V.I.O.L.

Les victimes de viol ne doivent pas se sentir bien, ces derniers temps. Est-il besoin de dire pourquoi ? Ce n’est pas tant l’évocation d’une nouvelle affaire de viol ; si certains peuvent en souffrir, il appartient à chacun et d’abord aux victimes de se blinder un peu. Malheureusement, de tels faits se produiront toujours, et un empathie trop importante n’est finalement que le reflet de ses propres traumatismes. Il faut passer outre.

Le plus dur, ce ne sont même pas les faits qui sont reprochés à Dominique Strauss-Kahn, mais les propos de quelques-uns qui prennent « sa défense ». Bien entendu, DSK a droit à la présomption d’innocence. Bien entendu, on peut évoquer la thèse du complot : si elle paraît de moins en moins crédible au fil des jours, qui peut prétendre ne pas l’avoir envisagée ? Même les arguties de ceux qui, visiblement, ont du mal avec la notion d’égalité, n’ont pas grande importance.

Ce qui choque, ce qui me choque, ce sont toutes ces phrases qui minimisent la gravité des accusations. Ces commentateurs qui rappellent qu’il n’est pas accusé de viol, mais de tentative de viol. Mascarade intellectuelle. Parce qu’en droit français, les faits reprochés correspondent bien au viol. Parce que, surtout, la tentative de viol est punie de la même manière que le viol. Se rendent-ils comptent d’ailleurs qu’ils enfoncent DSK en disant cela ? Comme s’ils le savaient d’ors et déjà impossible à innocenter ?

Le summum a été atteint avec Jean-François Kahn. Son « troussage de femme de chambre », il l’a retiré et je veux bien croire à un mot malheureux d’une personne dont le métier est de « faire le buzz ». Mais sa « tentative violente de viol » ? Ce n’est pas que je veuille l’accabler, c’est surtout que cette phrase est l’expression presque inconsciente de l’imaginaire collectif : le viol, c’est quand un inconnu vous agresse dans la rue, et ce n’est que ça. Des monstres pathologiques qu’il faut enfermer, même après qu’ils aient purgés leurs peines. Cette idée est tellement répandue, et confortée par la politique actuelle, avec la médiatisation systématique de ces faits divers. Mais tellement éloignée de la réalité.

Ma formation universitaire fait que je me méfie lorsque je vois des chiffres sans sources. 75 000 viols annuels, dix pour cent des victimes qui portent plainte. On peut chipoter sur le détail, mais les ordres de grandeurs sont sans doute justes. Croyez-vous que tous ces actes sont le fait de serial violeur ? Le coupable, c’est le père, l’oncle, l’ami, le collègue. Dans l’immense majorité des cas. Et c’est bien ce qui rend difficile de porter plainte. S’il est déjà honteux d’avoir été violé quand c’est par un inconnu, imagine-t-on un instant la difficulté d’accuser celui que l’on connaît depuis des années ?

Lorsque j’ai commencé, pour des raisons personnelles, à aborder le sujet avec des amies, j’ai été effaré des réponses. Sur la dizaine de personnes questionnées, quatre ont reconnues avoir été violées. Je n’en avais jamais rien su, même après plusieurs années. Pourtant, le traumatisme est bien là. Aucune n’a porté plainte, probablement parce qu’elles connaissaient toutes leurs violeurs depuis longtemps. Et, pour les deux qui ont été violées par un membre de leur famille, parce qu’elles continuent à le fréquenter. C’est difficile, à vingt ans, de rejeter son père ou son frère.

Dans tous ces cas où l’on connaît le violeur, la première difficulté, c’est d’admettre avoir été victime. Cette simple étape peut prendre des années, et des années de souffrance qui perturberont toutes relations amoureuses. Je me souviens en particulier d’une amie qui me racontait que, oui, il l’avait pénétrée alors qu’elle ne voulait pas, que ça avait été douloureux, mais que c’était son copain, qu’il ne l’avait pas violée. Que répondre ?

Ce qui est douloureux aujourd’hui, ce n’est pas le traitement de l’affaire DSK en lui même, ce ne sont pas les déclarations scandaleuses, mais bien ce qu’elles montrent de notre société. Si l’on a pas été violé dans la rue par un détraqué, on n’a pas vraiment été violé.