Me voilà finalement à Istanbul. Sur la fin du voyage, je me suis laissé guider par mon groupe de Suédois. A Sofia, nous avions dix minutes pour acheter nos billets pour Istanbul. Lorsque nous sommes arrivés au guichet, ils nous ont déclarés que le train était complet, à cause de tous ces gens qui vont au FSE. Les deux Suédois, envoyés en éclaireur et avec les bagages directement auprès du train en partance, se sont vu proposer par les chefs de wagons des places en couchettes à vingt euros par personne. Une des Suédoises (Je me rends compte que je n’ai pas encore présenté ce groupe, ça viendra.) décrète que c’est trop cher et s’enquiert des bus qui font aussi le trajet. Après quelques allers-retours dans la gare de Sofia, dont l’architecture est superbement soviétique, après avoir laissé partir le train, nous dénichons un bus, sans couchette, à vingt euros par personne. L’avantage, à part l’air conditionné, c’est que nous mettrons huit heures au lieu de treize. L’avantage surtout, c’est que j’économise une journée de voyage sur mon pass, denrée précieuse s’il en est puisque limitée à dix.
Mon groupe, dont la grosse Suédoise semble être leader informel, je les ai donc rencontrés dans le train. Ils sont montés à Budapest comme beaucoup d’autres et le chef de wagon m’avait dit que, comme moi, ils essayaient de se rendre à Istanbul sans avoir encore de billets. J’avais déjà remarqué la plus jolies des deux filles en lui expliquant le fonctionnement du verrou de la fenêtre. Hélas, parmi les quatre garçons qui complètent ce groupe, se trouve ce qui visiblement doit être son petit copain. Nous avons donc sympathisé, je leur ai expliqué que je ne savais pas comment faire pour rejoindre Istanbul, que d’ailleurs je ne savais pas où y dormir, que je devais intervenir dans le FSE au nom de Jeudi Noir mais que je ne savais pas vraiment quand. Tout ça dans un anglais approximatif qui leur fit dire immédiatement « Toi, tu es Français ! » ce que j’ai trouvé particulièrement vexant. Qu’est-ce que l’accent français a de si reconnaissable ? Je suis bien incapable de savoir d’où viennent les gens. A part les Anglais et les Américains, ceux-là je ne les comprends pas, ils parlent trop vite. Ou alors c’est le fait d’être mauvais…
Bref, après avoir diner sur place, (quelques pièces bulgares ajoutées à mes billets serbes) nous sommes montés dans le bus. Le passage de la frontière Turque semble être une procédure complexe. Après avoir passé la première cahute – bulgare – où un douanier avachi faisait signe au chauffeur du bus de passer, nous descendons du bus montrer nos passeports à quelqu’un qui en tamponne quelques-uns, chacun passant à son tour un tourniquet de métro. Nous remontons pour nous arrêter et redescendre quelques mètres plus loin vers une autre cahute. Cette fois, pas de tourniquet et le préposé garde nos passeports. Remontée dans le bus, distribution des passeports et nouvel arrêt, cette fois pour la fouille. Nous sortons donc nos bagages des soutes du bus, qui se retrouve avec un drôle d’air, même la trappe d’accès aux batteries est ouverte. Les bagages sont alignés et ouverts sur une longue table étroite à coté du bus. Comme la table est trop courte, nous sommes quelques uns à avoir nos sacs en tas à son pied. Le douanier arrive, passe sans même regarder nos sacs, plonge une main distraite dans une sacoche ouverte sur la table, sans pour autant quitter des yeux la jolie fille en face de lui. Il recommence ainsi quelques fois, puis nous remontons finalement dans le bus. Il y a bien une dernière cahute, mais elle semble inhabitée. Avec un long arrêt – mais ce dernier n’était pas obligatoire – au duty-free, le passage de la douane en pleine nuit a donc été un peu long. (J’entends déjà rire mes parents, qui à mon âge ont fait un voyage en Union Soviétique, et sans doutes beaucoup d’autres personnes confrontées régulièrement aux frontières. C’est vrai qu’à vivre dans l’Union Européenne, on ne sait pas vraiment de quoi il s’agit.
Je ne retient de la suite du voyage qu’un brouillard extrêmement dense, mais peut-être est-ce mon sommeil qui l’a accentué. Arrivé à six heures dans la gigantesque gare routière d’Istanbul, je continue à suivre les Suédois : deux d’entre eux ont réservés un hôtel à proximité de l’université où doit avoir lieu les échanges principaux du forum. Sur place, les chambres sont complètes, mais nous avons peut-être une chance d’en récupérer une dans la journée, qui doit être libérée car les dames âgées qui l’occupent ont du mal avec les lits superposés. Les quatre autres Suédois, bien qu’ils aient réservés dans un autre hôtel, préfèreraient rester à proximité de leurs amis et nous nous mettons donc en chasse d’un hôtel. Ça tombe bien, l’immeuble mitoyen en est un aussi. Le seul inconvénient, c’est que la nuit passe de neuf à trente-six euros par personne, ce qui dissuade naturellement tout le monde. D’ailleurs, nous avons à peine le temps de faire cet aller retour que, c’est décidé, la chambre nous sera libérée. Nous entassons donc tous nos bagages dans la chambre de deux, et nous profitons des toilettes et douches de l’hôtel. Ce dernier porte assez bien le nom de Chill Out Hostel. Les murs intérieurs et extérieurs en sont peints de toutes les couleurs, pourvues qu’elles soient vives. Les bleus, les rouges, les violets, les jaunes se multiplient et s’entrecroisent de la cage d’escalier aux chambres. On se croirait dans notre local pionnier, que nous avions repeint nous même à quatorze ans. La chambre des deux Suédois est assez exigües d’ailleurs, nous ne pouvons y rentrer à six : avec le lit superposé, il reste juste assez de place pour poser les sacs. Je note, avec une pensée pour l’architecte de sécurité venu visiter le squat de la place des Vosges, que la seule source électrique de la pièce est une prise multiple dont le câble passe sous le linoleum de l’escalier. Escalier en colimaçon, étroit et unique bien entendu, qui formera une magnifique cheminée en cas d’incendie.
Il n’y a qu’un seul point d’eau par étage, et il faut donc monter ou descendre selon qu’on veut prendre sa douche ou aller aux toilettes. Les deux alternent en effet, à notre étage ce sont les toilettes. Les douches faisant la même taille que ces toilettes de paliers, il est nécessaire de laisser son change à l’extérieur, dans l’escalier, pour éviter qu’il ne soit totalement détrempé. C’est en sortant de la douche, pour attraper mon pantalon, que je remarque la mignonne petite souris, morte, dans l’embrasure d’une porte. Heureusement, l’hôtel à l’air propre, il n’y a en tout cas pas traces de cafards et je me dis qu’aucun animal vivant ne m’ennuiera, à part peut-être les Suédois.