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11 juillet, 10h, Berlin Bethanien

Il n’y avait qu’une place de libre dans le compartiment de six couchettes. Moi qui avais pris l’habitude de voyager seul ou presque dans des espaces de deux lits, je me sens un peu à l’étroit. Assommé par le sommeil, et un peu par la couchette du dessus, je sombre dans le sommeil rapidement. Un couple avec un enfant qui doit avoir un an voyage avec nous. Ils se confondent en excuse sur le bruit qu’il pourrait faire, recommencent après coup à l’arrivée. En fait, l’enfant est très calme, et vu l’état de mon nez, j’ai probablement du les déranger davantage avec mes ronflements.

Après quelques échanges téléphoniques, et vue le nombre de gare à Berlin, nous décidons de nous donner rendez-vous à Alexander Platz. Consciencieux je descends donc à Hauptbahnhof et je m’enfonce dans les profondeurs de la gare. Le bâtiment est gigantesque. Il y a là deux séries de voies qui se coupent plus ou moins à angle droit, à des niveaux différents bien entendu, séparés par quelques étages de commerces. Mon train est arrivé au niveau le plus élevé, sous une verrière aux allures de cathédrales, et on y a une vue plongeante. En bon Parisien, je cherche dans les sous-sols l’accès au métro qui m’emmènera à Alexander Platz. Je me retrouve vite perplexe, avec une seul ligne et deux stations desservies. En fait, le métro est encore en construction et ne rejoindra Alexander Platz que dans une dizaine d’année. Un peu tard pour le colloque Rosa Luxemburg. Finalement, il me faut prendre le S-Bahn au niveau supérieur, sur mon quai d’arrivée, pour rejoindre le lieu de rendez-vous.

Et forcément, Alexander Platz, c’est grand. Je fais le tour des points de rendez-vous possible, la tour de télévision, l’horloge tournante… Pour finalement qu’on se retrouve au McDo du coin. Après un rapide petit déjeuné (Ailleurs, nous n’avons quand même pas pris de BigMac.) nous partons rejoindre l’Exrotaprint, lieu géré par la fondation Rosa Luxemburg où a lieu la conférence sur la gentrification. Margaux, qui va parler au nom de Jeudi Noir, découvre les autres intervenants : un photographe ancien SDF à New-York, et un député de la Knesset. Connaissant les positions de Margaux sur le conflit Israelo-palestinien, j’ai un peu peur qu’elle aborde le sujet et créée le scandale, les allemands étant en plus un peu chatouilleux sur le sujet. En fait, je suis plutôt surpris ; même si elle bout à certains moments, surtout quand l’autre parle de la minorité arabe de Jaffa, même si je ne peux m’empêcher de lui faire les gros yeux, son discours reste toujours très mesuré. Pour le coup, de toute la conférence j’aurai pu dire la même chose qu’elle. Quand on connaît nos divergences politiques, ça s’apparente à une prouesse. La seule différence est au niveau du vocabulaire, car si le fond reste purement Jeudi Noir, la forme est celle d’une trotskiste révolutionnaire. Quand elle prononce « la Lutte continue », elle met une telle majuscule à Lutte que s’en est touchant.

Finalement, le discours du New-Yorkais est le plus intéressant, en tout cas pour moi qui connais par cœur celui de Margaux-Jeudi Noir. C’est assez hallucinant de l’entendre raconter les squats des immeubles MorganChase, et surtout les réactions – positives – des policiers.

Après un rapide repas pris sur place, on se retrouve avec Laetitia, Margaux et Nabila pour suivre la visite du quartier. Autant pour rester ensemble que parce que ça nous semble plus intéressant que des débats à l’intérieur du bâtiment. Malheureusement, cette visite commence par un débat au pied du bâtiment, où l’on nous présente des photos des bars du coin avant et après gentrification. Avec un sentiment de « c’était mieux avant » généralisé, la visite est assez décevante. Pourtant la question se pose réellement.

Le séminaire se termine par une manifestation, retour à Alexander Platz. Comme je ne peux le laisser à Exrotaprint où nous ne retournerons pas, je trimbale à nouveau mon sac de trois semaines. Découragé, je le laisse en consigne à la station de métro, moyennant quatre euros. La manifestation, organisée en fait totalement en dehors du séminaire, proteste contre Mediaspree, opérateur immobilier qui transforme un bon quart des rives de Berlin. Un projet équivalent à Paris serait l’ensemble de l’opération Paris Rive Gauche, et j e me demande s’il y a jamais eu une opposition aussi structurée que ce que je vois là.

La fatigue se faisant sentir dans notre humeur – Il y avait une fête dans le squat accueillant les filles, ce qui bien sur n’est pas le meilleur moyen de se reposer d’une nuit de bus – Margaux, Laetitia et moi-même laissons Nabila qui souhaite continuer à profiter de l’ambiance festive de la manifestation, et nous rentrons à Bethanien, gigantesque squat dans un ancien hôpital de Kreuzberg. En fait, nous avons quelques scrupules, car les allemands ont d’abord acceptés de loger trois filles pour une nuit, et j’arrive maintenant en surplus, pour rester quelques jours, avant d’être remplacé par une cinquième personne… Heureusement que nous avons quelques contacts et que le bâtiment est grand. On nous trouve une place dans la chambre d’ami d’une « colocation » de cinq personnes. Honnêtement, un tel accueil serait très difficile à la Marquise. D’abord pour des raisons pratiques, nous n’avons que très peu d’espace libre en capacité de loger des gens, même temporairement. Mais surtout pour des raisons juridique : ils ont une stabilité qui leur donne plus d’assurance. Il n’y a en réalité pas de squat à Berlin, en tout cas pas au sens où on l’entend en France. Dans les années 90, la municipalité de Berlin a régularisé plus de trois cents lieux avec des contrats d’occupations de dix ou vingt ans. Avec cette stabilité garantie, les occupants ont pu se consacrer à de nombreuses tâches sociales et artistiques. En contrepartie, il est devenu très difficile d’ouvrir de nouveaux lieux, la police expulsant sans ménagement. Et l’échéance des accords implique que les propriétaires essayent de récupérer leurs biens pour profiter de la gentrification en faisant d’immense plus-value. C’est que les prix de l’immobilier sont six fois moins chers qu’à Paris.

Notre logement ne posant plus de problème, nous profitons d’une nouvelle soirée organisée à Bethanien en commandant une bière, elle aussi bien moins cher qu’à Paris : la bière la plus chère est à un euro cinquante le demi. Demi allemand de cinquante centilitre. Nous sortons diner rapidement tous les trois et revenons prendre une dernière bière avant de nous coucher. Assis au comptoir, Margaux et moi nous regardons rapidement : ce soir, nous sommes incapables de finir notre premier litre de bière, et nous abandonnons nos bouteilles entamées. Comme il n’y a qu’une seule clef, Laetitia monte nous mettre au lit avant de redescendre vérifier l’homosexualité d’un des garçons qui sert au bar.

Malgré la chaleur étouffante dans la chambre, nous nous endormons rapidement et sommes à peine réveillés par le retour de Laetitia. Finalement, mon portable vibre qui nous réveille. C’est le signal, Nabila souhaite qu’on lui ouvre la porte. On l’attendait en fin de soirée, le portable marque neuf heures trente, qu’importe. Je le coupe et descend lui ouvrir.

Personne. Je rouvre la première porte, monte au premier étage, ouvre la deuxième porte, monte encore deux étages, ouvre la troisième porte et entre enfin dans l’appartement. Malgré tout, les squats se protègent. Un peu énervé, je rappelle Nabila (Oui, j’avais laissé mon téléphone en haut) pour lui dire que je l’attends. Et je redescends.

Après quand même quelques instants, Nabila, qui s’était éloignée pour prendre un café et fumer une clope, revient. Elle doit sentir que je suis énervé. Je lui explique qu’on aurait bien aimé avoir de ses nouvelles, savoir ce qu’elle faisait de sa nuit, ne pas s’inquiéter… On se pose sur un banc dans le parc, désert, il n’y a que de la végétation autour de nous, et on discute. Elle me raconte sa nuit, qu’elle a suivi un français de la conférence dans un bar où ils passaient de la musique algérienne, qu’elle a dansé, longtemps, que les gens ont vu qu’elle était Algérienne à sa manière de danser, qu’elle a pu parler Arabe – Ah, le plaisir de parler une langue qu’on n’a pas employé depuis longtemps – Je la regarde, je l’écoute, je la dévore des yeux. Elle est tout ce que je veux être : libre, décomplexée, enjouée. Elle est exubérante, elle est extravertie. On ne peut pas ne pas la voir, par sa beauté, mais surtout par son caractère. Et sa nuit continue, après le bar algérien, elle est allée dans un squat punk, pour danser, toujours. Soudain je l’embrasse. En fait, je pose un baiser sur ses lèvres. Elle à l’air surprise : « Tu as envie de m’embrasser ? » Alors on s’enlace. Et c’est merveilleux. Disons le tout de suite, il n’y a rien de sexuel là dedans. Je ne sortirai plus avec elle, et je le sais. Mais justement. Quand j’ai couché avec elle, quand nous avons fait l’amour comme elle me reprend, il y avait l’attrait de la nouveauté – pour moi – il y avait les aspects techniques, il y avait mes questions. Tout ne se résout pas en une seule fois.

Tandis que là, il n’y a que nous deux, une plénitude. Rien n’existe plus, même pas l’avenir, la seconde suivante. On reste assis côte à côte, le corps tourné, dans les bras l’un de l’autre. Elle a le goût du sel, de sa sueur, elle a dansé toute la nuit. Elle est sale, d’ailleurs je vois les traces noires de sa sueur le long de ses cuisses. Mais qu’importe, j’ai les mains dans son dos, dans sa nuque, dans ses cheveux, et elle m’enserre.

Et puis, il a fallu remonter. Elle est partie se coucher, Laetitia et Margaux ne sont pas encore levées. Dans la cuisine d’un appartement où tout le monde dort encore, j’écris mon carnet, un carnet de voyage.