La récente annulation du permis de construire de la Samaritaine est pour moi l’occasion de revenir sur les péripéties de la fondation Louis Vuitton récemment inaugurée. Les points communs sont assez nombreux puisqu’on y trouve à chaque fois les intérêts de la mairie de Paris et de LVMH, confrontés à des associations de riverains particulièrement tenaces. Querelle des anciens contre les modernes ? Comme toujours, c’est peut-être plus nuancé.
Remontons donc quelques années en arrière, quand la fondation Louis Vuitton a fait appel à l’architecte-star Franck Gehry pour construire un musée sur les terres du bois de Boulogne.
Le 8 avril 2007, la mairie de Paris accorde donc par un arrêté, le permis de construire du bâtiment. Très rapidement, une association forme un recours au tribunal administratif contre cet arrêté, ce qui est la voie classique du recours dans ce cas. Ce qui est moins classique, c’est que la même association avait auparavant attaqué le nouveau règlement d’urbanisme, adopté en juin 2006. Elle est bien déboutée par le tribunal administratif en août 2007, mais qu’à cela ne tienne, elle fait appel.
En février 2009, la cour administrative d’appel réforme le jugement et annule l’ensemble du règlement d’urbanisme de la zone N, celle qui concerne le bâtiment. Dans ce cas, c’est le règlement précédent, le POS, qui redevient le texte de référence. Ça commence à sentir le roussi, car évidemment l’architecte n’a pas basé son projet sur un règlement alors abrogé. C’est au tour de la mairie de Paris de faire un pourvoi devant le Conseil d’État.
En juin 2010, le Conseil d’État valide le raisonnement de la cour d’appel, en en limitant la portée aux seuls articles N6 et N7 du règlement. Le tribunal administratif peut donc dès lors statuer sur la conformité du permis de construire à un texte abrogé au moment de son élaboration…
Et, en janvier 2011, le tribunal administratif annule le permis de construire. Là, ça devient la panique chez les promoteurs du projet. Dans un élan d’union nationale après le douloureux souvenir de l’abandon du projet de Tadao Ando sur l’île Seguin, gauche et droite s’allient pour tenter de sauver le soldat Vuitton. Quelques jours après la décision du tribunal, un article est inséré dans la loi sur le prix du livre numérique :
Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validés, à la date de leur délivrance, les permis de construire accordés à Paris en tant que leur légalité a été ou serait contestée pour un motif tiré du non respect des articles ND6 et ND7 du règlement du plan d’occupation des sols remis en vigueur à la suite de l’annulation par le Conseil d’État des articles N6 et N7 du règlement du plan local d’urbanisme approuvé par délibération des 12 et 13 juin 2006 du conseil de Paris.
Le nombre de permis concernés par cette loi ? Un seul. La séparation des pouvoirs législatif et judiciaire ? Mais voyons, la ville de Paris a fait appel, la décision n’est pas définitive, il n’y a pas de problème… Le lien entre le prix du livre numérique et la construction d’un musée ? euh…
Évidemment, l’association dépose immédiatement une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil Constitutionnel. Lequel valide l’article, alors qu’on l’a connu plus sourcilleux sur les cavaliers législatifs. Mais « La disposition contestée répond à un but d’intérêt général suffisant ».
La cour d’appel administrative se paie alors le luxe de critiquer très sévèrement le conseil Constitutionnel dans cinq considérants qui rappellent le droit à un procès équitable et considèrent comme inapplicable une validation législative d’un permis de construire. Elle valide toutefois le permis de construire du bâtiment, en juin 2012, soir plus de cinq ans après son dépôt.
Qu’est-ce que nous apprends cette histoire sur l’architecture ? D’abord, qu’on a tort d’en faire des héraut de la liberté architecturale. La fondation Louis Vuitton, tout comme le projet de la Samaritaine, sont des projets aux enjeux financiers énormes qui dominent toute la réflexion architecturale. Ils trouveront toujours des soutiens de poids hors de portée même d’architectes bien établis.
Ensuite, elle dit la difficulté de faire un bon règlement d’urbanisme. Si les articles ont été annulés dans le cas de la fondation Louis Vuitton, c’est qu’ils se contentaient de prescrire « une bonne insertion », demande trop floue pour avoir une valeur règlementaire. Et si le permis de construire de la Samaritaine est annulé, c’est toujours cette « insertion » qui pose problème. Il saute aux yeux que le projet ne respecte pas les matériaux ou les volumes de la rue de Rivoli. Est-ce un problème architectural en soi ? Non, l’architecture passe aussi par le jeu de contraste. Est-ce que les juges administratifs sont des vieux réacs qui sacquent un bâtiment par amour des vieilles pierres ? Non plus. Ils sont simplement contraints par le règlement d’urbanisme adopté par la ville de Paris.
Si l’on veut plus d’innovation en architecture et en urbanisme, il faut avant tout que les architectes s’emparent de ces questions au niveau politique et ne restent pas passifs devant les règlements qu’on leur impose. C’est un travail qui doit se faire en amont du projet architectural. Ne soutenir les très grands projets qui bénéficient de circonstances exceptionnelles, voire de passe-droit, ne sera qu’un leurre.