Cet article a été publié précédemment sur un libéblog tenu par Jeudi Noir.
Le ministère de la crise du logement a donc tenté un déménagement la semaine dernière. Prévenu depuis plusieurs jours d’une ouverture en cours, j’ai été appelé en urgence mercredi dernier, le vigile du bâtiment ayant finalement découvert la présence de plusieurs personnes dans le bâtiment qu’il était censé surveiller.
Etant à proximité du boulevard Malesherbes, je suis sans doute arrivé dans les premiers parmi les soutiens. Le vigile était encore sur place, un peu affolé de s’être fait déborder de la sorte, essayant de prévenir son patron et la police. Pendant que de nombreux autres soutiens arrivaient, faisant passer les occupants d’une dizaine à plus de 160, j’eu le temps de visiter le bâtiment, ou plutôt les trois bâtiments de la parcelle, totalisant 2800 m2 vide depuis trois ans. Au dernier étage des anciens bureaux du journal La Vie, à l’abri des velléités de rondes du gardien, les pièces sont déjà transformées en chambres. Ceux qui ont dormi sur place ont déjà installé leurs affaires, et la cuisine a retrouvé sa fonction initiale, ses casseroles et les assiettes sales. Au rez-de-chaussée, on trouve encore des tags et graffiti d’un squat précédent, qui seront soigneusement filmés par la police après notre expulsion.
Très vite, on sent en effet que l’expulsion se prépare. Bien sûr, la loi nous protège et notre expulsion serait illégale: au-delà de 48 heures de présence dans un bâtiment vide, ce dernier devient juridiquement le domicile des occupants et ne peut donc être expulsé sans décision de justice. Mais ce qui préoccupe la police aujourd’hui, ce n’est pas la légalité d’une opération mais sa médiatisation. Avec seulement une ou deux caméras de chaînes de la TNT, c’était perdu d’avance.
A chaque entrée du bâtiment, quatre policiers se tiennent presque au garde-à-vous, et interdisent toute entrée. Les soutiens qui continuent à arriver, militants du DAL et de Jeudi Noir, ou politiques -NPA, PG, PCF, PS, Verts, PRG, MoDem- se regroupent donc sur le trottoir et scandent avec nous les slogans du droit au logement.
Pendant que Jean-Baptiste Eyraud sort « négocier » avec les forces de l’ordre, on s’active à l’intérieur, d’une part pour accrocher les banderoles sur la rue, d’autre part pour ranger les affaires, se préparer à l’expulsion. On essaye de renforcer les portes, histoire de ralentir la progression de la police, on se montre sur le toit… C’est une longue période, un peu angoissante, en attendant que passe l’heure du journal télévisé. Enfin, à 20h35 très exactement, arrive la première colonne de la police. Nos gardiens, en bas, ont maintenant leurs casques accrochés à la ceinture.
Pendant que la police se met en formation et que le commissaire annonce officiellement la décision d’expulser, nos soutiens extérieurs se mettent en groupe devant la porte pour la protéger. Ils sont évidemment rapidement délogés de là. D’en haut, on ne voit qu’un rang de policiers poussant fermement mais calmement derrière leurs boucliers, mais en-dessous, les « chaussettes à clous » s’activent, procurant bleus et hématomes aux tibias. Malheur, bien entendu, à celui qui essaierait de répliquer.
La grande porte cochère en bois massif avait beau nous paraitre solide, deux coups de béliers suffisent à l’ouvrir. Dans le premier bâtiment, occupé principalement par les militants de Jeudi Noir, les pandores s’écartent poliment dans l’escalier, pour nous laisser sortir avec nos affaires. On aperçoit quand même l’un d’entre-eux monter, avec sur le dos tout l’outillage nécessaire, pied-de-biche, pince coupante, masse… Aimablement guidés vers la sortie, nous les remercions de leur visite; les invitants pour la prochaine…
C’est en sortant sur le trottoir qu’on se rend compte du partage des tâches: comme il ne reste plus dans le bâtiment que les familles du DAL, c’est la gendarmerie mobile qui entre. Alors que la police s’était montrée relativement courtoise, casquée mais gardant le tonfa à la ceinture, la gendarmerie entre directement avec les lance-grenades à la main. Que ne ferait-on pas pour amuser les enfants?
Le regroupement se fait enfin avec nos soutiens extérieurs, gentiment encagés contre le mur de l’immeuble. Après quelques hésitations sur la direction à prendre, qui nous permettent de jouer à « un, deux, trois…soleil » entre les policiers, on nous guide vers la station de métro la plus proche, bloquant la circulation et réveillant un peu le quartier par nos slogans.
Militant à Jeudi Noir depuis un peu plus d’un an, c’était la première expulsion à laquelle j’étais confronté. Venu comme soutien, je n’étais pas directement concerné, et nous avons eu le temps de nous préparer au départ. Alors que les forces de l’ordre n’ont pas fait preuve de plus de violence que nécessaire -il n’y a pas eu d’incident particulier- cette expulsion laisse un goût amer. Au delà de son aspect illégal, se voir chasser ainsi d’un bâtiment est une violence psychologique intense. Je n’ose pas imaginer l’effet de se faire réveiller à 6 heures du matin avec les CRS dans sa chambre, quand c’est son domicile de plusieurs mois, voire de plusieurs années, que l’on doit quitter dans ces conditions.
Parmi les familles qui devaient habiter dans l’immeuble, s’en trouve une déjà expulsée qui vit à l’hôtel depuis l’été dernier. L’Etat dépense 3000 euros tous les mois pour mettre dans une chambre d’hôtel cette mère et ses trois enfants. Ils ont bien entendu interdiction de faire de la cuisine « chez eux » et sont donc contraints de manger froid ou au restaurant. Il serait infiniment moins coûteux pour l’Etat de l’aider à payer son loyer, ce qui contenterait le propriétaire et éviterait le traumatisme des enfants.
Samedi 13 mars ont lieu dans toute la France des manifestations contre la fin de la trêve hivernale.