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Poitiers : la suite

Il fallait s’en douter : la cristallisation des critiques sur l’occupation de la mosquée de Poitiers, au détriment d’une critique plus générale du discours, permet à Marine Le Pen de se payer, ou du moins de tenter de le faire, quelques associations. Dénonçant « l’hystérie » des politiques, elle rappelle quelques occupations d’églises précédentes : église saint-Bernard en 1996, Basilique saint-Denis en 2002. Curieusement, elle ne rappelle pas la toujours actuelle occupation de l’église saint-Nicolas du Chardonnet, plus vieux squat de Paris depuis que la fraternité saint-Pie X en a chassé les occupants légitimes par une action violente, un matin de février 1977.

Pourtant, les occupations auxquelles fait référence Marine Le Pen n’ont rien à voir avec les faits de samedi. D’abord, et dans les deux cas, elles ont été faites en accord avec les curés respectifs des paroisses, le Père Coindé à saint-Bernard, et le Père Berger à saint-Denis. Car n’en déplaise à Marine Le Pen, bon nombre de catholiques savent encore ce que veut dire le mot charité. Ensuite, et surtout, ces actions profitaient certes de la médiatisation liée aux lieux de cultes, mais ne se dressaient pas contre eux. Au contraire, elles leurs rendaient hommage en invoquant ce vieux droit d’asile.

Et l’on retombe toujours sur cette haine raciale. Car on peut être d’accord sur un point avec Mme Le Pen, en elle-même, l’occupation de la mosquée n’est que vétille. C’est le discours tenu lors, et par, cette occupation, qui doit être dénoncé. D’ailleurs, la justice qui vient de mettre en examen quatre des participants ne s’y trompe pas : plus aucune charge liée uniquement à la présence de ces militants dans la mosquée ne pèse contre eux. Il ne reste que : l’organisation d’une manifestation publique n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration préalable dans les conditions fixées par la loi, la provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, par des discours proférés dans un lieu ou réunion publics et par des placards ou affiches exposées au regard du public, et les vol et dégradations de biens commis en réunion et portant sur des tapis de prière appartenant à la mosquée de Poitiers. A ma grande surprise, l’organisation d’une manifestation publique est conservée comme incrimination. Il faudra suivre l’affaire, mais je ne vois pas en quoi le fait de se réunir sur un terrain privé, fut-ce sans l’accord du propriétaire ou de l’affectataire, peut constituer une manifestation relevant du Code de la sécurité intérieure et non de la loi du 30 juin 1881.

Au passage, on notera que les tapis de prières abimés risquent de coûter très cher à ces gens, puisque la dégradation de biens commise en réunion est passible de cinq années de prison, tandis que la provocation publique à la discrimination (etc…) ne peut être sanctionné que d’un an.

L’évolution de cette procédure rend toujours plus incompréhensible l’interpellation de quatre personnes uniquement. Car si seule l’organisation d’une manifestation publique peut être poursuivie, et non la participation, le discours haineux a bien été tenu par tout le groupe, et les faits commis en réunion rendent pénalement responsables l’ensemble des participants. Je sais bien qu’ils ont dû être copieusement filmés par la DCRI et que l’identité de chacun d’eux ne doit pas être un mystère pour la police, mais l’absence même d’une simple vérification d’identité ressemble fort à une marque de sympathie.

Génération Identitaire, Jeudi Noir, quelle différence ?

Ainsi donc, les condamnations sont unanimes après l’occupation du chantier de la mosquée de Poitiers par 70  membres du groupe Génération Identitaire. Trois ou quatre occupants se présentant comme des organisateurs ont été placés en garde à vue.

Occuper un bâtiment ? C’est une technique que je connais bien, la pratiquant (assez) régulièrement. Mais est-ce vraiment ce qui pose problème dans le cas précis ?

Sur bien des points, l’opération d’hier peu paraitre semblable à celles menées par Jeudi Noir ou d’autres : le repérage préalable qu’on imagine, l’entrée nocturne, le choix d’une cible emblématique, et surtout la médiatisation, avec une équipe de journaliste « intégrée » et d’autres prévenues par texto au petit matin. Pourtant, même en dehors du discours haineux qui n’est évidemment pas partagé par Jeudi Noir, les circonstances légales  de l’occupation sont différentes :

L’action de Génération Identitaire n’est pas comparable aux squats ou tentatives de squats telles que celle dont j’ai fait le récit. Le point essentiel dans le cas du squat, c’est la vacance du bâtiment : c’est uniquement cette vacance qui donne la possibilité de s’installer dans la durée, c’est cette vacance qui fait la limite entre la légalité et l’illégalité.

À Poitiers, la mosquée était en chantier, donc non vacante, et juridiquement sous la responsabilité de l’entreprise de construction. La jurisprudence reconnaissant la notion de domicile d’une personne morale, je serais curieux de savoir si elle étend aux chantiers les protections qui bénéficient aux bureaux.

Cette action diffère également des visites d’agences immobilières ou des visites d’appartement que Jeudi Noir pratique également : les agences sont évidemment des lieux ouverts au public, comme tout magasin, et nous ne « visitons » les appartements qu’en profitant des visites organisées par les propriétaires pour louer leurs biens (à des prix prohibitifs, donc). Par ailleurs, dans ces deux cas, nos visites ne durent pas plus d’une heure.

Une dépêche AFP nous précise les faits qui sont reprochés aux trois personnes interpellées : Manifestation non autorisée, provocation à la haine raciale, participation à un groupement en vue de la préparation de dégradation de biens en réunion, vol et dégradation en réunion. L’État voit large dans les qualifications, ce qui risque au final de bénéficier au groupe en cause.

La manifestation non autorisée : c’est le premier point qui pose problème, la loi ne sanctionnant que l’organisation une manifestation « sur la voie publique ». Clairement, le chantier n’est pas une voie publique, et cette qualification sera immanquablement abandonnée rapidement s’il y a des poursuites ultérieures. Paradoxalement, c’est le seul point qui permettait de n’arrêter que les organisateurs, toutes les qualifications suivantes s’appliquant à l’ensemble du groupe.

Participation à un groupement en vue de la préparation de dégradation de biens en réunion : derrière la grandiloquence des termes, il n’y aura probablement rien. Les gens de Génération Identitaire ne sont sans doute pas des imbéciles, et ils auront pris soin de ne pas saccager le chantier. Ne serait-ce que parce qu’ils souhaitent se donner une image respectueuse. Pénétrer dans un chantier et l’occuper sans rien casser ne présente aucune difficulté. Pour information, c’est une qualification souvent retenue contre les squatteurs, car la police estime qu’elle permet d’expulser « en flagrance ». A ma connaissance, sur 4 ou 5 faits ayant donnés lieu à des gardes à vue, seul un a fait l’objet de poursuites, qui se sont soldées par des relaxes. Il y a fort à parier qu’il en sera de même ici sur ce point.

Vol et dégradation en réunion : il s’agit d’une dizaine de tapis de prières déplacés sur le toit et endommagés par la pluie. J’ai du mal à croire qu’ils aient été assez idiots pour déplacer ou abimer des tapis, dans une action où l’intervention de la police était inévitable, mais c’est effectivement un moyen de les poursuivre. Simplement, même en tenant compte de la charge symbolique, est-ce qu’une dizaine de tapis qui ont pris l’eau sont à la hauteur du malaise ressenti devant cette action ?

Reste la provocation à la haine raciale. C’est évidemment l’aspect crucial et le seul qui puisse être sérieusement exploité. Mais sur ce point, ce n’est pas trois ou quatre personnes qu’il fallait interpeller, mais l’ensemble du groupe. Rappelons que lors de la manifestation de musulmans à Paris, c’est la quasi totalité des manifestants qui a été interpellé. Alors même qu’il n’y avait ni vol, ni dégradation !

Faut-il interdire Génération Identitaire, comme le demande une partie de la gauche ? Probablement. Fallait-il  attendre cette occupation ? Bien sur que non. On peut dire ce qu’on veut, mais le discours tenu hier n’est pas une surprise, il est tenu par ce collectif et quelques autres, librement, depuis quelques temps. Ce n’est pas la médiatisation qui fait l’illégalité. Quelle différence y a-t-il entre un groupe qui assume une déclaration de guerre et un autre qui appelle au Jihad ? Il faut reconnaître que certaines déclarations de politiques sont bien guerrières également et participent largement à désinhiber ces discours.

Pour autant, une dissolution de ce groupuscule ne suffira pas. D’une part, parce que ce genre d’action ne nécessite pas de groupe structuré et qu’on ne peut pas empêcher quelques dizaines de personne de se réunir. Une politique de lutte contre les propos et les atteintes racistes devrait être mise en œuvre, et ces derniers largement sanctionnés dès qu’ils ont lieu. Malheureusement, cette lutte qui doit être quotidienne et serait invisible ne semble pas être la priorité des politiques : il suffit de se rappeler l’expulsion forcée des Roms d’un campement à Marseille, qui, au regard de la loi française, était bien plus grave que l’occupation de cette mosquée. Tolérer de faire ne serait-ce que d’un seul groupe de population un bouc émissaire, c’est ouvrir la porte à tous les racismes, c’est faciliter une montée constante de la violence en cette période de crise.