On a vu que les pouvoirs de Police que le maire tire de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales ne lui permet de réquisitionner des locaux vacants qu’en cas d’urgence. La crise du logement étant tout ce qu’il y a de plus habituelle, le maire ne peut se substituer à la procédure normale de réquisition. A l’époque où le Conseil d’État se prononce, il n’y a pas de doute possible, la procédure normale c’est celle de l’Ordonnance de 1945. Depuis 14 ans, s’y est ajouté la Loi de 1998. Les deux textes ont évidemment des histoires et des effets qui n’ont rien à voir. Mais, au-delà des circonstances de leurs adoptions, quelles sont donc ces différences ?
Précisons tout d’abord que ces deux textes ne sont plus employés sous ces dénominations là. Ils ont tous deux été intégrés dans le code de la construction et de l’habitation, les articles L. 641-1 à L. 641-14 pour l’ordonnance de 1945 et les articles L. 642-1 à L. 642-28 pour la Loi de 1998. La codification est peut-être bien pratique, mais fait perdre un peu la poésie et l’histoire de notre droit. Pour ma part, je continuerai à nommer ces textes par leurs noms de baptêmes, ça évitera de se perdre dans les numéros d’articles.
L’ordonnance du 11 octobre 1945 a donc été prise au sortir de la seconde guerre mondiale. Au passage, pour mon ami Benoist qui a tendance à qualifier de Soviétique tout ce qui ne lui plait pas, le 11 octobre, c’est sous la présidence du général de Gaulle, avant l’élection de la première assemblée constituante qui a vu la victoire massive de la gauche. Le gouvernement, nommé par De Gaulle forcément sans contrôle d’une assemblée, comprenait alors 22 ministres, dont seulement 2 communistes et 5 SFIO. Ce n’est que plus d’un mois après l’ordonnance qu’entrera en fonction le gouvernement tripartite (MRP, SFIO, PCF).
Destruction de guerre oblige, ce texte permet à peu près tout. Pour en faire bénéficier « les personnes dépourvues de logement ou logées dans des conditions manifestement insuffisantes » et également « les personnes à l’encontre desquelles une décision judiciaire définitive ordonnant leur expulsion est intervenue » (et donc la plupart des squatteurs), les réquisitions peuvent concerner les logements vacants, bien sûr, mais aussi tous les locaux, vacants, inhabités ou insuffisamment occupés. Pour l’ordonnance, sont considérés comme vacants tous les locaux vides depuis plus de six mois, mais également toutes les résidences secondaires. Il est possible par ailleurs de réquisitionner, pièce par pièce, un logement que vous ne seriez pas assez nombreux à occuper. Si vous vivez à deux dans un cinq pièce, la préfecture peut vous imposer d’accueillir un mal-logé chez vous. Un seul, vous avez malgré tout droit à deux pièces « vides ».
Si dans l’écriture de la loi, rien n’empêche d’utiliser aujourd’hui ces dispositions, il est évident qu’en pratique, elles ne sauraient être utilisée qu’exceptionnellement, dans des circonstances très particulières nécessitant des relogements soudains et massifs. Autrement, elles courraient le risque d’être annulées par la justice, non pas pour l’atteinte à la propriété, mais pour l’atteinte au domicile, principe supérieur. D’autres dispositions, toujours officiellement valables, ne sont plus appliquées depuis longtemps : je crois que personne n’écrit à la mairie pour préciser le nombre de pièce dont il dispose chez lui.
Du reste, les derniers exemples de réquisition utilisant cette ordonnance de 1945, sous le gouvernement de Juppé, ne concernaient que des locaux entièrement à l’abandon depuis plusieurs années. Et aucune association, aucun collectif, ne demande aujourd’hui des « colocations forcées », ni même la réquisition de résidence secondaire. Il y a suffisamment à faire avec les biens vides. Et puis, contrairement à ce que certains voudraient faire croire, le droit, mais pas seulement celui de propriété, compte aussi pour nous.
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