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La « flagrance » en matière de squat

20091121_035La politique actuelle visant à chasser les squatteurs de Paris, les expulsions en flagrance comme celle de la rue saint-Marc ou celle diligentée par le parti communiste se font de plus en plus fréquente. Pourtant, bien que menée par la police, elles sont dans la plupart des cas totalement illégales et relèvent clairement de l’abus de pouvoir.
La police et la justice se basent sur les articles 53 à 74-2 du Code de Procédure Pénale, qui parlent des mesures spéciales dans le cas d’un crime ou délit flagrant.

 Premier point qu’il est important de rappeler, l’occupation sans droit ni titre, n’est pas un délit et encore moins un crime. En fait, ce n’est pas même une contravention. Le squat peut éventuellement causer un préjudice au propriétaire, amenant une condamnation au motif de l’article 1382 du Code Civil, mais en théorie, la puissance publique n’a pas à y mettre son nez. La seule exception étant évidemment la violation de domicile, punie d’un an de prison, mais il existe dans ce cas une autre procédure spécifique, définit à l’article 38 de la loi n°2007-290 du 5 mars 2007 et surtout, elle est en pratique rarissime : il existe suffisamment de locaux vides pour que les squatteurs n’aillent pas prendre des risques inutiles.

Deuxième point, et je parle d’expérience, il est relativement facile de pénétrer dans des locaux vides sans commettre de dégradation, réprimée à l’article 322-1 du Code Pénal. Sans prétendre que les portes ou les fenêtres sont systématiquement ouvertes (mais ça arrive beaucoup plus fréquemment qu’on ne le croit !), je ne connais pas de bâtiment vide qui puisse résister pour peu qu’on s’en donne les moyens. L’escalade ou l’effraction, telles que définies aux articles 132-73 et 132-74 du code pénal, ne constituent même pas des infractions et ne sont pas en tant que telles des dégradations. (En revanche, elles constituent clairement des voies de fait faisant disparaître le bénéfice de la trêve hivernale, mais c’est une autre histoire)
J’ajouterai que l’article 322-1 punie les dégradations, sauf s’il n’en est résulté qu’un dommage léger. En de tel cas, c’est l’article R635-1 qui prend la suite, avec une amende de 1 500 euros et une mention au casier judiciaire, sans oublier naturellement les éventuels dommages civils.
Ce n’est pas rien, mais en sortant du champ délictuel, on sort également du cadre de la flagrance. Le remplacement d’une serrure constitue-t-il un dommage léger ou « lourd » ? C’est à la jurisprudence d’en décider, mais si l’on se base par comparaison des compétences respectives des tribunaux d’instance ou de grande instance, on est clairement dans le cadre contraventionnel seulement.
Quoiqu’il en soit, la seule occupation d’un local ne peut constituer un indice de la commission d’un délit.

Troisième point, en admettant que l’entrée dans les lieux se soit effectuée suite à un délit, il est encore nécessaire que ce délit soit flagrant. Sinon, ce sont les règles de l’enquête préliminaire qui doivent s’appliquer. (Ce qui n’empêche pas une condamnation, bien entendu…) La jurisprudence étend le principe de flagrance pendant un délai de 24 à 48h. Le problème, c’est qu’il est le plus souvent impossible de dater l’entrée dans les lieux : ni le propriétaire ni le squatteur n’ont de preuves formelles, et on ne peut faire plus confiance à l’un qu’à l’autre. A cet égard, j’ai tendance à penser que le principe de la présomption d’innocence fait porter sur le propriétaire ou sur le ministère public la charge si ce n’est de la preuve, au moins d’indices sur la temporalité des évènements. De simples déclarations ne peuvent suffire. Les forces de l’ordre procèdent souvent à une enquête de quartier, en interrogeant les voisins, mais là encore, le fait que ces derniers n’aient rien vu ne me paraît pas suffisant pour établir une flagrance. Seriez-vous capable d’attester que votre voisin était ou pas chez lui ces dernières 48h ? Nous ne vivons pas (encore) dans une société de contrôle permanent.

Ces procédures de « flagrance » ont toujours existé en matière de squat, mais elles sont utilisées de plus en plus fréquemment, et avec un entrain nouveau depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir. Elles sont pourtant manifestement illégale, et les autorités le savent bien : À une occasion au moins, la présence de deux avocats a forcé les forces de l’ordre à réintégrer les squatteurs faute de titre d’expulsion, après plusieurs heures de négociation devant le bâtiment. Dans la plupart des cas, il n’y a pas même de poursuite ni de contrôle d’identité. Quant aux quelques garde à vue, elles ont jusqu’à maintenant toujours été classées sans suite en ce qui concerne les dégradations.

La volonté politique de faire la guerre aux pauvres est de plus en plus présente. Comme le Conseil Constitutionnel lui-même protège le domicile comme droit fondamental, et que les gouvernements qui se succèdent ne peuvent modifier les lois comme ils l’entendent, ils passent par des artifices qui relèvent de l’abus de pouvoir : les pauvres ne font pas de procès.

Quand le parti communiste expulse

120, rue la Fayette en 1936L’édition du jour du Parisien nous apprend que le Parti communiste a demandé (et obtenu !) l’expulsion de squatteurs d’un immeuble au 149, rue du château dans le 14ème arrondissement.

Au-delà du changement de posture entre le parti qui prône la mise en commun des richesses dans le préambule de ses statuts et le parti propriétaire qui a visiblement beaucoup de mal à mettre en application ses principes, cette expulsion, sans décisions de justice et en plein hiver, pose de nombreuses questions juridiques.

En effet, les forces de l’ordre seraient intervenues en « flagrance », suite à une plainte du Parti Communiste, et les squatteurs doivent être poursuivis prochainement pour « dégradations de biens prives en réunion. »

On espère pour lui que le Parti dispose de quelques preuves de ce qu’il avance, car les témoignages disponibles font plutôt état de personnes installées dans les lieux depuis plusieurs jours, donc bien au-delà du délai de flagrance. Les photos des affaires embarquées dans un camion montrent d’ailleurs bien la réalité du domicile des occupants. On attendra également quelques preuves de dégradations lourdes susceptibles d’être considérées comme un délit. J’avoue que j’ai des doutes.

Les explications du secrétaire de la fédération de Paris ressemblent à toutes celles des propriétaires pris la main dans la vacance : qu’on se le dise, pour le propriétaire, un squat est toujours dangereux, quand bien même il viendrait d’être inaugurer ! Au vu du nombre de sociétés immobilières détenues par le parti communiste, (ma préférée étant la SCI Leninvest…) ils doivent savoir également que le péril fait l’objet de dispositions légales permettant une évacuation immédiate quelque soit la période de l’année. Les architectes de sécurité de la préfecture de Police de Paris, seuls habilités à déterminer le péril, ont des astreintes régulières pour être en capacité de faire des constats à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit en cas d’urgence. La procédure est purement administrative, le statut et la durée de l’occupation importent peu. Encore faut-il qu’il y ait péril !

Si les communistes ont choisi la voie pénale, c’est bien parce qu’ils savaient ne pas pouvoir obtenir une expulsion pour péril.

Dénoncer un squat politique mené par des militants anarchistes est bien beau, mais même dans le cas où ce serait vrai (et on peut avoir quelques doutes en l’espèce, vu l’absence de revendication et la tentative de négociation préalable) ça n’autorise pas pour autant à expulser. Il convient de rappeler que la politique n’est pas exorbitante du droit commun.

Pourtant, Hélène BIDARD, Présidente-Directrice-Générale de la Société Immobillière propriétaire de l’immeuble, donc celle qui porte la plainte a de fort beaux mots au Conseil de Paris pour parler de la crise du logement, qu’elle connaît bien en tant que présidente d’un bailleur social (SEMIDEP) :

Par un vœu, notre groupe demande que la Ville mette à disposition tous les bâtiments vacants en sa possession, susceptibles d’être mis à disposition de l’hébergement d’urgence. Si nous parlons d’urgence, c’est que la situation ne peut pas attendre. Lorsque la vie de femmes et d’hommes est en jeu, il est de notre devoir d’agir avec conséquence, et de le faire vite.

Les enjeux du logement sont cruciaux, ils répondent à un besoin absolument prioritaire pour les Parisiennes et les Parisiens. A nous d’investir pour se montrer à la hauteur de leurs attentes, et faire de Paris une ville pour tous.

Visiblement, le Parti Communiste a plusieurs manière de comprendre le verbe « investir ».

Squatter n’est pas illégal

squatters-handbookLe sénateur Dallier demande au gouvernement ce que celui-ci compte faire pour censurer les sites Internet qui diffusent des « guides du squatteurs ». Ces guides, en effet, donneraient des conseils pour l’organisation de la vie quotidienne dans le squat, et même des procédures à suivre pour « préparer sa défense ».

Faisant peu de cas de la liberté d’expression, brandissant le code pénal et la défense du droit de propriété « individuel » –la propriété des grandes sociétés ne mérite pas les mêmes droits ? – il oublie quelques points juridiques pourtant importants.

Squatter n’est pas illégal

On ne trouvera nulle part dans la loi un texte qui interdise d’occuper un bâtiment vide. Bien au contraire, la loi prévoit que l’occupant puisse devenir propriétaire, si nul n’a contesté l’occupation pendant trente ans1. Situation théorique sans doute, mais qui montre bien qu’il n’est pas (encore) interdit de se chercher un toit.

Ce qui constitue un délit, c’est la violation de domicile2. Depuis le XIXème siècle, la Cour de Cassation a eu le temps de définir précisément la notion de domicile, qui en France recouvre un champ assez large. Est un domicile votre logement bien sûr, que vous y soyez ou non, mais également votre maison de vacances, l’appartement de la grand-mère à l’hôpital depuis six mois, les bureaux/ateliers de votre entreprise… et le squat dans lequel vous logez.

Dans le cas d’une violation de domicile, en plus des risques encourus (un an de prison tout de même), la police procède à l’expulsion des occupants quelle que soit la durée de leur occupation. Elle en a même l’obligation3, à la différence des expulsions locatives que la préfecture peut différer. C’est pour cela que les guides de squats sont clairs : « Ne jamais faire de violation de domicile ! » On est bien loin de l’incitation au délit…

L’autre délit qui est utilisé fréquemment pour lutter contre le squat, c’est la dégradation4. Là encore, plutôt que d’y inciter, ces guides indiquent comment l’éviter, puisque ce délit est largement utilisé par la police pour obtenir l’expulsion, parfois en toute illégalité.

Alors certes, le squat est une atteinte au droit du propriétaire, et les squatteurs sont presque toujours condamnés. Tout comme un homme a été condamné à payer 10 000 euros à sa femme qu’il n’avait pas honorée. Faut-il pour autant interdire tous les livres qui prônent l’abstinence ?

Mais évidemment, il est plus facile de censurer quelques sites Internet que de faire appliquer la loi, lorsqu’elle dit que toute personne a droit au logement et au respect de son domicile. Y compris les squatteurs.

[1] Articles 2258 à 2275 du code civil
[2] Article 226-4 du code pénal
[3] Article 38 de la loi 2007-290 du 5 mars 2007
[4] Article 322-1 du code pénal