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Une décision surprenante

Cet article a été publié précédemment sur un libéblog tenu par Jeudi Noir.

Les habitants de la Marquise, l’immeuble réquisitionné de la place des Vosges, ont donc été condamnés en appel vendredi, à être expulsés, mais aussi à payer 8 000€ par mois d’occupation. La dette, fortement réduite il est vrai par rapport à la première instance, ne s’élève donc plus qu’à 90 000€.

Le collectif Jeudi Noir pratique la désobéissance civile, et, même si la Cour d’appel de Paris avait d’autres possibilités, la décision d’expulsion en tant que telle n’est pas une vraie surprise: si la loi prévoit bien la réquisition des logements vacants, sans même attendre quarante-cinq ans, c’est bien entendu dans les textes une prérogative réservée à l’Etat. Aux préfets pour être précis.

Mais il y a dans l’arrêt rendu le 22 octobre de vraies raisons d’être surpris, tant ce dernier marque un durcissement clair par rapport à la jurisprudence habituelle.

D’abord, un petit point sur la nature de la décision: les habitants de la Marquise ont été assignés en référé, c’est à dire en urgence. Ce type de procédure est réservé à un certain nombre de situations précises, caractérisées par un trouble manifestement illicite. Les décisions prises en référé sont exécutoires de droit, ce qui signifie que l’appel n’est pas suspensif, et n’ont pas la valeur de la chose jugée. Ainsi,  on peut toujours demander à être juger «sur le fond» même après le rendu de la décision. C’est donc une voie secours possible en ce qui concerne les 90.000 euros que doivent encore les habitants.

En outre, plusieurs juridictions différentes ont estimé1 que, lorsque le droit de propriété n’était pas exercé, la seule occupation ne constituait pas un trouble à l’ordre public et que la procédure de référé ne pouvait être utilisée. Une décision semblable nous aurait permis de gagner du temps avant l’expulsion. Pour autant, la Cour de cassation ayant récemment rendu une décision contraire [2], il y avait somme toute peu de chance que le référé soit abandonné.

La Cour d’appel aurait pu également décider que le droit de propriété —défini par l’article 544 du code civil comme étant «le droit de jouir et de disposer des choses» —ne semble pas remis en question par la présence de personnes dans les lieux puisque la propriétaire n’utilise pas ce bien et ne justifie d’aucun projet immédiat, et partant de ce constat de ne pas ordonner l’expulsion, comme l’a fait un tribunal de Lyon[3].

La jurisprudence la plus classique [4] constate la compétence du référé et ordonne l’expulsion, mais accorde des délais parfois très importants, y compris en appel. Le record en la matière (à notre connaissance) étant un délai de neuf mois accordé après déjà 18 mois d’occupation. Le plus souvent, c’est un délai prévu par l’article 62 de la loi du 9 juillet 1991 qui s’applique.

Dans sa décision de vendredi, la Cour d’appel a supprimé ces délais —pourtant de droit— au motif que nous serions entrés dans les lieux par voie de fait. Là encore, la Cour innove par rapport à la jurisprudence [5]. La voie de fait, issue du droit administratif, n’est pas définie dans le code civil. Il s’agit d’une atteinte violente à une situation légitime. Dans les situations de squat, la justice est attentive à la manière dont s’est déroulée l’entrée dans les lieux ; l’effraction constituant une violence. Or, non seulement les huissiers mandatés par les représentants de la propriétaire n’ont constaté aucune effraction lors de leurs visites des 1er et 5 novembre 2009, mais le rapport de police établi le même jour à la demande du parquet de Paris atteste qu’il n’y a pas eu effraction. A juste titre. Aussi difficile à croire que ça puisse être, nous sommes entrés en poussant simplement la double porte cochère de la rue de Birague, qui n’était pas fermée à clef. Dans ces conditions, il est extrêmement surprenant de parler de voie de fait qui, non seulement permet de supprimer le délai de deux mois de l’article 62, mais également le bénéfice de la trêve hivernale.

Le dernier point, et probablement le plus révoltant de l’arrêt, concerne les indemnités. Bien entendu, on peut voir le côté optimiste de la chose: les avocats de la propriétaire demandant pas moins de 1.200.000 € pour l’année d’occupation, une dette inférieure à 100.000 € est finalement plutôt clémente. Rappelons que, n’étant aucunement en faute vis-à-vis de l’Etat (ce qui relèverait du pénal), cette somme correspond à une indemnité due à la propriétaire du bâtiment. Si les amendes sont là pour sanctionner une faute, les indemnités doivent répondre à un préjudice. Reste une troisième catégorie, l’astreinte, qui est une condamnation au versement de sommes destinées à respecter au plus vite l’exécution du jugement. Dans notre cas, la partie adverse demandait ainsi, en plus de l’indemnité, 1.500 € par jour à compter du rendu de la décision, si nous ne quittions pas les lieux.

Première curiosité: la juge de première instance nous avait condamnés à 3.400€ par mois depuis l’entrée dans les lieux jusqu’à l’expiration du délai de huit jours qu’elle avait également fixé. Au-delà, l’indemnité passait à 25.000 € (par mois toujours). La Cour d’appel a confirmé ce principe d’indemnité évolutive, même si elle l’a réduite à 8.000€ mensuels pour la deuxième période. En revanche, aucune astreinte n’était ordonnée, malgré les demandes des avocats de la propriétaire. En admettant même le principe d’un préjudice, on voit mal en quoi celui-ci augmenterait brutalement huit jours après une décision de justice, en dehors de tout autre élément. Que le préjudice s’aggrave avec la persistance de l’occupation se traduit par une augmentation du montant total, puisque l’indemnité est mensuelle. L’augmentation du montant de l’indemnité devrait donc être justifiée par un préjudice nouveau venant se rajouter au premier. C’est pourquoi le passage subit de 3.400 à 8.000 € s’apparente davantage à une astreinte dissimulée: l’intérêt est qu’une astreinte doit obligatoirement passer devant le juge de l’exécution des peines, tandis que l’indemnité est exigible immédiatement. D’une certaine manière, les avocats de la propriétaire l’avaient bien compris, puisque l’un d’entre eux a déclaré dans sa plaidoirie que 25.000 € n’étaient pas assez dissuasifs, oubliant ainsi que c’est le rôle de l’astreinte, d’être dissuasive, et non pas celui de l’indemnité.

Quant à savoir si 25.000 € par mois, ne sont pas assez dissuasifs, en fait, ils le sont beaucoup trop: le montant est tellement supérieur aux capacités financières des habitants qu’ils ne pourront jamais le payer, alors qu’un montant en rapport avec leurs revenus pourrait effectivement être exigé.

La question de base est donc celle d’un préjudice. Tout court. A suivre…

1) TGI Paris, 4/09/1997 ; CA Versailles, 16/04/2008 ; CAA Versailles, 15/07/2009.
2) CASS, 20/01/2010.

3) TGI Lyon, 16/11/2009.

4) CA Paris, 17/10/1997 ; CA Paris, 01/09/2005 ; CA Paris, 17/02/2006 ; CA Paris, 15/06/2007.

5) TGI Lyon, 28/04/2003 ; TGI Paris, 21/10/2004 ; TGI Lyon, 25/10/2004 ; TI Paris 11, 20/10/2006 ; TI Villeurbanne, 08/12/2009 ; TI Villeurbanne, 07/01/2010.

11 juillet, 10h, Berlin Bethanien

Il n’y avait qu’une place de libre dans le compartiment de six couchettes. Moi qui avais pris l’habitude de voyager seul ou presque dans des espaces de deux lits, je me sens un peu à l’étroit. Assommé par le sommeil, et un peu par la couchette du dessus, je sombre dans le sommeil rapidement. Un couple avec un enfant qui doit avoir un an voyage avec nous. Ils se confondent en excuse sur le bruit qu’il pourrait faire, recommencent après coup à l’arrivée. En fait, l’enfant est très calme, et vu l’état de mon nez, j’ai probablement du les déranger davantage avec mes ronflements.

Après quelques échanges téléphoniques, et vue le nombre de gare à Berlin, nous décidons de nous donner rendez-vous à Alexander Platz. Consciencieux je descends donc à Hauptbahnhof et je m’enfonce dans les profondeurs de la gare. Le bâtiment est gigantesque. Il y a là deux séries de voies qui se coupent plus ou moins à angle droit, à des niveaux différents bien entendu, séparés par quelques étages de commerces. Mon train est arrivé au niveau le plus élevé, sous une verrière aux allures de cathédrales, et on y a une vue plongeante. En bon Parisien, je cherche dans les sous-sols l’accès au métro qui m’emmènera à Alexander Platz. Je me retrouve vite perplexe, avec une seul ligne et deux stations desservies. En fait, le métro est encore en construction et ne rejoindra Alexander Platz que dans une dizaine d’année. Un peu tard pour le colloque Rosa Luxemburg. Finalement, il me faut prendre le S-Bahn au niveau supérieur, sur mon quai d’arrivée, pour rejoindre le lieu de rendez-vous.

Et forcément, Alexander Platz, c’est grand. Je fais le tour des points de rendez-vous possible, la tour de télévision, l’horloge tournante… Pour finalement qu’on se retrouve au McDo du coin. Après un rapide petit déjeuné (Ailleurs, nous n’avons quand même pas pris de BigMac.) nous partons rejoindre l’Exrotaprint, lieu géré par la fondation Rosa Luxemburg où a lieu la conférence sur la gentrification. Margaux, qui va parler au nom de Jeudi Noir, découvre les autres intervenants : un photographe ancien SDF à New-York, et un député de la Knesset. Connaissant les positions de Margaux sur le conflit Israelo-palestinien, j’ai un peu peur qu’elle aborde le sujet et créée le scandale, les allemands étant en plus un peu chatouilleux sur le sujet. En fait, je suis plutôt surpris ; même si elle bout à certains moments, surtout quand l’autre parle de la minorité arabe de Jaffa, même si je ne peux m’empêcher de lui faire les gros yeux, son discours reste toujours très mesuré. Pour le coup, de toute la conférence j’aurai pu dire la même chose qu’elle. Quand on connaît nos divergences politiques, ça s’apparente à une prouesse. La seule différence est au niveau du vocabulaire, car si le fond reste purement Jeudi Noir, la forme est celle d’une trotskiste révolutionnaire. Quand elle prononce « la Lutte continue », elle met une telle majuscule à Lutte que s’en est touchant.

Finalement, le discours du New-Yorkais est le plus intéressant, en tout cas pour moi qui connais par cœur celui de Margaux-Jeudi Noir. C’est assez hallucinant de l’entendre raconter les squats des immeubles MorganChase, et surtout les réactions – positives – des policiers.

Après un rapide repas pris sur place, on se retrouve avec Laetitia, Margaux et Nabila pour suivre la visite du quartier. Autant pour rester ensemble que parce que ça nous semble plus intéressant que des débats à l’intérieur du bâtiment. Malheureusement, cette visite commence par un débat au pied du bâtiment, où l’on nous présente des photos des bars du coin avant et après gentrification. Avec un sentiment de « c’était mieux avant » généralisé, la visite est assez décevante. Pourtant la question se pose réellement.

Le séminaire se termine par une manifestation, retour à Alexander Platz. Comme je ne peux le laisser à Exrotaprint où nous ne retournerons pas, je trimbale à nouveau mon sac de trois semaines. Découragé, je le laisse en consigne à la station de métro, moyennant quatre euros. La manifestation, organisée en fait totalement en dehors du séminaire, proteste contre Mediaspree, opérateur immobilier qui transforme un bon quart des rives de Berlin. Un projet équivalent à Paris serait l’ensemble de l’opération Paris Rive Gauche, et j e me demande s’il y a jamais eu une opposition aussi structurée que ce que je vois là.

La fatigue se faisant sentir dans notre humeur – Il y avait une fête dans le squat accueillant les filles, ce qui bien sur n’est pas le meilleur moyen de se reposer d’une nuit de bus – Margaux, Laetitia et moi-même laissons Nabila qui souhaite continuer à profiter de l’ambiance festive de la manifestation, et nous rentrons à Bethanien, gigantesque squat dans un ancien hôpital de Kreuzberg. En fait, nous avons quelques scrupules, car les allemands ont d’abord acceptés de loger trois filles pour une nuit, et j’arrive maintenant en surplus, pour rester quelques jours, avant d’être remplacé par une cinquième personne… Heureusement que nous avons quelques contacts et que le bâtiment est grand. On nous trouve une place dans la chambre d’ami d’une « colocation » de cinq personnes. Honnêtement, un tel accueil serait très difficile à la Marquise. D’abord pour des raisons pratiques, nous n’avons que très peu d’espace libre en capacité de loger des gens, même temporairement. Mais surtout pour des raisons juridique : ils ont une stabilité qui leur donne plus d’assurance. Il n’y a en réalité pas de squat à Berlin, en tout cas pas au sens où on l’entend en France. Dans les années 90, la municipalité de Berlin a régularisé plus de trois cents lieux avec des contrats d’occupations de dix ou vingt ans. Avec cette stabilité garantie, les occupants ont pu se consacrer à de nombreuses tâches sociales et artistiques. En contrepartie, il est devenu très difficile d’ouvrir de nouveaux lieux, la police expulsant sans ménagement. Et l’échéance des accords implique que les propriétaires essayent de récupérer leurs biens pour profiter de la gentrification en faisant d’immense plus-value. C’est que les prix de l’immobilier sont six fois moins chers qu’à Paris.

Notre logement ne posant plus de problème, nous profitons d’une nouvelle soirée organisée à Bethanien en commandant une bière, elle aussi bien moins cher qu’à Paris : la bière la plus chère est à un euro cinquante le demi. Demi allemand de cinquante centilitre. Nous sortons diner rapidement tous les trois et revenons prendre une dernière bière avant de nous coucher. Assis au comptoir, Margaux et moi nous regardons rapidement : ce soir, nous sommes incapables de finir notre premier litre de bière, et nous abandonnons nos bouteilles entamées. Comme il n’y a qu’une seule clef, Laetitia monte nous mettre au lit avant de redescendre vérifier l’homosexualité d’un des garçons qui sert au bar.

Malgré la chaleur étouffante dans la chambre, nous nous endormons rapidement et sommes à peine réveillés par le retour de Laetitia. Finalement, mon portable vibre qui nous réveille. C’est le signal, Nabila souhaite qu’on lui ouvre la porte. On l’attendait en fin de soirée, le portable marque neuf heures trente, qu’importe. Je le coupe et descend lui ouvrir.

Personne. Je rouvre la première porte, monte au premier étage, ouvre la deuxième porte, monte encore deux étages, ouvre la troisième porte et entre enfin dans l’appartement. Malgré tout, les squats se protègent. Un peu énervé, je rappelle Nabila (Oui, j’avais laissé mon téléphone en haut) pour lui dire que je l’attends. Et je redescends.

Après quand même quelques instants, Nabila, qui s’était éloignée pour prendre un café et fumer une clope, revient. Elle doit sentir que je suis énervé. Je lui explique qu’on aurait bien aimé avoir de ses nouvelles, savoir ce qu’elle faisait de sa nuit, ne pas s’inquiéter… On se pose sur un banc dans le parc, désert, il n’y a que de la végétation autour de nous, et on discute. Elle me raconte sa nuit, qu’elle a suivi un français de la conférence dans un bar où ils passaient de la musique algérienne, qu’elle a dansé, longtemps, que les gens ont vu qu’elle était Algérienne à sa manière de danser, qu’elle a pu parler Arabe – Ah, le plaisir de parler une langue qu’on n’a pas employé depuis longtemps – Je la regarde, je l’écoute, je la dévore des yeux. Elle est tout ce que je veux être : libre, décomplexée, enjouée. Elle est exubérante, elle est extravertie. On ne peut pas ne pas la voir, par sa beauté, mais surtout par son caractère. Et sa nuit continue, après le bar algérien, elle est allée dans un squat punk, pour danser, toujours. Soudain je l’embrasse. En fait, je pose un baiser sur ses lèvres. Elle à l’air surprise : « Tu as envie de m’embrasser ? » Alors on s’enlace. Et c’est merveilleux. Disons le tout de suite, il n’y a rien de sexuel là dedans. Je ne sortirai plus avec elle, et je le sais. Mais justement. Quand j’ai couché avec elle, quand nous avons fait l’amour comme elle me reprend, il y avait l’attrait de la nouveauté – pour moi – il y avait les aspects techniques, il y avait mes questions. Tout ne se résout pas en une seule fois.

Tandis que là, il n’y a que nous deux, une plénitude. Rien n’existe plus, même pas l’avenir, la seconde suivante. On reste assis côte à côte, le corps tourné, dans les bras l’un de l’autre. Elle a le goût du sel, de sa sueur, elle a dansé toute la nuit. Elle est sale, d’ailleurs je vois les traces noires de sa sueur le long de ses cuisses. Mais qu’importe, j’ai les mains dans son dos, dans sa nuque, dans ses cheveux, et elle m’enserre.

Et puis, il a fallu remonter. Elle est partie se coucher, Laetitia et Margaux ne sont pas encore levées. Dans la cuisine d’un appartement où tout le monde dort encore, j’écris mon carnet, un carnet de voyage.

Une expulsion ordinaire

Cet article a été publié précédemment sur un libéblog tenu par Jeudi Noir.

Le ministère de la crise du logement a donc tenté un déménagement la semaine dernière. Prévenu depuis plusieurs jours d’une ouverture en cours, j’ai été appelé en urgence mercredi dernier, le vigile du bâtiment ayant finalement découvert la présence de plusieurs personnes dans le bâtiment qu’il était censé surveiller.

Etant à proximité du boulevard Malesherbes, je suis sans doute arrivé dans les premiers parmi les soutiens. Le vigile était encore sur place, un peu affolé de s’être fait déborder de la sorte, essayant de prévenir son patron et la police. Pendant que de nombreux autres soutiens arrivaient, faisant passer les occupants d’une dizaine à plus de 160, j’eu le temps de visiter le bâtiment, ou plutôt les trois bâtiments de la parcelle, totalisant 2800 m2 vide depuis trois ans. Au dernier étage des anciens bureaux du journal La Vie, à l’abri des velléités de rondes du gardien, les pièces sont déjà transformées en chambres. Ceux qui  ont dormi sur place ont déjà installé leurs affaires, et la cuisine a retrouvé sa fonction initiale, ses casseroles et les assiettes sales. Au rez-de-chaussée, on trouve encore des tags et graffiti d’un squat précédent, qui seront soigneusement filmés par la police après notre expulsion.

Très vite, on sent en effet que l’expulsion se prépare. Bien sûr, la loi nous protège et notre expulsion serait illégale: au-delà de 48 heures de présence dans un bâtiment vide, ce dernier devient juridiquement le domicile des occupants et ne peut donc être expulsé sans décision de justice. Mais ce qui préoccupe la police aujourd’hui, ce n’est pas la légalité d’une opération mais sa médiatisation. Avec seulement une ou deux caméras de chaînes de la TNT, c’était perdu d’avance.

A chaque entrée du bâtiment, quatre policiers se tiennent presque au garde-à-vous, et interdisent toute entrée. Les soutiens qui continuent à arriver, militants du DAL et de Jeudi Noir, ou politiques -NPA, PG, PCF, PS, Verts, PRG, MoDem- se regroupent donc sur le trottoir et scandent avec nous les slogans du droit au logement.

Pendant que Jean-Baptiste Eyraud sort « négocier » avec les forces de l’ordre, on s’active à l’intérieur, d’une part pour accrocher les banderoles sur la rue, d’autre part pour ranger les affaires, se préparer à l’expulsion. On essaye de renforcer les portes, histoire de ralentir la progression de la police, on se montre sur le toit… C’est une longue période, un peu angoissante, en attendant que passe l’heure du journal télévisé. Enfin, à 20h35 très exactement, arrive la première colonne de la police. Nos gardiens, en bas, ont maintenant leurs casques accrochés à la ceinture.

Pendant que la police se met en formation et que le commissaire annonce officiellement la décision d’expulser, nos soutiens extérieurs se mettent en groupe devant la porte pour la protéger. Ils sont évidemment rapidement délogés de là. D’en haut, on ne voit qu’un rang de policiers poussant fermement mais calmement derrière leurs boucliers, mais en-dessous, les « chaussettes à clous » s’activent, procurant bleus et hématomes aux tibias. Malheur, bien entendu, à celui qui essaierait de répliquer.

La grande porte cochère en bois massif avait beau nous paraitre solide, deux coups de béliers suffisent à l’ouvrir. Dans le premier bâtiment, occupé principalement par les militants de Jeudi Noir, les pandores s’écartent poliment dans l’escalier, pour nous laisser sortir avec nos affaires. On aperçoit quand même l’un d’entre-eux monter, avec sur le dos tout l’outillage nécessaire, pied-de-biche, pince coupante, masse… Aimablement guidés vers la sortie, nous les remercions de leur visite; les invitants pour la prochaine…

C’est en sortant sur le trottoir qu’on se rend compte du partage des tâches: comme il ne reste plus dans le bâtiment que les familles du DAL, c’est la gendarmerie mobile qui entre. Alors que la police s’était montrée relativement courtoise, casquée mais gardant le tonfa à la ceinture, la gendarmerie entre directement avec les lance-grenades à la main. Que ne ferait-on pas pour amuser les enfants?

Le regroupement se fait enfin avec nos soutiens extérieurs, gentiment encagés contre le mur de l’immeuble. Après quelques hésitations sur la direction à prendre, qui nous permettent de jouer à « un, deux, trois…soleil » entre les policiers, on nous guide vers la station de métro la plus proche, bloquant la circulation et réveillant un peu le quartier par nos slogans.

Militant à Jeudi Noir depuis un peu plus d’un an, c’était la première expulsion à laquelle j’étais confronté. Venu comme soutien, je n’étais pas directement concerné, et nous avons eu le temps de nous préparer au départ. Alors que les forces de l’ordre n’ont pas fait preuve de plus de violence que nécessaire -il n’y a pas eu d’incident particulier- cette expulsion laisse un goût amer. Au delà de son aspect illégal, se voir chasser ainsi d’un bâtiment est une violence psychologique intense. Je n’ose pas imaginer l’effet de se faire réveiller à 6 heures du matin avec les CRS dans sa chambre, quand c’est son domicile de plusieurs mois, voire de plusieurs années, que l’on doit quitter dans ces conditions.

Parmi les familles qui devaient habiter dans l’immeuble, s’en trouve une déjà expulsée qui vit à l’hôtel depuis l’été dernier. L’Etat dépense 3000 euros tous les mois pour mettre dans une chambre d’hôtel cette mère et ses trois enfants. Ils ont bien entendu interdiction de faire de la cuisine « chez eux » et sont donc contraints de manger froid ou au restaurant. Il serait infiniment moins coûteux pour l’Etat de l’aider à payer son loyer, ce qui contenterait le propriétaire et éviterait le traumatisme des enfants.

Samedi 13 mars ont lieu dans toute la France des manifestations contre la fin de la trêve hivernale.

Faire de la place des Vosges un bidonville

Cet article a été publié précédemment sur un libéblog tenu par Jeudi Noir.

La cour de la MarquiseDepuis le 1er décembre 2008, la loi sur le droit au logement opposable est en application:  comme il ne suffit pas d’une loi pour créer des logements, l’État est de plus en plus souvent condamné, au point que le Conseil d’État s’en émeuve. L’État doit ainsi près de 10 millions d’euros, d’après le député UMP Étienne Pinte. Mais comme en fait cette somme passe juste d’une poche à l’autre de l’État, il n’est pas certain que cela accélère les constructions de logements.  Il y a un mois, le Comité de suivi de la loi DALO reprenait à son compte les demandes des associations d’appliquer le droit de réquisition. Il est vrai que ce comité est peuplé de dangereux gauchistes, des parlementaires comme, tiens, le député UMP Étienne Pinte.

Et puis, c’est historique, le Conseil de Paris a apporté son soutien à l’occupation de Jeudi Noir, place des Vosges. Occupation totalement légitime ont-ils dit. Pour comprendre l’évolution, il faut savoir que la mairie de Paris, avec la complicité active de l’État, n’hésitait pas à envoyer la police expulser de manière totalement illégale une occupation identique rue de Candie. Mais c’est vrai que là, il n’y avait pas les caméras de TF1 pour protéger les occupants… On aurait aimé que ce soutien « historique » se prolonge un peu, mais la mairie vient à nouveau d’expulser des habitants d’un immeuble  dans le 19ème arrondissement. Les occupations sont donc totalement légitimes sauf, bien sûr, quand c’est la mairie qui est propriétaire…

Évidemment, la réquisition, qu’elle soit l’œuvre de collectifs comme Jeudi Noir ou celle des préfectures en application de la loi, ne résoudra pas tous les problèmes de logements. Mais, dans l’urgence de la situation, permettre à quelques centaines de personnes de se loger, c’est déjà une victoire. Il y a comme toujours une querelle de chiffres sur le nombre de logements vacants, notamment à Paris. Cependant, même M. Mano, maire adjoint au logement de la mairie de Paris, qu’on ne peut pas suspecter de sympathie pour les squatteurs, donne le chiffre de 16.000 logements vacants1. Toutefois, tant que le secrétaire d’État chargé du logement et de l’urbanisme, M. Apparu, aura peur de transformer la France en URSS, comme il le déclare sur le sujet, on peut douter que des réquisitions aient lieu.

Dans cette situation, les squats sont amenés à se multiplier, malgré les risques juridiques, bien réels. Des huit étudiants d’ores et déjà condamnés à 80.000 euros d’amendes aux 12 sympathisants et voisins de la  place des Vosges, dont certains ignorent encore qu’on leur demande plus de 100.000 euros par mois, les sommes sont sans rapport avec les moyens d’une personne « normale ».

Pourtant, même sur le plan judiciaire, les choses bougent. Ainsi, à Lyon, la justice a débouté le Conseil général qui demandait l’expulsion d’un bidonville. Pour la première fois sans doute, un juge a considéré que lorsqu’un propriétaire n’utilisait pas son bien, l’état de nécessité permettait de s’y installer2. Bien entendu, les conditions de vie en bidonville ou à la rue sont bien plus dures que dans un squat, nous en sommes conscients. Mais justement. Lorsque la société entière manque de logements, on ne peut pas tolérer de laisser à l’abandon des milliers de logements. C’est pour ça que l’on espère que, le 30 décembre, la justice fera de la place des Vosges un bidonville.

[1] L’INSEE en donne 120 000…
[2] C’est, en résumé, le constat que l’usufruit abandonné puisse être transférer aux habitants, tandis que la nue-propriété reste au propriétaire.

Des parpaings en guise de travaux

Cet article a été publié précédemment sur un libéblog tenu par Jeudi Noir.

Les chats de la HarpeLes nouvelles s’enchainent assez rapidement au 24, rue de la Harpe. Après le rendu du jugement du tribunal administratif, nous rendant expulsables le 23 mai sans même examiner toutes les pièces que nous avons présentées1, voilà qu’on vient d’apprendre en surfant sur le web, que le CROUS lançait un appel d’offre de travaux sur le bâtiment. (Les délais sont totalement intenables d’ailleurs, mais bon : le CROUS a laissé ce bâtiment vide pendant quatre ans, il faut bien que les entreprises se bougent un peu pour rattraper le retard…)

Au début, on s’est dit que c’était plutôt une bonne chose, qu’ils allaient enfin faire la résidence pour étudiants handicapés dont ils parlent depuis toutes ces années. Naïvement, on a même pensé que notre présence avait fait accélérer les choses. Et puis on a lu l’appel d’offre…

Désamiantage et curage du bâtiment. C’est le titre. En fait d’amiante, il n’y a que deux pauvres tubes en fibro-ciment qui ne présentent guère de danger pour les habitants. C’est la partie curage, qui est la plus intéressante ; il s’agit seulement de détruire l’intérieur du bâtiment pour le rendre inhabitable : enlever le mobilier, les faux plafonds, cloisons, réseaux divers… Et il y a les parpaings : Fourniture et pose de parpaings creux ép. 10 ou 15 cm – Joints tirés au fer – aux droits de toutes (fenêtres) côté rue et escalier.
Faisant confiance à notre capacité d’escalade, ils veulent tout murer, jusqu’au dernier étage. C’est vrai que s’ils ont une idée pour ce bâtiment, ils n’ont aucun projet précis : pas de programmes, pas d’architecte, pas d’autorisation de travaux…

Même s’ils voulaient loger des étudiants le plus tôt possible, il faudrait deux ans avant le début des véritables travaux. Mais peut-être qu’à sa façon, le CROUS a voulu dénoncer le manque de logement étudiant par cette œuvre d’art monumentale : 500m2 vides et murés de parpaings en plein cœur de Paris ? Ou alors ils sont jaloux du succès de nos chats : les trois habitants félins de la Harpe, qui aiment se prélasser au soleil, font le bonheur des (nombreux) touristes qui les prennent en photos.
Quoiqu’il en soit, alors que Valérie Pécresse demande des financements supplémentaires pour le logement étudiant, elle s’apprête à dépenser des centaines de milliers d’euros pour saccager un bâtiment et le laisser vide encore longtemps…

[1] La juge aurait d’ailleurs pu penser que le CROUS manque d’argent et nous condamner aussi aux 21 000 euros par mois que le CROUS réclamait. Sûr qu’ils auraient été bien employés.)