Archives mensuelles : avril 2013

Militantisme et audition libre

{EDIT du 15/11/2013} : Après une discussion sur Twitter avec Simone, que je remercie et que je vous invite à suivre à l’occasion, il est apparu que les militants concernés dans ce texte n’était pas entendus sous le régime de l’audition libre, mais sous celui de la vérification d’identité. Ce qui est, convenons-en, un tantinet ennuyeux pour une note dont le titre est précisément Militantisme et audition libre.
Je laisse ce texte pour sa première partie et pour archive, et j’en prépare un second avec les nouvelles informations.

C’est une action comme on en a mené des dizaines. Pour dénoncer l’évasion fiscale, quoi de mieux que de rendre une petite visite à Reyl et Compagnie, la fameuse banque qui a déplacé le compte de Jérome Cahuzac depuis la Suisse vers Singapour ? Le collectif Sauvons les Riches et quelques autres militants s’étaient donc donnés rendez-vous au cœur du huitième arrondissement pour découvrir les locaux de cette société. Comme à leur habitude, les fonctionnaires de la Direction du Renseignement de la Préfecture de Police sont présents, et comme à leur habitude, ils viennent nous serrer la main avant que nous nous mettions en route. S’ils ne connaissent évidemment pas la « cible » avant que nous y entrions, ils communiquent en direct notre position à la hiérarchie et aux « bleus » sur le terrain. Voilà quelques temps, en effet, que nous ne nous déplaçons plus sans quelques véhicules d’une Compagnie de Sécurisation et d’Intervention. Déploiement de force bien inutile, les actions que nous pouvons mener étant bien entendu non-violentes, et ponctuelles puisque nous quittons toujours les lieux au bout de quinze à vingt minutes. (J’exclus les ouvertures ou tentatives d’ouverture de squats, qui se font sur des modes très différents, et surtout pas en pleine journée.)

Profitant d’une porte ouverte, les militants, au cri de Adieu, adieu la Suisse, tous à Fleury-Mérogis montent faire un peu de bruit dans les bureaux de Reyl, sous le regard un brin amusé du RG de service et des nombreux journalistes présents. Une administratrice de la banque prévient « Attention, vous vous attaquez à des choses que vous ne savez pas ! » Comment lui dire… À la descente, toutefois, une surprise les attend : la douzaine de véhicules de police, habituellement cantonnés dans une rue parallèle, a pris position devant la porte de l’immeuble et empêche toute sortie, y compris celle des salariés…

Des « négociations » s’engagent pour essayer de débloquer la situation. Un simple contrôle d’identité paraît insuffisant pour satisfaire les autorités, tout notre petit monde étant identifié depuis belle lurette. Et bientôt, (au bout de trois quart d’heure tout de même) c’est le panier à salade qui arrive en effet pour embarquer les douze militants au commissariat. Vu que nous prenons bien garde à ne pas commettre d’infraction, c’est une situation assez rare pour être signalée : en fait, cela faisait plus de deux ans, lors d’une action contre les biens mal acquis, qu’une telle interpellation n’était pas arrivée. Ce qui, au passage, éclaire ce qui est vraiment protégé par la police dans notre pays : la Françafrique et les banquiers suisses.

Le trajet entre le lieu de l’action, dans le huitième arrondissement, et le commissariat du cinquième, permet à un policier de prendre la traditionnelle photo de groupe dans le panier à salade, aussitôt diffusée sur les réseaux sociaux.

De mon coté, à peine arrivé devant ce commissariat avec quatre autres militants pour attendre la sortie de nos amis, la police entreprend de poser des barrières en travers de la rue basse des Carmes, comme si nous risquions de prendre d’assaut le bâtiment… Mais c’est à l’intérieur qu’a lieu la véritable mascarade : si les militants acceptent d’être entendus en audition libre (alors qu’ils sont matériellement privés de liberté depuis déjà deux heures), ils ont une chance d’être libérés rapidement. Sinon ? Eh bien, c’est une garde à vue en bonne et due forme, qui permet certes de bénéficier de l’assistance d’un avocat, mais qui risque de durer bien plus longtemps et d’entrainer un prélèvement ADN… Vu les emplois du temps de chacun, le choix n’en est pas vraiment un.

Le summum sera atteint quand, voulant sortir au terme des auditions, les militants se verront répondre qu’il leur faut attendre l’autorisation du parquet. Visiblement, certains policiers ont encore du mal avec le concept d’audition libre.

Épilogue

Après un peu plus de trois heures trente de retenue, tout le monde a été libéré sans qu’aucune charge ne soit retenue. Reyl a annoncé par voie de presse vouloir porter plainte. Même dans le cas où la volonté médiatique serait suivie d’effet, il y a tout lieu de croire que la plainte serait classée sans suite. Et puis, avec les suites de l’affaire Cahuzac, on peut penser que les avocats de Reyl auront mieux à faire que de s’occuper d’une dizaine de militants.

Rue de Sèvres, le soulagement

IMG_9634Dernière étape d’une procédure déjà vieille de cinq ans, la Cour d’Appel de Paris a condamné hier huit jeunes précaires à payer 23 000 euros à une propriétaire multi-millionnaire. Leurs faute ? S’être abrité pendant quinze mois, d’avril 2008 à juin 2009, dans un immeuble à l’abandon.

S’il y a parfois des personnes qui ne sont pas éloignées de la caricature du richissime vieillard acariâtre, la propriétaire du 69, rue de Sèvres en fait partie. Domiciliée fiscalement en Belgique, possédant en nom propre plusieurs appartements et immeubles à Paris et Neuilly, détenant des parts dans une société immobilière luxembourgeoise, elle laisse véritablement pourrir sur place une part non négligeable de son patrimoine, au grand désespoirs des municipalités concernées.

Non réquisitionnable par les limitations de la loi de 1998, l’immeuble reste toujours vide, malgré les menaces qu’il pourrait faire courir aux voisins et au passant : les nombreuses infiltrations causent des dégâts à la structure en bois de cette construction du XVIIIème siècle.

Pourtant, c’est avec un soupir de soulagement que la nouvelle de la condamnation a été accueillie par les personnes concernées. C’est que, condamnées en première instance à 80 000 euros, elles s’en voyaient réclamer 245 000 par la propriétaire. Cette dernière réclamait en effet les loyers d’un immeuble qu’elle n’avait jamais mis en location. Elles n’auraient jamais pu inventer cet argent qu’on leur demandait. Au moins, 23 000 euros, même si c’est un effort financier conséquent pour les anciens habitants de la rue de Sèvres, c’est une somme qui pourra être payer. Et mettre fin à l’angoisse de ces cinq ans de procédures, ne plus avoir à vivre au jour le jour est la priorité de tous.

A juste titre, la Cour a estimé qu’en l’absence d’activité dans l’immeuble (pour les étages, on parle en décennies de vacance…), la propriétaire ne pouvait se prévaloir d’un quelconque préjudice économique. En revanche, elle a estimé que la seule atteinte à la propriété causait un préjudice à hauteur de 1500 euros par mois. Pour ma part, je n’arrive pas à considérer cette somme autrement que comme un enrichissement sans cause de cette propriétaire.

Certes, la justice applique le droit et non la morale. Mais quel préjudice à être passé dans un immeuble à l’abandon ? Quel montant pour ces indemnités ? Hier, l’État a également été condamné, pour la violation des droits fondamentaux. Alors que ce dernier a l’obligation légale d’héberger, il a mis à la rue plusieurs familles avec enfants. Résultat ? Une astreinte de 75 euros par jour, soit 2250 euros par mois. Quand on regarde la jurisprudence sur cette obligation d’hébergement, on se rend compte que c’est une des astreintes les plus importantes, dans la plupart des cas, elles n’existent même pas.

Alors parlons droit, parlons préjudice et indemnité. Voir un de ses immeubles vide occupé par des personnes qui n’ont pas d’autres choix pour s’abriter, cause-t-il réellement un préjudice supérieur ou même comparable à celui de devoir dormir à la rue, sous la pluie ?

Aujourd’hui, non, si je fête avec ces amis leur soulagement, je me refuse à parler de victoire.