peu. Et puis, c’est aussi pour m’occuper un peu : le temps passe très lentement, dans ce bâtiment, sans téléphone, sans ordinateur. Julien, en partiels lundi et mardi, révise son droit. Finalement, c’est à l’extérieur qu’il se passe le plus de chose : des recherches internet nous en apprennent un peu plus sur le bâtiment. D’une superficie de 1 500 mètres carrés, il a été construit en 1894 et bénéficie d’une protection patrimoniale au titre du plan local d’urbanisme (PLU) de la ville de Paris. Dans le détail, de tout ce qui est protégé, il ne reste vraiment plus que la façade, tout le reste est irrémédiablement détruit. Surtout, le PLU nous confirme que l’immeuble est dans la zone de protection de l’habitation, ainsi que dans la zone de déficit en logement social. Ce n’est pas une surprise, de toute façon, c’est le cas de tout le centre historique et de l’ouest parisien. Malgré un effort réel, le 2ème arrondissement n’est encore qu’à 4,5% de logements sociaux.

Tous les indices que nous trouvons sur le bâtiment pointent vers les Assurances Générales de France. AGF, qui a été absorbée par Allianz en 2009, et Allianz, qui a son siège social au coin de la rue. C’est un peu léger, mais vue la situation, on ne peut pas faire mieux. On en conclut, à tort, que le bâtiment leur appartient. De toute façon, internet nous apporte la preuve que le bâtiment est possédé par une personne morale, c’est le plus important. Les deux seuls immeubles appartenant à des particuliers que nous avons occupé sont aussi les deux seuls qui nous ont coûté très cher. Pourtant, ce sont ceux qui étaient vacants depuis le plus longtemps, et ils sont à nouveaux vides alors que nous les avons quittés depuis plusieurs années.

Dans l’immédiat, le plus important, c’est de prévenir le DAL. Nous pourrions garder l’immeuble entier pour nous, le nombre de jeunes mal logés est malheureusement largement suffisant, mais le DAL a lui aussi son lot de personnes en galère, et les familles sont parfois dans des situations bien pire. Et puis, nous avons fait notre dernière tentative d’ouverture avec eux, il nous semble important de montrer que le caractère unitaire de la lutte contre le mal logement ne s’est pas arrêté après les présidentielles. La difficulté, pour eux comme pour nous, ce ne sont pas les personnes qui pourraient habiter l’immeuble par la suite, mais celles qui doivent y passer jours et nuits en attendant la fin du sous-marin. On ne peut pas imposer à des enfants de passer plus de quarante-huit heures totalement cloîtrées, les parents travaillent… Dans un premier temps, les familles qui le peuvent et des militants du DAL vont arriver ce samedi soir, avec quelques Jeudi Noir supplémentaires. Ils apporteront aussi du matériel et de la nourriture supplémentaire. Maintenant qu’on dispose de la clef de la porte d’entrée, il est facile de faire entrer les matelas nécessaire, et tout le reste.

Une fois la nuit tombée et la rue déserte, les renforts arrivent petit à petit : d’abord les gens, puis les véhicules qui se garent devant l’immeuble, et nous faisons la chaine pour décharger rapidement. Par chance il ne pleut pas. En deux minutes, l’ensemble des affaires est placé dans un recoin, à l’abri des regards indiscrets. Les voitures s’en vont et le calme revient. On installe rapidement quelques matelas au premier étage pour que les familles et leurs enfants puissent se coucher. La pièce se transforme en grand dortoir avec une dizaine de matelas posés au sol. Comme le dira un des enfants, hébergé à l’hôtel : « au moins, ici, il n’y a pas de cafards ».

Maintenant que nous sommes un peu plus installés, nous fermons les fenêtres et posons des chaines et des cadenas sur les portes. La situation du bâtiment est encore précaire, mais si personne n’est passé samedi, il est encore moins probable que quelqu’un passe le dimanche. Surtout, il faut éviter que des inconnus pénètrent là où dorment les enfants. Dans cette situation, on craint plus les vigiles que la police : il est déjà arrivé que des militants doivent faire soigner des ecchymoses suite à une rencontre un peu musclée avec un vigile. Ce qui a coûté plusieurs mois de délai au propriétaire.

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Une occupation (1)

Vendredi. L’entrée dans les lieux.

Plan d'évacuation du 24, rue Saint-Marc

Je viens enfin de rendre le mémoire que je traine depuis quelques mois. Comme toujours, je m’y suis pris au dernier moment, et je n’ai pas beaucoup dormi les nuits passés. La soutenance est dans deux semaines, et je voulais en profiter pour prendre une bonne nuit de repos. C’est raté. Je dormais déjà, mais le texto de Julien m’a réveillé. Il est assez intriguant, car il ne donne évidemment aucune information précise, mais ce n’est pas le genre de Julien de nous demander de venir pour un simple bâtiment vide. Le rendez-vous est fixé dans un bar. Je prends juste un duvet, une brosse à dent, un rouleau de papier toilette, et j’y vais. Par chance, il y a encore des métros.

Nous sommes une petite dizaine, à nous retrouver. D’expérience, nous coupons nos téléphones portables. Seules deux personnes, moins connues de la police, feront le lien entre le groupe extérieur, et le groupe intérieur. Le bâtiment, Julien nous en parle : c’est un immeuble de bureau, vide et à louer depuis près de deux ans. On le connaît, mais sans plus : des immeubles comme celui-ci, on en a plusieurs dizaines en stocks, généralement gardés par quelques vigiles. Là, les fenêtres seraient ouvertes, non seulement dans les étages, mais surtout au rez-de-chaussée ! On a du mal à y croire, mais les exemples des portes ouvertes de la Marquise et de l’avenue Matignon nous montre que tout est possible.

En passant devant le bâtiment, on se rend à l’évidence : au rez-de-chaussée, brillamment éclairé, deux des fenêtres sont belles et biens grandes ouvertes. Malheureusement, il y a une boite de nuit juste en face, et le videur fait son travail. Il ne s’intéresse probablement pas à notre immeuble, mais on ne peut quand même pas entrer par la fenêtre devant lui. Il faut attendre. On se poste à proximité, pour surveiller du coin de l’œil ce qui se passe dans la rue. Deux bouteilles de bières achetées quelque part nous donnent l’air de jeunes qui font la fête en ce vendredi soir. Les fenêtres étant largement visible depuis la rue, on finit par se poster directement sur les marches de l’entrée, de peur que d’autres aient aussi l’idée d’entrer, ne serait-ce que pour voir. Le temps paraît long, et même si nous continuons à faire semblant de boire, nos bouteilles sont vides depuis longtemps lorsque ferme la boite de nuit.

Nous sommes quatre à pouvoir passer notre week-end entier sur place. Quelques militants, qui commencent à avoir charge d’âme, sont bien obligés de rentrer chez eux s’occuper de leurs enfants. La rue déserte, c’est un jeu pour nous d’enjamber la fenêtre. On se réfugie rapidement derrière une porte pour ne plus être visible de l’extérieur, pendant que Margaux reste avec le petit groupe pour surveiller les environs et nous prévenir en cas d’arrivée de police ou de vigile.

De notre coté, on fait un premier tour rapide du bâtiment : il n’y a pas de mobilier, pas d’affaires d’aucune sorte. C’est capital, car leurs présences auraient pu être un signe que l’immeuble est occupé et qu’il constitue un domicile. Dans ce cas, nous aurions été obligés de partir : si le squat n’est interdit par aucune loi, la violation de domicile, elle, est punie d’un an de prison. Et puis, on ne s’invite pas chez les gens de la sorte. Le bâtiment est sain également, il n’y a pas de travaux, pas de traces d’humidité, le réseau électrique n’est pas vétuste… Parfait pour s’installer sans risquer un arrêté de péril, ou pire : un peu plus tard dans le week-end, trois personnes, mourront à Saint-Denis, victimes d’un marchand de sommeil ayant laissé l’immeuble se dégrader.

En fait, ce n’est pas seulement que l’immeuble est en bon état, il est chauffé ! La centrale de traitement de l’air ronfle à fond, il fait 27° au rez-de-chaussée malgré les fenêtres ouvertes. Nous qui avons l’habitude de souffrir du froid, on se retrouve à avoir trop chaud. Margaux nous passe malgré tout nos duvets et quelques affaires pour la nuit et la journée de samedi. Par discrétion, on ne fera un autre mouvement que dans vingt-quatre heures.

La nuit sur place n’est pas très agréable. Nous avons déclenché quelques détecteurs de mouvements visibles dans les escaliers en visitant le bâtiment. Si rien n’a sonné, si personne n’est venu, on n’est jamais à l’abri d’une surprise. D’autant que, pour ne pas modifier l’aspect de la façade, nous avons décidé de ne pas fermer les fenêtres. Nous sommes encore dans une phase où, si quelqu’un arrive, on n’aura pas d’autre choix que de partir sans discuter. L’équipe extérieure a fini par partir se coucher, et on se sent un peu seul. Si la moquette est épaisse, elle n’est pas des plus confortables, et nous nous réveillons chacun au moindre bruit.

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Squatter n’est pas illégal

squatters-handbookLe sénateur Dallier demande au gouvernement ce que celui-ci compte faire pour censurer les sites Internet qui diffusent des « guides du squatteurs ». Ces guides, en effet, donneraient des conseils pour l’organisation de la vie quotidienne dans le squat, et même des procédures à suivre pour « préparer sa défense ».

Faisant peu de cas de la liberté d’expression, brandissant le code pénal et la défense du droit de propriété « individuel » –la propriété des grandes sociétés ne mérite pas les mêmes droits ? – il oublie quelques points juridiques pourtant importants.

Squatter n’est pas illégal

On ne trouvera nulle part dans la loi un texte qui interdise d’occuper un bâtiment vide. Bien au contraire, la loi prévoit que l’occupant puisse devenir propriétaire, si nul n’a contesté l’occupation pendant trente ans1. Situation théorique sans doute, mais qui montre bien qu’il n’est pas (encore) interdit de se chercher un toit.

Ce qui constitue un délit, c’est la violation de domicile2. Depuis le XIXème siècle, la Cour de Cassation a eu le temps de définir précisément la notion de domicile, qui en France recouvre un champ assez large. Est un domicile votre logement bien sûr, que vous y soyez ou non, mais également votre maison de vacances, l’appartement de la grand-mère à l’hôpital depuis six mois, les bureaux/ateliers de votre entreprise… et le squat dans lequel vous logez.

Dans le cas d’une violation de domicile, en plus des risques encourus (un an de prison tout de même), la police procède à l’expulsion des occupants quelle que soit la durée de leur occupation. Elle en a même l’obligation3, à la différence des expulsions locatives que la préfecture peut différer. C’est pour cela que les guides de squats sont clairs : « Ne jamais faire de violation de domicile ! » On est bien loin de l’incitation au délit…

L’autre délit qui est utilisé fréquemment pour lutter contre le squat, c’est la dégradation4. Là encore, plutôt que d’y inciter, ces guides indiquent comment l’éviter, puisque ce délit est largement utilisé par la police pour obtenir l’expulsion, parfois en toute illégalité.

Alors certes, le squat est une atteinte au droit du propriétaire, et les squatteurs sont presque toujours condamnés. Tout comme un homme a été condamné à payer 10 000 euros à sa femme qu’il n’avait pas honorée. Faut-il pour autant interdire tous les livres qui prônent l’abstinence ?

Mais évidemment, il est plus facile de censurer quelques sites Internet que de faire appliquer la loi, lorsqu’elle dit que toute personne a droit au logement et au respect de son domicile. Y compris les squatteurs.

[1] Articles 2258 à 2275 du code civil
[2] Article 226-4 du code pénal
[3] Article 38 de la loi 2007-290 du 5 mars 2007
[4] Article 322-1 du code pénal