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05 juillet, 22h, İstanbul Sirkeci Garı

Je comptais profiter du paysage depuis le train en partance d’Istanbul, les voies suivant le Bosphore pendant un certain temps. Las, il faut que je prenne le bus, en raison de travaux, le train ne part qu’à cent vingt-cinq kilomètres de là. Je vais encore aggraver ma toux persistante dans ce bus inutilement climatisé. Les Ottomanes sont belles en diable. Ces peaux brunies par le soleil, qui se dévoilent, des bras, des gorges, des jambes… J’avais au début douté et je cataloguais touriste toute demoiselle courte vêtue. En fait, il y en a bien dans le lot, mais peu. J’avoue que j’ai été surpris par les tenues vestimentaires. Je m’attendais à quelque chose de plus proche de ce que j’avais vu au Liban, dans les quartiers chrétiens. Et je crois bien que c’est ça le truc, Même s’ils paraissent et veulent paraître plus libérés que les Musulmans, les Chrétiens du Liban restent profondément marqués par l’Église – et par la guerre aussi bien sur. Les Turcs, eux, sont indéniablement laïcs, et pour une bonne partie, rebelles, à l’armée, à l’Islam.

Évidemment, sur leurs rebellitudes, je suis très influencé par le forum où les organisations d’extrême gauche doivent être mieux représentées que dans le reste de la société turque. Le rouge est omniprésent, les portraits du Che sont là, mais aussi ceux de Staline, Marx, Mao… J’ai parfois l’impression de ne pas tout à fait être à ma place, en tout cas politiquement. Je me fais expliquer par Annie les pratiques staliniennes pour organiser des assemblées démocratiques, parfois présentes au forum.

Pour la manifestation qui le clôture, nous tâchons de rester entre Français, et surtout de ne pas nous mélanger avec un certain nombre de groupes locaux que l’on nous a signalé comme potentiellement violent. Contrairement à la France, où les « casseurs » se concentrent en fin de cortège, c’est le début qui pose le plus de problème en Turquie. Nous fermons donc la marche, suivi à distance pas très respectueuse par la police et ses canons à eau. Comme tout le trajet se déroule sans incident, je remonte le cortège avec quelques autres, jusqu’aux Kurdes. Les femmes manifestent en foulards blancs et portent les portraits de leurs disparus. Les hommes sont devant, accompagnés sur le coté par une escouade de policiers en tenue anti-émeute. Voilà qui effectivement doit dissuader de causer le moindre trouble.

Si je n’ai finalement pas participé aux deux assemblées prévues, les discussions informelles étaient un peu plus riches d’enseignements. Annie et Marie ne manquant pas de me présenter comme faisant partie de l’organisation du plus beau squat d’Europe, plusieurs personnes sont venues me demander des conseils ou des explications supplémentaires sur l’ouverture. C’est là que le bât blessait, car je pouvais bien expliquer comment rentrer dans un bâtiment, mais comment transposer les relations avec la police et la justice ? La puissance médiatique de Jeudi Noir (dans laquelle en plus je n’ai aucune part) forçant les forces de l’ordre à appliquer la loi, et celle-ci étant moins défavorable qu’ailleurs, il est difficile voire impossible, dans un pays où la presse est largement censurée, de tenir un bâtiment sans même un minimum d’appui légal.

A peine le temps de boire une bière après la fin de la manifestation et nous voilà reparti pour un autre quartier, à l’ouest d’Istanbul et placé dans l’axe des pistes de l’aéroport Atatürk. Là, dix-huit familles kurdes campent toutes les semaines depuis près de trois ans pour réclamer un logement, les leurs ayant été détruits sans compensation car ne répondant plus aux normes sismiques. Malgré l’accueil extrêmement sympathique, je doute que nous ayons été nombreux à tenir toute la nuit. Pour ma part, je suis rentré avant que leurs bus à haut niveau de service ne cessent, justement, ce haut niveau.

Mon avant-dernier jour à Istanbul, je l’ai passé à jouer au touriste, commençant par une grasse matinée. Je me levais tout juste pour assister à la fin de l’assemblée des assemblées, vers 12h30. Dans le grand amphithéâtre de l’université, la discussion battait encore son plein, et j’arrivais juste à temps pour entendre une française dire que le problème était la dette publique, et qu’on pouvait lutter contre la dette publique, par exemple en annulant la dette publique. Si seulement on pouvait aussi lutter contre la pauvreté, le racisme, la guerre… en les annulant.

J’en profitais malgré tout pour dire au revoir aux Suédois, qui quittaient Istanbul le soir même et avaient l’air un peu anxieux à l’idée de devoir écrire un article à propos du forum. Dire qu’ils n’auront rien vu de la ville à part des salles de cours dans un campus universitaire !

Après l’achat de la bouteille de raki règlementaire, à fournir à la Marquise, et après une dernière marche dans les rues d’Istanbul, je partais donc à la gare pour apprendre que je voyagerai en bus.