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07 juillet, 08h15, Železnička stanica Beograd

Il n’y a pas eu de problème. Arrivant avec seulement deux heures de retard –J’avoue que la banlieue de Belgrade m’a paru bien longue à traverser – j’ai eu quelques frayeurs sur la possibilité de prendre mon train. Dès l’arrêt, je me suis précipité au bureau des billets internationaux pour acheter mon billet. Alors que j’avais formulé ma question en Anglais, l’homme me répond dans un français parfait, sans le moindre accent, que pour Sarajevo vous avez un train sur la voie trois. Je ne sais si c’est la surprise ou l’inattention, mais j’ai continué à lui poser mes questions en anglais. Je crois qu’en fait je n’ai réalisé que bien après qu’il parlait français.

Le temps de faire un bref adieu à mes compagnons d’infortune, qui poursuivent leurs routes vers Novi-Sad, Vienne, Munich… et je monte dans le train. Une douche me ferait le plus grand bien. La dernière remonte déjà à quarante-huit heures, à Istanbul, et la journée passée à déambuler dans la ville, puis les deux nuits de train m’ont fait un peu suer. Même mon sac à dos porte des traces blanches de mon sel. Une lessive d’ailleurs, ne serait pas un luxe non plus, j’espère pouvoir en faire une à Sarajevo. Nous passons d’abord la frontière croate, car il n’y a pas de train direct entre la Serbie et la Bosnie. Le douanier croate à l’aire de trouver quelque chose à mon passeport. Il regarde attentivement la photo, me demande où j’habite. Du moins c’est ce que je comprends, car il ne parle pour le coup ni anglais ni allemand, pas plus que la vieille dame à coté qui essaye de me servir d’interprète. Il épelle mon nom dans sa radio, prend en photo la page de mon Etat Civil avec son téléphone mobile… Apparemment, le fait que ce soit ma ville de naissance sur cette page et que mon adresse soit reléguée en dernière page semble lui poser problème. A un moment, la vieille dame parle de Paris, et je saute sur l’occasion : « Yes, yes, I live in Paris » avant de me reprendre. Tous mes papiers sont à l’adresse de mes parents à Caen, et je me vois mal expliquer ça simplement par geste… Finalement, il tamponne mon passeport et s’en va. La vieille dame me regarde en souriant et me fait comprendre qu’il n’était pas très intelligent en mettant son doigt sur sa tempe.

La traversée de la Croatie est assez rapide, nous circulons sur une ligne à double voie et n’avons donc pas besoin de nous arrêter. Les voies sont toutes neuves, les bas coté encore en travaux. Partout, des panneaux indiquent que l’Union Européenne finance. C’est à l’aller, à Belgrade, où j’avais vu un camion poubelle recouvert d’une grande pub pour l’Union. J’imagine que le slogan « l’Europe ramasse vos poubelles » est moins attrayant. La Croatie paraît encore extrêmement rurale, avec de multiples fermes installées au milieu de petits champs de maïs, les meules de foin à l’ancienne donnant l’impression d’un autre âge. J’imagine que la côte doit être complètement différente, encombrée de touristes… A la frontière suivante, le douanier croate tamponne mon passeport en lui jetant à peine un regard, c’est le douanier bosniaque, ou bosnien d’ailleurs, qui ne le tamponne pas. Il me le rend sans un mot, je m’en étonne un peu, les autres personnes ont droit à leur petit coup, on verra bien.

Le train s’arrête entre deux autres, de marchandises, et qui doivent être à l’arrêt depuis bien longtemps vu les arbres qui poussent au travers. Maintenant seul dans mon compartiment, j’en profite pour faire un somme. Les trains de nuit ne sont quand même pas d’un repos total, surtout lors des arrêts frontaliers. L’arrêt se prolonge, pas mon somme. Je découvre que le wagon d’à coté est un wagon restaurant, complètement vide d’ailleurs. J’interromps le serveur, en train d’écrire une clope à la main. Pendant qu’il me prépare un café, un vrai à la turque, avec un centimètre de marc au fond de la tasse, il m’explique qu’il y a un problème électrique et qu’il va falloir attendre un peu. Je descends sur la voie, et je m’amuse à faire quelques photos des wagons rouillés. D’autres « internationaux » sont descendu aussi, font de l’équilibre sur un rail, s’exercent à lancer des cailloux dans un trou de rouille… Après trois heures d’attentes, nous repartons, remorqués par une locomotive diesel.

Si la Bosnie, comme la Croatie, donne une image très rurale, elle paraît aussi beaucoup moins miséreuse que la Serbie ou la Bulgarie. En fait, je crois que c’est surtout l’absence de ruines d’industries lourdes qui donne ce sentiment. Les villages, les maisons, ne sont pas abandonnés, et ne paraissent donc pas prêts à s’effondrer comme les usines serbes. Soudain, un panneau rouge « Attention, mines » me rappelle que je suis dans une ancienne zone de guerre. Je n’en avais encore vue aucune trace. Quoique… Les villages que nous avons traversés avaient tous en fait leurs cimetières un peu gros pour le village, avec leurs tombes encore bien blanches.

La nuit tombe avant que nous arrivions à Sarajevo. Je commence à m’inquiéter de trouver un hôtel. En arrivant à dix-sept heures trente comme prévu, je n’aurais sans doute pas eu de problème, mais je voudrais bien en pas avoir à marcher de nuit pendant des heures.

A la différence de Perpignan, la gare de Sarajevo n’est certainement pas le centre du monde. Dans le hall vide, je retrouve avec soulagement mes internationaux, et nous nous agglutinons près de l’entrée. Il y a là quatre Anglais, deux Hollandaises et une Malaisienne. Un homme nous propose un hôtel à dix euros la nuit, et nous acceptons volontiers. Nous montons donc tous dans un minibus en nous disant que, peut-être, nous n’en reviendrons pas. Dans le bus, nous apprenons l’élimination de l’Allemagne en demi-finale de la coupe du monde. Je ne verrai donc pas cette équipe jouer la finale, à Berlin avec Lucia.

30 juin, 7h30, Železnička stanica Beograd

Je me réveille à l’arrêt, en gare de Belgrade. Notre chef de wagon nous propose du café et je sors sur le quai pour prendre le frais. Je fais connaissance avec ma voisine, une polonaise. (De la catégorie des plus de soixante ans). Elle aussi, comme à peu près l’ensemble du wagon, se rend au Forum Social Européen d’Istanbul. Elle me demande comment nous serons loger, je lui réponds que je n’en sais rien et qu’on m’a conseillé de me débrouiller tout seul. Nous échangeons ensuite quelques mots sur les camps anti OTAN de Strasbourg, Lisbonne, on parle de la répression policière et des CRS qui jettent des cailloux sur les manifestants. C’est une drôle de chose d’être ainsi des professionnels de la contestation, et de parcourir l’Europe de cette manière. J’ai un sentiment partagé, face au militantisme de ces gens. Pour ma part, le FSE est le premier « sommet » auquel je participe, et je sais que j’y vais bien davantage pour Istanbul que pour le social. Ça n’est pas que ça ne serve à rien, et je pense même que c’est nécessaire, mais parfois il y a une certaine part de naïveté dans la sincérité de ceux qui dénoncent l’OTAN, les nantis, le nouvel ordre mondial… Nous sommes avant tout, nous qui voyageons, nous qui pouvons nous regrouper, des nantis, des privilégiés, et notre but est bien notre propre satisfaction, un mélange de tourisme un peu – très peu – aventureux et de bonnes actions. Pourtant, il y a une nécessité dans tout cela, un fond juste certainement. Il n’est pas nécessaire d’être concerné directement pour agir, et la mise en commun des différentes « luttes » (même si ce mot sonne beaucoup trop gauchiste pour moi) est toujours une bonne chose. Mais surtout voir, voir, constater et s’informer, savoir. Je suis toujours sidéré – ça vient de Jeudi Noir – de constater comme les gens peuvent ignorer la réalité. Cette ignorance marche dans les deux sens, bien sur, et j’espère toujours me rappeler être un privilégié.

Bon. Je ne sais pas ce que valent ces interrogations philosophico-politique. Ayant du temps disponible avant le départ du train, je me suis mis en quête de nourriture, pensant non sans raison que même le buffet de la gare de Belgrade serait moins cher que mon charmant chef de wagon. Le seul inconvénient, évidemment, quand on quitte la zone Euro, c’est qu’il faut changer de l’argent. Et j’imagine que les boutiques autour de la gare ont reçu pour consigne de ne pas accepter les euros. Ayant donc échanger dix euros contre mille vingt dinars, je me suis dirigé vers une boutique où j’ai pu acheter de quoi me sustenter, petit-déjeuner et déjeuner. Je n’ai pas su trouver de quoi dépenser mes sept-cents dinars restants, peut-être les utiliserai-je au retour.

Vue du train, la Serbie a des allures très tiers-monde. Je sais bien qu’il faut se méfier, ce ne sont jamais les riches qui s’installent près des voies ferrées, et les RER de Paris sont suffisamment souvent bloqués par des incendies de bidonvilles, mais tout de même. Ces usines abandonnés, ces décharges sauvages un peu partout… Ce qui est frappant, c’est la régression, la déchéance et les traces qu’elle peut laisser. Ce ne sont pas quelques bâtiments abandonnés, c’est partout des ruines. A la campagne, ils font les foins, et les meules s’alignent autour de leur mat central. J’ai été surpris qu’ils les fassent si tôt, mais à vrai dire je n’ai aucune idée de quand ça se fait.

Notre wagon continue ses changements de trains au cours des arrêts. Apparemment, j’ai raté le changement de destination le plus facile. Entre Belgrade et Nis, les wagons en avant du nôtre allaient directement à Istanbul. J’aurai pu changer de compartiment et acheter mon billet. Au lieu de ça, il faut que je descende à Sofia pour aller au guichet, ce qui pourra s’avérer problématique vu notre heure de retard. Nous circulons sur une voie unique, ce qui nous force à faire de nombreux arrêts – en plus des stations – pour laisser passer les trains allant dans l’autre sens. Nous attendons parfois jusqu’à dix minutes qu’un train de marchandise veuille bien nous libérer la voie. Pendant la journée, l’électricité du wagon est coupée, et il n’y a donc aucune lumière quand on passe un tunnel. Se retrouver brutalement dans le noir absolu n’est déjà pas très sympathique lorsqu’on lit ou qu’on écrit, mais c’est encore pire lorsqu’on escalade une couchette un café à la main.

Entre Nis et la frontière bulgare, on suit une gorge et les tunnels sont nombreux. La végétation est particulièrement luxuriante, presque tropicale dans son foisonnement. Sur la voie unique, qui plus est non électrifiée, on a vraiment l’impression d’être dans un autre type de tunnel.