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08 juillet, 18h30, Zeleznicka Stanica Sarajevo

Me voilà en partance pour ma dernière destination, Berlin. Je suis un peu inquiet, pas de manquer mon train, il ne part que dans trois heures, mais de bien avoir mes correspondances. Je dois en effet changer de train à Zagreb vers six heures du matin, et la ponctualité des trains slaves semble encore pire qu’à la SNCF. En attendant, je profite de quelques heures tranquilles en dégustant une « Sarajevsko pivo » J’avoue que, ayant déjà récupéré mon sac à l’hôtel, je n’ai pas vraiment le courage de crapahuter avec. Et puis Sarajevo n’est pas si grande. Je faisais le calcul que j’en avais plus vu en une journée qu’à Istanbul en cinq jours. A raison d’une journée passée pour trois cent milles habitants, la taille de Sarajevo, il aurait fallu que je passe près de deux mois à Istanbul. J’ai quand même parcouru la ville au maximum de mes possibilités, la vieille ville et son souk, d’abord, avec ses dinandiers qui vous font des stylos et des porte-parapluies à partir de vieilles douilles (de calibres différents, bien entendu), les installations olympiques et le cimetière attenant, les bords de la rivière Miljacka, la vue depuis les collines environnantes. Il y a dans la ville quelques formes architecturales post-modernes pas inintéressantes. (Traduire : il y a des HLM pourris qui font kiffer les archis.) La ville paraît résolument contemporaine, j’ai déjeuné dans un centre commercial tout neuf. Les joies de manger en Bosnie un Chili con carne dans un restaurant italien, le tout sous le regard de Tommy Hilfiger. Où comment Christophe découvre d’autres cultures. Sarajevo est en tout cas une ville « actuelle », et si quelques bâtiments portent encore les éraflures des éclats d’obus, la principale évocation du passé, pour un visiteur qui ne rentre pas dans l’esprit des habitants, ce sont les nombreux véhicules (civils) de l’Eufor ou des Nations Unies qui circulent. Sofia, en comparaison, est une véritable ville d’arrière-garde, à moins que je ne sois passé totalement à coté du centre-ville.

Mon nez s’étant mis à accompagner ma toux, je pars à la recherche de mouchoirs, que je trouve dans un des multiples kiosques à journaux de la ville. Ils vendent d’ailleurs à peu près tout, tabac, alcool… Ici, ils vendent les mouchoirs par pochettes de dix au lieu de neuf. C’est à ce genre de petites choses qu’on voit qu’ils n’ont pas été encore totalement imprégnés des bontés du capitalisme.

Je ne sais pas si j’aurai ma correspondance à Zagreb, mais je sais déjà que je ne dormirai pas beaucoup cette nuit : il n’y a pas de couchettes dans le train et nous avons rien moins que vingt-et-un arrêts avant notre arrivée à six heures trente. J’ai retrouvé Pulma, la Malaisienne de l’hôtel, sur le qui de la gare. Elle est en route pour Ljubljana, nous partageons donc le même compartiment. On a le temps de discuter, et comme elle me dit qu’elle termine ses études de droit, j’entreprends de lui expliquer le fond de la politique de Jeudi Noir et son rapport à la légalité. Même si je butte sur quelques mots, je suis assez surpris de pouvoir expliquer certains concepts en anglais. Je suis pris aussi d’une légère culpabilité, en me disant que, vu d’ailleurs, les problèmes français doivent paraitre bien faible. Je ne suis pas trop au courant de la situation en Malaisie, mais je me dis que la démocratie française ne se porte pas si mal. Ce n’est pas une raison pour la laisser démolir.

07 juillet, 08h15, Železnička stanica Beograd

Il n’y a pas eu de problème. Arrivant avec seulement deux heures de retard –J’avoue que la banlieue de Belgrade m’a paru bien longue à traverser – j’ai eu quelques frayeurs sur la possibilité de prendre mon train. Dès l’arrêt, je me suis précipité au bureau des billets internationaux pour acheter mon billet. Alors que j’avais formulé ma question en Anglais, l’homme me répond dans un français parfait, sans le moindre accent, que pour Sarajevo vous avez un train sur la voie trois. Je ne sais si c’est la surprise ou l’inattention, mais j’ai continué à lui poser mes questions en anglais. Je crois qu’en fait je n’ai réalisé que bien après qu’il parlait français.

Le temps de faire un bref adieu à mes compagnons d’infortune, qui poursuivent leurs routes vers Novi-Sad, Vienne, Munich… et je monte dans le train. Une douche me ferait le plus grand bien. La dernière remonte déjà à quarante-huit heures, à Istanbul, et la journée passée à déambuler dans la ville, puis les deux nuits de train m’ont fait un peu suer. Même mon sac à dos porte des traces blanches de mon sel. Une lessive d’ailleurs, ne serait pas un luxe non plus, j’espère pouvoir en faire une à Sarajevo. Nous passons d’abord la frontière croate, car il n’y a pas de train direct entre la Serbie et la Bosnie. Le douanier croate à l’aire de trouver quelque chose à mon passeport. Il regarde attentivement la photo, me demande où j’habite. Du moins c’est ce que je comprends, car il ne parle pour le coup ni anglais ni allemand, pas plus que la vieille dame à coté qui essaye de me servir d’interprète. Il épelle mon nom dans sa radio, prend en photo la page de mon Etat Civil avec son téléphone mobile… Apparemment, le fait que ce soit ma ville de naissance sur cette page et que mon adresse soit reléguée en dernière page semble lui poser problème. A un moment, la vieille dame parle de Paris, et je saute sur l’occasion : « Yes, yes, I live in Paris » avant de me reprendre. Tous mes papiers sont à l’adresse de mes parents à Caen, et je me vois mal expliquer ça simplement par geste… Finalement, il tamponne mon passeport et s’en va. La vieille dame me regarde en souriant et me fait comprendre qu’il n’était pas très intelligent en mettant son doigt sur sa tempe.

La traversée de la Croatie est assez rapide, nous circulons sur une ligne à double voie et n’avons donc pas besoin de nous arrêter. Les voies sont toutes neuves, les bas coté encore en travaux. Partout, des panneaux indiquent que l’Union Européenne finance. C’est à l’aller, à Belgrade, où j’avais vu un camion poubelle recouvert d’une grande pub pour l’Union. J’imagine que le slogan « l’Europe ramasse vos poubelles » est moins attrayant. La Croatie paraît encore extrêmement rurale, avec de multiples fermes installées au milieu de petits champs de maïs, les meules de foin à l’ancienne donnant l’impression d’un autre âge. J’imagine que la côte doit être complètement différente, encombrée de touristes… A la frontière suivante, le douanier croate tamponne mon passeport en lui jetant à peine un regard, c’est le douanier bosniaque, ou bosnien d’ailleurs, qui ne le tamponne pas. Il me le rend sans un mot, je m’en étonne un peu, les autres personnes ont droit à leur petit coup, on verra bien.

Le train s’arrête entre deux autres, de marchandises, et qui doivent être à l’arrêt depuis bien longtemps vu les arbres qui poussent au travers. Maintenant seul dans mon compartiment, j’en profite pour faire un somme. Les trains de nuit ne sont quand même pas d’un repos total, surtout lors des arrêts frontaliers. L’arrêt se prolonge, pas mon somme. Je découvre que le wagon d’à coté est un wagon restaurant, complètement vide d’ailleurs. J’interromps le serveur, en train d’écrire une clope à la main. Pendant qu’il me prépare un café, un vrai à la turque, avec un centimètre de marc au fond de la tasse, il m’explique qu’il y a un problème électrique et qu’il va falloir attendre un peu. Je descends sur la voie, et je m’amuse à faire quelques photos des wagons rouillés. D’autres « internationaux » sont descendu aussi, font de l’équilibre sur un rail, s’exercent à lancer des cailloux dans un trou de rouille… Après trois heures d’attentes, nous repartons, remorqués par une locomotive diesel.

Si la Bosnie, comme la Croatie, donne une image très rurale, elle paraît aussi beaucoup moins miséreuse que la Serbie ou la Bulgarie. En fait, je crois que c’est surtout l’absence de ruines d’industries lourdes qui donne ce sentiment. Les villages, les maisons, ne sont pas abandonnés, et ne paraissent donc pas prêts à s’effondrer comme les usines serbes. Soudain, un panneau rouge « Attention, mines » me rappelle que je suis dans une ancienne zone de guerre. Je n’en avais encore vue aucune trace. Quoique… Les villages que nous avons traversés avaient tous en fait leurs cimetières un peu gros pour le village, avec leurs tombes encore bien blanches.

La nuit tombe avant que nous arrivions à Sarajevo. Je commence à m’inquiéter de trouver un hôtel. En arrivant à dix-sept heures trente comme prévu, je n’aurais sans doute pas eu de problème, mais je voudrais bien en pas avoir à marcher de nuit pendant des heures.

A la différence de Perpignan, la gare de Sarajevo n’est certainement pas le centre du monde. Dans le hall vide, je retrouve avec soulagement mes internationaux, et nous nous agglutinons près de l’entrée. Il y a là quatre Anglais, deux Hollandaises et une Malaisienne. Un homme nous propose un hôtel à dix euros la nuit, et nous acceptons volontiers. Nous montons donc tous dans un minibus en nous disant que, peut-être, nous n’en reviendrons pas. Dans le bus, nous apprenons l’élimination de l’Allemagne en demi-finale de la coupe du monde. Je ne verrai donc pas cette équipe jouer la finale, à Berlin avec Lucia.