La prison des Baumettes, à Marseille, fait encore un peu parler d’elle. Le contrôleur général des lieux de privations de liberté a utilisé une procédure d’urgence pour demander au gouvernement de répondre à ses observations. Le contrôle a « fait apparaître, sans aucun doute, une violation grave des droits fondamentaux, notamment au regard de l’obligation incombant aux autorités publiques (…) de préserver les personnes détenues de tout traitement inhumain et dégradant. » La situation n’est pas nouvelle, comme le rappelle l’avocat Gilles Devers.
Mais, alors que de tels manquements aux règles de droit devraient faire la une des journaux, tout le monde (ou presque) s’en fout. Après tout, ce ne sont que des prisonniers, ils n’avaient qu’à être honnête comme tout le monde ! Alors que la majorité des détenus n’ont même pas dû être jugés…
On retrouve cette situation où l’État se met hors-la-loi, au nom de l’ordre et la sécurité, dans bien d’autres situations.
Je ne me considère pas comme totalement angélique, non. Sans parler d’une société de justice « idéale », car toute le monde à sa vision de la justice (et celle de l’IPJ, par exemple, n’est pas la même que la mienne), j’ai le sentiment que l’État de droit recule en France, non pas du fait des délinquants, mais du fait de l’État lui-même.
Après, le droit a toujours fait que les puissants étaient mieux protégés que les faibles. Mais au moins il était respecté.
Je n’ai pas d’exemples généraux, je ne suis pas juriste et ne suis pas la situation d’assez près. En revanche, je connais (très) bien la situation des squats à Paris, par expérience personnelle ou pour avoir fait des recherches sur les années précédentes. Le squat est de plus en plus souvent traité comme une infraction pénale qu’il n’est pas, les expulsions policières illégales se multiplient. Les policiers vont jusqu’à expliquer aux propriétaires qu’ils n’ont qu’à dire être passé la veille dans le bâtiment pour obtenir l’expulsion, quand bien même les squatteurs sont dans le bâtiment depuis plusieurs semaines.
Des expulsions en violation de la trêve hivernale se font de plus en plus souvent, alors que la trêve hivernale s’applique aux squatteurs, sauf décision motivée du juge. Sans qu’il y ait de relogement, en violation de la loi là encore. Pourtant, l’hébergement est un droit fondamental, reconnu comme tel par le Conseil d’État, et l’État justement se fait régulièrement condamné sur le sujet. Mais la part de sans-abris capable de rédiger un référé-liberté sur le trottoir est assez faible. Les CRS vont jusqu’à suivre les groupes délogés pour les empêcher de se réinstaller ailleurs, et les contraindre à rester à la rue.
Ce ne sont pas des bavures ponctuelles, commises par des fonctionnaires sous le coup du stress, mais c’est une politique qui est validée au plus haut niveau de l’État. (Des témoignages crédibles font état d’intervention du cabinet du premier ministre pour ordonner de telles expulsions).
En agissant ainsi contre le droit, l’État détruit par lui-même ce qui le fonde. Il ne faut pas s’étonner alors que d’aucuns cherchent à se faire justice eux-mêmes, comme à Marseille. Et ils auraient bien tort de s’en priver, de leurs points de vue, puisqu’on traite plus durement l’occupation sans droit ni titre que les violences et les violations de domiciles, quand ce sont des Roms les victimes.
Ces phénomènes ont certes toujours existé, mais ils étaient ne serait-ce qu’il y a dix ans, marginaux. Aujourd’hui, ils deviennent la norme. Ce qui pose d’autres problèmes, car les squats doublaient très efficacement les hébergements d’urgence, et la guerre aux squats se traduit par un engorgement encore plus important des structures officielles.
Alors que pas mal de squatteurs espéraient que l’arrivée de la gauche au pouvoir marquerait, non pas une tolérance des squats, mais un simple retour au respect de la loi, Manuel Vals a considérablement amplifié le mouvement. En toute illégalité.
Voilà ce qui m’inquiète et me fait dire qu’on passe d’une société de justice à une société d’ordre : la justice expulsait, mais permettait aux squatteurs de se défendre, en laissant le temps d’une occupation temporaire. Au nom d’un ordre moral, on expulse maintenant en violation flagrante de la loi. Sans que la justice ne réagisse énormément.
Pourtant, il existe un squat à Paris, dont la justice a ordonné l’expulsion il y a plus de 35 ans. A vrai dire, la prise du squat constituait vraisemblablement le délit de violation de domicile (au moins) compte tenu des circonstances particulières. L’État a même été condamné il y a 25 ans à payer des indemnités à l’affectataire légal, pour ne pas avoir expulsé. Pour ce bâtiment seul, la jurisprudence Couitéas existe, exécuter les décisions de justice n’est pas obligatoire.
Les catholiques intégristes squatteurs de Saint-Nicolas du Chardonnet vous saluent bien.