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09 juillet, 22h, München Hauptbahnhof

Finalement, il n’y a plus de train direct pour Berlin. En partant après dix-huit heures, il semble que même les ICE arriveraient au milieu de la nuit. Je me rends donc au Reisezentrum de la gare, où ils m’indiquent le train de nuit. Pour dix euros de plus, je prends donc une couchette et arriverait demain à neuf heures à Berlin. En fait, il paraît qu’un idiot s’est suicidé sur les voies et que des trains ont du être annulés. Sans lui, j’aurais pu être à Berlin ce soir.

09 juillet, 9h, Glavni kolodvor Zagreb

Bel effort du train Sarajevo-Zagreb, une seule heure de retard, c’est du jamais vu dans les Balkans. Malheureusement ça n’a pas suffit et j’ai donc manqué ma correspondance. Je me précipite en descendant du train vers le guichet des voyages internationaux pour demander le moyen le plus rapide de rejoindre Berlin. Comme je montre mon pass interrail, je m’entends répondre que je n’ai pas besoin d’acheter de billet et qu’il faut donc que j’aille au guichet information. Le ton pas très aimable disant clairement que je n’avais rien à faire là. Heureusement il y a, placardé partout dans la gare, des affiches qui reprennent la liste des trains de la journée, en fonction des heures de départ. Il n’y a pas de train direct pour Berlin, ce que je savais déjà, et je me concentre sur ceux à destination de Vienne et de Villach, Villach me permettant de rejoindre Munich, puis Berlin. Villach semble être la meilleure solution, et des trains y partent toutes les deux heures. Je vérifie au guichet information que je ne resterai pas bloqué à Munich : tant qu’à passer des heures dans une ville, je préfère visiter Zagreb. Tout va bien, il y a des trains Munich Berlin toutes les heures, et je pars donc l’esprit tranquille. En plus, le train s’arrête d’abord à Ljubljana, destination (provisoire) de ma Malaisienne, et nous avons le temps de partager un café avant le départ. J’essaye aussi désespérément de changer les quelques centaines de dinars serbes qu’il me reste, mais visiblement la monnaie ne vaut rien en dehors du pays. Je pourrais changer sans problèmes des Yens, mais pas les dinars.

La ville de Zagreb ressemble à n’importe quelle ville allemande ou autrichienne. Si le centre de Sarajevo était occidental, les abords l’étaient beaucoup moins. Au buffet de la gare, des écrans plats montrent les beautés du pays. Je remarque surtout une vidéo où l’on voit des gens en costumes pseudo-traditionnels s’agitant autour d’une machine agricole du dix-neuvième siècle. C’est assez troublant de voir ce folklore pour touriste quand les paysans utilisent encore la faux, au moins dans une partie du pays.

Je ne comprends décidément pas comment fonctionne le système de visa. Au moins, je n’ai pas eu de problème à la sortie du territoire bosniaque, le douanier me rendant mon passeport sans un mot. Pareil pour entrer en Croatie, je n’ai droit à aucun tampon, contrairement à mon premier passage. Malgré l’absence d’une preuve d’entrée en territoire croate, j’obtiens une nouvelle trace sur mon passeport à la sortie. Avec la Slovénie, j’entre dans l’Union Européenne, et les ennuis sont terminés. La Malaisienne, elle, se fait tamponner de partout, bien entendu. Elle descend comme prévu à Ljubljana et je continue mon voyage seul. Finalement, nos conversations faisaient passer le temps assez agréablement, en tout cas plus rapidement. La traversée des alpes slovènes et autrichiennes est assez somptueuse. On voit depuis la plaine autour de Ljubljana les montagnes approcher et révéler leurs névés. En Autriche, la voie est à flanc de coteaux, et nous dominons littéralement de plusieurs centaines de mètres un fond de vallée tout plat. Les trains Autrichiens – et même Croates – présentent un confort supérieur, bien sur au reste des Balkans, mais aussi à ceux de la SNCF. On y trouve sur chaque siège un petit dépliant reprenant la liste des arrêts avec les horaires des correspondances. Ils sont extrêmement silencieux, et on y est beaucoup moins secoués surtout en comparaison avec les trains du Sud. Ce silence en devient même désagréable, on a l’impression d’avoir du coton dans les oreilles. Évidemment, leurs fenêtres ne s’ouvrent pas et ils sont climatisés. Je me disais d’ailleurs que, climatisation plus prospectus, tout ça n’était pas très vert.

Une autre chose sur laquelle ÖBB, les chemins de fer autrichiens, écrase la SNCF, c’est leur site Internet. Je l’ai utilisé pendant tout mon voyage pour connaître l’horaire des trains. Ceux de départ du moins. Rien que l’idée de chercher les horaires d’un Belgrade Sarajevo sur le site de la SNCF est assez hilarante.

06 juillet, 19h, Централна железопътна гара София

Cet arrêt là n’était pas prévu. Après deux heures de bus, nous nous sommes retrouvés une cinquantaine de personne en partance pour Bucarest, Sofia, Belgrade, à minuit dans la petite gare de Çerkezköy, à attendre que la locomotive veuille bien se mettre dans le bon sens. Le train se compose de trois wagons, un bulgare, un turc et un roumain. Par chance je suis dans le turc, de loin le plus récent et le plus propre. J’ai un compagnon de voyage, dans notre compartiment de deux. Il doit être Bulgare, en tout cas il descend à Plodviv. Il ne parle pas anglais, mon allemand est par trop insuffisant, et nous nous regardons un peu en chien de faïence, tout en découvrant et manipulant les aménagements de notre compartiment. Nous nous allongeons finalement, moi prenant la couchette du haut, tout en laissant la lumière allumée en attendant la frontière, qui ne doit pas être loin. J’avais une vague espérance qu’en train, le passage de la frontière serait plus rapide qu’en bus. Vaine espérance. Au premier arrêt, nous sommes sommés de descendre du train, et nous patientons une demi-heure pour qu’un douanier tamponne nos passeports. Nous effectuons un second arrêt, toujours turc, où le douanier monte dans le train pour vérifier nos tampons. Nous sommes en règles. Avoir un passeport de l’union européenne facilite quand même grandement le contrôle. Au troisième arrêt, enfin, nous sommes contrôlés par les douaniers bulgares. Ceux-là semblent mieux équipés, avec un ordinateur portable et sa clé Wifi pour effectuer les contrôles et enregistrements nécessaires directement depuis le train. En partant, le douanier demande s’il doit éteindre la lumière. Je suis partant, il n’est jamais que trois heures du matin, mais mon compagnon refuse. Que le diable l’emporte ! S’il peut bénéficier de l’ombre de ma couchette, moi qui suis dessus, je dors, ou plutôt j’essaye, à moins de soixante centimètres des néons. Heureusement il descend à Plodviv, qui ne doit plus être très éloignée… Cette ville ne finira donc jamais par arriver ?

Elle a du arriver, puisque je me réveille à dix heures du matin, seul, l’autre ayant même pris soin de relever sa couchette pour reformer des sièges. J’apprends que, à Sofia, nous aurons sept heures de retard. Il y a aussi quelque chose à propos de nos bagages, mais je ne comprends pas bien. C’est à Sofia que les choses s’éclaircissent : nous avons manqué le train de Belgrade, nous devons patienter huit heures avant le suivant, qui circule de nuit. Unis dans l’adversité, des petits groupes de passagers se forment. Nous errons donc quelque peu pour trouver un endroit où poser nos bagages. Les consignes ne marchant pas, nous profitons donc de la zone normalement réservée à l’envoi de colis. La préposée y a un système de classement aussi strict et sophistiqué qu’abscons pour le profane.

Je ne peux prétendre avoir complètement visité Sofia en quelques heures, mais la ville fait malgré tout plus provinciale que capitale. Le centre se parcours à pied rapidement. Chose intéressante, on trouve la cathédrale, la mosquée et la synagogue, trois bâtiments indépendants, rassemblées autour d’un marché couvert. La Bulgarie n’a rien à envier à la Serbie d’un point de vue développement. Les mêmes usines en ruines, les mêmes wagons de fret en train de rouiller. Dans un virage où nous passions au ralenti, un homme se tenait, portant la tenue des chemins de fer locaux. Il était armé d’une faux, pour couper les herbes hautes.

L’avantage du système de changement par wagon, c’est que nous retrouvons le notre, avec son chef, qui nous attend. Devant être raccroché au train de midi, il le fut au train du soir, et nous n’avons qu’à regagner nos couchettes. Je devais initialement arriver le soir à Belgrade, passer une nuit à l’hôtel et prendre le train de huit heures quinze pour Sarajevo. Le chef de bord m’assure que nous arriverons vers six heures du matin et qu’il n’y aura pas de problème.

05 juillet, 22h, İstanbul Sirkeci Garı

Je comptais profiter du paysage depuis le train en partance d’Istanbul, les voies suivant le Bosphore pendant un certain temps. Las, il faut que je prenne le bus, en raison de travaux, le train ne part qu’à cent vingt-cinq kilomètres de là. Je vais encore aggraver ma toux persistante dans ce bus inutilement climatisé. Les Ottomanes sont belles en diable. Ces peaux brunies par le soleil, qui se dévoilent, des bras, des gorges, des jambes… J’avais au début douté et je cataloguais touriste toute demoiselle courte vêtue. En fait, il y en a bien dans le lot, mais peu. J’avoue que j’ai été surpris par les tenues vestimentaires. Je m’attendais à quelque chose de plus proche de ce que j’avais vu au Liban, dans les quartiers chrétiens. Et je crois bien que c’est ça le truc, Même s’ils paraissent et veulent paraître plus libérés que les Musulmans, les Chrétiens du Liban restent profondément marqués par l’Église – et par la guerre aussi bien sur. Les Turcs, eux, sont indéniablement laïcs, et pour une bonne partie, rebelles, à l’armée, à l’Islam.

Évidemment, sur leurs rebellitudes, je suis très influencé par le forum où les organisations d’extrême gauche doivent être mieux représentées que dans le reste de la société turque. Le rouge est omniprésent, les portraits du Che sont là, mais aussi ceux de Staline, Marx, Mao… J’ai parfois l’impression de ne pas tout à fait être à ma place, en tout cas politiquement. Je me fais expliquer par Annie les pratiques staliniennes pour organiser des assemblées démocratiques, parfois présentes au forum.

Pour la manifestation qui le clôture, nous tâchons de rester entre Français, et surtout de ne pas nous mélanger avec un certain nombre de groupes locaux que l’on nous a signalé comme potentiellement violent. Contrairement à la France, où les « casseurs » se concentrent en fin de cortège, c’est le début qui pose le plus de problème en Turquie. Nous fermons donc la marche, suivi à distance pas très respectueuse par la police et ses canons à eau. Comme tout le trajet se déroule sans incident, je remonte le cortège avec quelques autres, jusqu’aux Kurdes. Les femmes manifestent en foulards blancs et portent les portraits de leurs disparus. Les hommes sont devant, accompagnés sur le coté par une escouade de policiers en tenue anti-émeute. Voilà qui effectivement doit dissuader de causer le moindre trouble.

Si je n’ai finalement pas participé aux deux assemblées prévues, les discussions informelles étaient un peu plus riches d’enseignements. Annie et Marie ne manquant pas de me présenter comme faisant partie de l’organisation du plus beau squat d’Europe, plusieurs personnes sont venues me demander des conseils ou des explications supplémentaires sur l’ouverture. C’est là que le bât blessait, car je pouvais bien expliquer comment rentrer dans un bâtiment, mais comment transposer les relations avec la police et la justice ? La puissance médiatique de Jeudi Noir (dans laquelle en plus je n’ai aucune part) forçant les forces de l’ordre à appliquer la loi, et celle-ci étant moins défavorable qu’ailleurs, il est difficile voire impossible, dans un pays où la presse est largement censurée, de tenir un bâtiment sans même un minimum d’appui légal.

A peine le temps de boire une bière après la fin de la manifestation et nous voilà reparti pour un autre quartier, à l’ouest d’Istanbul et placé dans l’axe des pistes de l’aéroport Atatürk. Là, dix-huit familles kurdes campent toutes les semaines depuis près de trois ans pour réclamer un logement, les leurs ayant été détruits sans compensation car ne répondant plus aux normes sismiques. Malgré l’accueil extrêmement sympathique, je doute que nous ayons été nombreux à tenir toute la nuit. Pour ma part, je suis rentré avant que leurs bus à haut niveau de service ne cessent, justement, ce haut niveau.

Mon avant-dernier jour à Istanbul, je l’ai passé à jouer au touriste, commençant par une grasse matinée. Je me levais tout juste pour assister à la fin de l’assemblée des assemblées, vers 12h30. Dans le grand amphithéâtre de l’université, la discussion battait encore son plein, et j’arrivais juste à temps pour entendre une française dire que le problème était la dette publique, et qu’on pouvait lutter contre la dette publique, par exemple en annulant la dette publique. Si seulement on pouvait aussi lutter contre la pauvreté, le racisme, la guerre… en les annulant.

J’en profitais malgré tout pour dire au revoir aux Suédois, qui quittaient Istanbul le soir même et avaient l’air un peu anxieux à l’idée de devoir écrire un article à propos du forum. Dire qu’ils n’auront rien vu de la ville à part des salles de cours dans un campus universitaire !

Après l’achat de la bouteille de raki règlementaire, à fournir à la Marquise, et après une dernière marche dans les rues d’Istanbul, je partais donc à la gare pour apprendre que je voyagerai en bus.

30 juin, 7h30, Železnička stanica Beograd

Je me réveille à l’arrêt, en gare de Belgrade. Notre chef de wagon nous propose du café et je sors sur le quai pour prendre le frais. Je fais connaissance avec ma voisine, une polonaise. (De la catégorie des plus de soixante ans). Elle aussi, comme à peu près l’ensemble du wagon, se rend au Forum Social Européen d’Istanbul. Elle me demande comment nous serons loger, je lui réponds que je n’en sais rien et qu’on m’a conseillé de me débrouiller tout seul. Nous échangeons ensuite quelques mots sur les camps anti OTAN de Strasbourg, Lisbonne, on parle de la répression policière et des CRS qui jettent des cailloux sur les manifestants. C’est une drôle de chose d’être ainsi des professionnels de la contestation, et de parcourir l’Europe de cette manière. J’ai un sentiment partagé, face au militantisme de ces gens. Pour ma part, le FSE est le premier « sommet » auquel je participe, et je sais que j’y vais bien davantage pour Istanbul que pour le social. Ça n’est pas que ça ne serve à rien, et je pense même que c’est nécessaire, mais parfois il y a une certaine part de naïveté dans la sincérité de ceux qui dénoncent l’OTAN, les nantis, le nouvel ordre mondial… Nous sommes avant tout, nous qui voyageons, nous qui pouvons nous regrouper, des nantis, des privilégiés, et notre but est bien notre propre satisfaction, un mélange de tourisme un peu – très peu – aventureux et de bonnes actions. Pourtant, il y a une nécessité dans tout cela, un fond juste certainement. Il n’est pas nécessaire d’être concerné directement pour agir, et la mise en commun des différentes « luttes » (même si ce mot sonne beaucoup trop gauchiste pour moi) est toujours une bonne chose. Mais surtout voir, voir, constater et s’informer, savoir. Je suis toujours sidéré – ça vient de Jeudi Noir – de constater comme les gens peuvent ignorer la réalité. Cette ignorance marche dans les deux sens, bien sur, et j’espère toujours me rappeler être un privilégié.

Bon. Je ne sais pas ce que valent ces interrogations philosophico-politique. Ayant du temps disponible avant le départ du train, je me suis mis en quête de nourriture, pensant non sans raison que même le buffet de la gare de Belgrade serait moins cher que mon charmant chef de wagon. Le seul inconvénient, évidemment, quand on quitte la zone Euro, c’est qu’il faut changer de l’argent. Et j’imagine que les boutiques autour de la gare ont reçu pour consigne de ne pas accepter les euros. Ayant donc échanger dix euros contre mille vingt dinars, je me suis dirigé vers une boutique où j’ai pu acheter de quoi me sustenter, petit-déjeuner et déjeuner. Je n’ai pas su trouver de quoi dépenser mes sept-cents dinars restants, peut-être les utiliserai-je au retour.

Vue du train, la Serbie a des allures très tiers-monde. Je sais bien qu’il faut se méfier, ce ne sont jamais les riches qui s’installent près des voies ferrées, et les RER de Paris sont suffisamment souvent bloqués par des incendies de bidonvilles, mais tout de même. Ces usines abandonnés, ces décharges sauvages un peu partout… Ce qui est frappant, c’est la régression, la déchéance et les traces qu’elle peut laisser. Ce ne sont pas quelques bâtiments abandonnés, c’est partout des ruines. A la campagne, ils font les foins, et les meules s’alignent autour de leur mat central. J’ai été surpris qu’ils les fassent si tôt, mais à vrai dire je n’ai aucune idée de quand ça se fait.

Notre wagon continue ses changements de trains au cours des arrêts. Apparemment, j’ai raté le changement de destination le plus facile. Entre Belgrade et Nis, les wagons en avant du nôtre allaient directement à Istanbul. J’aurai pu changer de compartiment et acheter mon billet. Au lieu de ça, il faut que je descende à Sofia pour aller au guichet, ce qui pourra s’avérer problématique vu notre heure de retard. Nous circulons sur une voie unique, ce qui nous force à faire de nombreux arrêts – en plus des stations – pour laisser passer les trains allant dans l’autre sens. Nous attendons parfois jusqu’à dix minutes qu’un train de marchandise veuille bien nous libérer la voie. Pendant la journée, l’électricité du wagon est coupée, et il n’y a donc aucune lumière quand on passe un tunnel. Se retrouver brutalement dans le noir absolu n’est déjà pas très sympathique lorsqu’on lit ou qu’on écrit, mais c’est encore pire lorsqu’on escalade une couchette un café à la main.

Entre Nis et la frontière bulgare, on suit une gorge et les tunnels sont nombreux. La végétation est particulièrement luxuriante, presque tropicale dans son foisonnement. Sur la voie unique, qui plus est non électrifiée, on a vraiment l’impression d’être dans un autre type de tunnel.

29 juin, 18h50, Wien Westbahnhof

Bon. J’ai été un tantinet négatif dans la présentation des touristes, et du coup dans la mienne. Je m’en aperçois en me relisant. Comme disait mon enseignant de projet en architecture : « Christophe, il a toujours une tendance à l’autodestruction. » J’expliquais que bien sur, il y avait de l’idée dans mon projet, mais que quand même, je n’avais pas assez travaillé, et que là, et là aussi, ça n’allait pas, qu’il fallait faire mieux. Si j’ai été négatif, j’ai été faux également. Mes destinations, Vienne, Istanbul, Berlin… sont loin d’être des terres vierges où aucun Français n’aurait mis les pieds. Pire que tout, j’ai annoncé que je quittais l’Europe ! Moi qui milite pour l’intégration de la Turquie dans l’Union Européenne, j’envoie même Istanbul en Asie. La raison de cette erreur, c’est que c’est la première fois depuis quatre ans, donc, que je quitte un monde que je connais, presque familial. Mes envolées précédentes hors du territoire national ont été les Baléares, chez une cousine de mon père, et la Suisse chez le parrain de ma sœur. Rien qui ne sorte de mon ordinaire, rien qui ne soit très exotique, ce que la Turquie ou les Balkans peuvent être (du moins pour moi) bien qu’ils soient en Europe. Il suffit de se souvenir de François 1er.

Je quitte Vienne ce soir, mon séjour y a été court. Pas vraiment le temps de faire du tourisme. J’ai d’ailleurs commencé par visiter l’usine de chauffage urbain et les HLM de Karl Marx Hof, histoire de me distinguer un peu plus. Guidé par Manon, une amie rencontrée dans un squat parisien, je suis allé me baigner nu dans un ancien bras du Danube. Chose curieuse, d’ailleurs, en tout cas tout à fait nouvelle pour moi, que de se mettre nu avec une femme sans qu’il y ait d’aspect sexuel. Quand je pense qu’il y a à peine deux mois, je n’avais jamais vraiment vu de femme nue. Chorale renaissance le soir à Sankt Ruprecht, plus vieille église de Vienne. – j’y ai laissé mes poumons, à la suivre en vélo – La glace qui a suivi nous a permis de débattre sur la meilleure glace du monde, entre Berthillon, et (?). Mon chocolat praline n’était pas mauvais, loin de là, mais pas spécifiquement extraordinaire.

Les gens qui m’accueillent, surtout Lucia, font preuve d’une grande désinvolture. Ils n’ont pas réfléchis cinq minutes quand Manon leurs a demandé si je pouvais dormir chez eux. A part Lucia, qui nous a accueilli aussi chez son employeur, je ne les ai pour ainsi dire pas vu. Arrivé le soir, reparti le matin. Livré à moi-même, je joue au touriste architecte dans Vienne. Avant toute chose d’ailleurs, je passe au musée Sigmund Freud, pour ramener à mon patron le porte-clef avec l’adresse du cabinet de Freud. Commande de sa part. Je file admirer gazomètres de Coop Himmelb(l)au, Hundertwasser, et c’est déjà l’heure de rentrer pour prendre le train suivant. Hofburg, Schönbrunn, Albertina, je vous ignore encore !

C’est parti pour vingt-trois heures de train. Jusqu’à Sofia seulement, je n’ai pas pu avoir de réservation pour les treize heures restantes jusqu’à Istanbul. J’espère que je pourrai prendre un billet en arrivant à 18h, je me vois mal passer la nuit à Sofia dans la gare. Avant même de quitter la gare, j’ai changé de pays. C’est fou comme l’alphabet cyrillique peut vous donner un air soviétique. C’est vrai qu’il est bien aidé par l’aspect du wagon, délicieusement année 70. Nous avons, non pas un chef de train, mais un chef de wagon, qui m’accueille sur le bord du quai. Avec sa chemise bleue délavée et son appareillage dentaire, le contraste est saisissant avec l’équipe autrichienne dont l’uniforme est impeccablement repassé. A Vienne, je n’ai pas eu d’autres choix que de réserver dans un compartiment de deux couchettes, plus cher que ceux de quatre, ayant prit la dernière place du train. Finalement, il y a trois couchettes comme dans tous les compartiments, qui sont à moitié vides. Le train se remplira à Budapest, mais je resterai seul jusqu’à Sofia. Naïvement, je m’étais dit que pour vingt-trois heures de train, un wagon restaurant nous accompagnerait. Je n’avais donc pas fait de courses avant. J’ai compris, à la tête de notre chef de wagon à qui je posais la question, que ça allait être problématique. Il m’a heureusement servi, sur sa ration je pense, deux sandwichs : quatre tranches de pain de mie, deux de saucissons, deux de fromages et une bière tiède. Le tout pour dix euros. Il faudra que je fasse attention de ne pas trop me faire avoir, mais je n’avais pas vraiment le choix. Nous faisons des arrêts innombrables, ce train est un véritable omnibus. Je comprends mieux la durée du voyage, c’est finalement rassurant qu’elle ne soit pas due à l’état du matériel. Rien qu’à Györ, nous avons marqué trois arrêts. Il est vrai que ceux-ci sont extrêmement courts : je n’ai pas pu compter quinze secondes avant que noud repartions. Il monte et descend à chaque fois quelques personnes, surtout dans les wagons places assises. A Budapest, j’aperçois brièvement la citadelle de Buda, avant d’arriver à la gare. En fait, il n’y a pas de changement jusqu’à Sofia, parce que c’est le wagon qui change pour nous. Nous manœuvrons donc, changement de quai, abandonnant la tête de train pour récupérer une nouvelle queue… Les compartiments autour de moi se peuplent effectivement, Anglais, Allemands, Polonais. De moins de trente ans ou de plus de soixante. Une seule famille, de Turcs je crois, avec d’importants bagages. Vers deux heures du matin, nous sommes réveillés au passage de la douane serbe. Me voilà tout content avec un nouveau tampon sur mon passeport, je me demandais si ça allait arriver.

27 juin, 20h, Paris gare de l’Est

Me voilà parti, ou plus exactement dans un train encore arrêté, à défaut d’être parti. J’ai ce léger sentiment d’angoisse, comme à chaque départ un peu inhabituel. Je me demande comment va se dérouler le voyage, si je n’ai rien oublié d’important. De fait, j’ai déjà oublié une chose importante, pas tant pour le départ que pour le retour. Ce sac poubelle que j’avais amoureusement (!) préparé va donc m’attendre trois semaines, ouvert dans la chaleur de l’été. D’ici à ce que mes voisins préviennent la police en pensant trouver un cadavre…

Notre compartiment sera complet pour onze heures de voyage jusqu’à Munich. Par souci d’économie, par esprit d’aventure aussi, je n’ai pas voulu d’une couchette en prenant le billet, et j’ai maintenant peur que mon siège ne soit pas des plus confortables pour dormir. Je m’attendais à un train moderne en arrivant à la gare, et au milieu des TGV et ICE, se trouvait un vieux train de nuit ressemblant aux Corail qui me ramènent à Caen en weekend. La différence, c’est qu’il y a un gigantesque espace en queue de chaque wagon pour stocker les vélos. On est bien dans un wagon de la Deutsche Bahn.

Je sue à grosses gouttes – ce qui n’est pas très pratique pour écrire – malgré la fenêtre abaissée au maximum. C’est une joie d’ailleurs qu’elle puisse s’ouvrir, même s’il est vrai qu’elle ne nous apporte pas beaucoup d’air : nous sommes encore à petite vitesse dans les triages de la région parisienne. Et puis cette sueur, c’est aussi un peu mon angoisse. Je pars seul, l’amie qui devait m’accompagner m’ayant lâchement abandonnée pour courir le guilledou. Depuis mon voyage au Liban il y a sept ans, je n’étais plus parti dans un long voyage aussi peu préparé. Et encore, au Liban j’étais accompagné, accueilli dans une association, tandis qu’ici je ne sais même pas où je dormirai dans trois jours. Cela fait près d’un an que je n’avais pas quitté la France et, au risque de paraître un bourgeois prétentieux la bouche remplie de ses récits de voyages, encore plus longtemps que je n’avais pas quitté l’Europe. Plus de quatre ans ! Une telle pause ne m’était pas arrivé depuis… En fait, mon premier voyage aux Etats-Unis, quand j’avais dix ans.

Nous longeons ce qui doit être le canal de l’Ourcq.

Je ne suis pas un baroudeur, pas un nomade, pas un migrant. Les voyages pour moi ne sont qu’agrément, jamais travail ni nécessité. Car il faut bien reconnaître que je fais parti – avec mes parents d’abord, puis seul – de ces touristes qui voyagent beaucoup pour découvrir de nouveaux horizons, de nouvelles émotions. De ceux qui dénigrent le tourisme de masse, le Club Med et les transats, et ses effets sur l’environnement. Les plages surpeuplées, les hôtels en béton, très peu pour nous. Parlez-nous d’une petite crique sauvage… En fait, ce qu’on cherche, c’est ce sentiment d’être premier quelque part, d’être privilégié. Sous prétexte de découvrir de nouvelles cultures, c’est une course à l’égoïsme. Et c’est pire que tout, bien sur, car ces paysages sauvages ne le sont que jusqu’à notre arrivée. Nous sommes les précurseurs, l’avant-garde pas du tout éclairée de ces masses que nous critiquons. Il fut un temps peut-être où l’on avait un vrai sentiment de liberté et de nature en arrivant à Palma de Majorque. Je me figure ces touristes (moi inclus), un peu comme des sauterelles forcées d’aller toujours plus loin après avoir dévasté un champ. Après, quand on a bien profité, bien détruit, on peut laisser la place aux autres, ceux qui se contentent des miettes, les moins téméraires, les plus pauvres…

Alors que des paysages superbes, des endroits déserts, qui ne demandent qu’à accueillir un peu plus de touristes, oh, à peine, existent aussi en France. Mais il y a le snobisme. Pour épater vos amis, une destination exotique vaudra certes mieux que le Larzac ou l’Ariège, par exemple. Pourtant, de Paris, c’est aussi loin que, disons, Beyrouth…