Archives mensuelles : décembre 2014

Lettre ouverte aux Sénatrices et Sénateurs

Madame, Monsieur,

Vous allez examiner demain une proposition de loi tendant à préciser l’infraction de violation de domicile. Ce texte, issu des travaux de la commission des Lois, modifie l’article 226-4 code pénal pour faire du maintien au domicile une infraction continue donnant aux forces de l’ordre les moyens légaux découlant de la flagrance tant que dure l’occupation.

Dans sa rédaction actuelle, le texte ne modifie pas la notion de domicile précisée par la jurisprudence depuis son introduction dans la loi en 1832. Cette notion couvre déjà l’ensemble des lieux où l’on peut se dire chez soi, qu’on y habite ou non, quelque soit le titre d’occupation. Par exemple, une maison de vacance ou laissé vide suite à un séjour à l’hôpital est un domicile protégé. De même, les locaux professionnels sont protégés, tant qu’ils sont utilisés. Les militants de Greenpeace sont notamment condamnés pour violation de domicile lorsqu’ils pénètrent dans le parc de centrales nucléaires.

Ce que la notion de domicile ne protège pas, ce sont les locaux ou terrains vacants. En effet la jurisprudence constante de la Cour de Cassation estime que l’article 226-4 n’a pas pour objet de garantir d’une manière générale les propriétés immobilières contre une usurpation. (Cass. Crim. du 30 octobre 2006, Bull. Crim. 2006 n° 261, Cass. Crim. du 26 juin 2002, Cass. Crim du 22 janvier 1997, Bull. Crim. 1997 n°31)

Dans le cadre de la violation de domicile, au-delà des sanctions pénales susceptibles d’être prononcées, l’article 38 de la loi DALO permet d’expulser tout occupant sur simple plainte et après un délai de seulement 24h. Il n’apparaît pas anormal que l’occupant légitime puisse retrouver son domicile rapidement.

Dans le cas des locaux vacants, la procédure civile permet d’obtenir l’expulsion en quelques semaines, en respectant le droit fondamental à un procès équitable.

En effet, devant l’impossibilité de respecter l’obligation d’hébergement de l’État, (article L 345-2 et suivants du code de l’action sociale et des familles), hébergement reconnu comme liberté fondamentale par le Conseil d’État (CE, 10 février 2012), de nombreuses personnes sans autres solutions se réfugient dans des locaux vacants pour y habiter. Ces occupations sont d’ailleurs soutenus par de nombreux élus de tous bords comme Etienne Pinte, ancien député-maire UMP de Versailles.

L’amendement n°2 de Mme Bouchart aurait pour effet de transformer tous les locaux vacants en domiciles fictifs du simple fait de leur occupation aux fins d’habitation. Le but est évidemment de pouvoir expulser sans décision de justice. Il est peu probable en effet, face à la misère humaine, que les sanctions pénales soient de nature à effrayer le sans abris au seuil d’un bâtiment vide.

L’amendement n°3 permettrait au maire d’une commune de se substituer au propriétaire du bien pour demander l’expulsion. La commission des Lois s’est justement interrogée dans son rapport sur le risque de voir la responsabilité du maire engagée, notamment en cas de saisine abusive, en l’absence d’information du propriétaire.

Ces deux amendements ne résoudront aucun des problèmes qu’ils prétendent résoudre. Au contraire, en multipliant les phases d’ouverture et d’expulsion, on va multiplier les risques de trouble à l’ordre public. Une fois expulsés, les sans-abris iront ouvrir un autre bâtiment pour s’abriter. Ce ne sont pas les occupations de locaux vacants le problème, mais bien la présence de sans-abris.

Par ailleurs, la constitutionnalité de ces amendements est douteuse. En effet, dans sa décision 2011-625 DC, le Conseil Constitutionnel a considéré qu’un délai de 48h pour déposer un recours suspensif avant une expulsion ne saurait, en l’espèce, constituer une garantie suffisante pour assurer une conciliation qui ne serait pas manifestement déséquilibrée entre la nécessité de sauvegarder l’ordre public et les droits et libertés constitutionnellement garantis.

Une nouvelle loi antisquat, pourquoi faire ?

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L’entrée d’un squat, en 2009

Après de nombreuses tentatives plus ou moins avortées, voilà que le Sénat, nouvellement repassé à droite, se précipite pour mettre à l’ordre du jour une proposition de loi visant à faciliter l’expulsion des squatteurs de domicile. Dès le titre, en fait, on sent que la confusion est savamment entretenue en les squatteurs, qui occupent des locaux ou logements vides, et les quelques cas de violations de domicile qui peuvent être recensés.

Cette impression est largement renforcée à la lecture de l’exposé des motifs, qui en plus révèle une méconnaissance des dispositions légales existantes. Examinons :

L’amplification des occupations illicites de domicile ne peut laisser indifférent le législateur.

Si l’on parle des squats au sens commun, il est difficile d’obtenir des chiffres précis. Plus qu’une augmentation, on constate une concentration géographique des squats, liée à une répression qui cible en priorité les quartiers aisés pour repousser les squats dans les parties pauvres. Si l’on parle de violation de domicile, à défaut de statistiques plus récentes, la réponse du ministère de la justice à la question parlementaire 01067 indiquait que le nombre d’infraction était stable entre 2006 et 2010, autour de 2000 par an. Surtout, ces infractions concerne bien autre chose que des occupations, on trouve quantité de propriétaires tentant d’expulser leurs locataires sans décision de justice ou même des militants de Greenpeace envahissant les centrales nucléaires.

Les exemples se multiplient de personnes qui, de retour de vacances, d’un déplacement professionnel ou d’un séjour à l’hôpital, ne peuvent plus ni rentrer chez elles, parce que les squatters ont changé les serrures, ni faire expulser ces occupants.

Dès la deuxième phrase, on sombre dans le n’importe quoi. Les trois cas cités sont sans ambiguité des cas de violation de domicile. Ce n’est pas, en effet, parce que vous êtes en vacances ou à l’hôpital que votre domicile cesse d’être votre domicile. Dans ce cas, s’agissant d’un délit permanent, l’expulsion est réalisé par les forces de l’ordre après le dépôt d’une plainte, sans avoir à passer par un jugement, et ce quelque soit la durée de l’occupation.

Grâce à l’action de notre collègue Catherine PROCACCIA qui avait instauré par voie d’amendement à la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable un article prévoyant et réprimant l’occupation illicite du domicile d’autrui, « l’introduction ou le maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet » est aujourd’hui un délit et l’article L. 226-4 du code pénal le punit « d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».

Les Sénateurs et Sénatrices UMP ne se mouchent pas du pied. La violation de domicile ne doit pas grand chose à Catherine Procaccia, mais tout à Louis-Philippe et à la modification du code pénal de 1832 qui l’a instaurée pour les particuliers. Même la rédaction de l’article 226-4 qu’ils citent date de 1994…

Cependant, le phénomène des maisons et appartements squattés se développe et notre droit pénal reste inadapté à la répression de cette infraction. Malgré l’illégalité de l’occupation, une personne installée dans un local d’habitation sans l’autorisation du propriétaire a des droits. En conséquence, une personne propriétaire d’un logement peut assez difficilement expulser des personnes sans l’intervention d’un juge, sous peine d’être elle-même sujette à des poursuites.

Une personne installée dans un local vacant a des droits, oui, celui d’un procès équitable et du respect de son domicile notamment. Pour éviter ces ennuis, un seul conseil, ne laissez pas vos propriétés vacantes quand tant de gens dorment à la rue.

La principale raison est que la notion de flagrant délit qui permettrait une expulsion rapide des occupants sans titre est difficilement caractérisable. Passé un délai de 48 heures suivant l’intrusion illicite, le flagrant délit ne peut plus être caractérisé et la police ne peut donc plus procéder à l’expulsion immédiate des squatteurs de domicile. Elle est juridiquement impuissante. Il revient alors au propriétaire ou au locataire du domicile de saisir la justice afin d’obtenir une décision d’expulsion. Cette procédure qui peut être particulièrement longue est mal comprise par nos concitoyens.

On arrive au cœur du sujet : ce paragraphe entier ne concerne pas les violations de domicile qui sont un délit continu, mais bien l’ensemble des squats. Une fois de plus, l’UMP souhaite s’abstraire de la justice pour laisser libre cours à la police.

Seul, l’article 38 de la loi Dalo du 5 mars 2007, peu connu de nos concitoyens, permet une procédure d’expulsion accélérée par voie de décision administrative, sans passer par une décision de justice. Cet article permet au préfet, sur saisine du propriétaire ou du locataire qui constate l’occupation illégale de son logement, de demander à cet occupant sans titre de quitter les lieux.

Si le rapport parle d’une dizaine de procédures liées à cet article, je n’en en connais pour ma part aucun exemple. Parce que la police expulse couramment en flagrance de dégradation, sans utiliser ce texte. On aimerait une meilleure utilisation de ce texte, oui, pour s’assurer que les quelques droits des occupants soient respectés.

La fin de l’exposé des motifs détaille les deux articles de la proposition de loi. Le premier proposait d’étendre la durée de la flagrance, le second rien moins que de donner la possibilité au maire de demander l’expulsion même sans joindre le propriétaire. Heureusement, cette partie du texte a été supprimée en commission. Elle me paraissait de toute façon peu constitutionnelle.