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27 juin, 20h, Paris gare de l’Est

Me voilà parti, ou plus exactement dans un train encore arrêté, à défaut d’être parti. J’ai ce léger sentiment d’angoisse, comme à chaque départ un peu inhabituel. Je me demande comment va se dérouler le voyage, si je n’ai rien oublié d’important. De fait, j’ai déjà oublié une chose importante, pas tant pour le départ que pour le retour. Ce sac poubelle que j’avais amoureusement (!) préparé va donc m’attendre trois semaines, ouvert dans la chaleur de l’été. D’ici à ce que mes voisins préviennent la police en pensant trouver un cadavre…

Notre compartiment sera complet pour onze heures de voyage jusqu’à Munich. Par souci d’économie, par esprit d’aventure aussi, je n’ai pas voulu d’une couchette en prenant le billet, et j’ai maintenant peur que mon siège ne soit pas des plus confortables pour dormir. Je m’attendais à un train moderne en arrivant à la gare, et au milieu des TGV et ICE, se trouvait un vieux train de nuit ressemblant aux Corail qui me ramènent à Caen en weekend. La différence, c’est qu’il y a un gigantesque espace en queue de chaque wagon pour stocker les vélos. On est bien dans un wagon de la Deutsche Bahn.

Je sue à grosses gouttes – ce qui n’est pas très pratique pour écrire – malgré la fenêtre abaissée au maximum. C’est une joie d’ailleurs qu’elle puisse s’ouvrir, même s’il est vrai qu’elle ne nous apporte pas beaucoup d’air : nous sommes encore à petite vitesse dans les triages de la région parisienne. Et puis cette sueur, c’est aussi un peu mon angoisse. Je pars seul, l’amie qui devait m’accompagner m’ayant lâchement abandonnée pour courir le guilledou. Depuis mon voyage au Liban il y a sept ans, je n’étais plus parti dans un long voyage aussi peu préparé. Et encore, au Liban j’étais accompagné, accueilli dans une association, tandis qu’ici je ne sais même pas où je dormirai dans trois jours. Cela fait près d’un an que je n’avais pas quitté la France et, au risque de paraître un bourgeois prétentieux la bouche remplie de ses récits de voyages, encore plus longtemps que je n’avais pas quitté l’Europe. Plus de quatre ans ! Une telle pause ne m’était pas arrivé depuis… En fait, mon premier voyage aux Etats-Unis, quand j’avais dix ans.

Nous longeons ce qui doit être le canal de l’Ourcq.

Je ne suis pas un baroudeur, pas un nomade, pas un migrant. Les voyages pour moi ne sont qu’agrément, jamais travail ni nécessité. Car il faut bien reconnaître que je fais parti – avec mes parents d’abord, puis seul – de ces touristes qui voyagent beaucoup pour découvrir de nouveaux horizons, de nouvelles émotions. De ceux qui dénigrent le tourisme de masse, le Club Med et les transats, et ses effets sur l’environnement. Les plages surpeuplées, les hôtels en béton, très peu pour nous. Parlez-nous d’une petite crique sauvage… En fait, ce qu’on cherche, c’est ce sentiment d’être premier quelque part, d’être privilégié. Sous prétexte de découvrir de nouvelles cultures, c’est une course à l’égoïsme. Et c’est pire que tout, bien sur, car ces paysages sauvages ne le sont que jusqu’à notre arrivée. Nous sommes les précurseurs, l’avant-garde pas du tout éclairée de ces masses que nous critiquons. Il fut un temps peut-être où l’on avait un vrai sentiment de liberté et de nature en arrivant à Palma de Majorque. Je me figure ces touristes (moi inclus), un peu comme des sauterelles forcées d’aller toujours plus loin après avoir dévasté un champ. Après, quand on a bien profité, bien détruit, on peut laisser la place aux autres, ceux qui se contentent des miettes, les moins téméraires, les plus pauvres…

Alors que des paysages superbes, des endroits déserts, qui ne demandent qu’à accueillir un peu plus de touristes, oh, à peine, existent aussi en France. Mais il y a le snobisme. Pour épater vos amis, une destination exotique vaudra certes mieux que le Larzac ou l’Ariège, par exemple. Pourtant, de Paris, c’est aussi loin que, disons, Beyrouth…