29 juin, 18h50, Wien Westbahnhof

Bon. J’ai été un tantinet négatif dans la présentation des touristes, et du coup dans la mienne. Je m’en aperçois en me relisant. Comme disait mon enseignant de projet en architecture : « Christophe, il a toujours une tendance à l’autodestruction. » J’expliquais que bien sur, il y avait de l’idée dans mon projet, mais que quand même, je n’avais pas assez travaillé, et que là, et là aussi, ça n’allait pas, qu’il fallait faire mieux. Si j’ai été négatif, j’ai été faux également. Mes destinations, Vienne, Istanbul, Berlin… sont loin d’être des terres vierges où aucun Français n’aurait mis les pieds. Pire que tout, j’ai annoncé que je quittais l’Europe ! Moi qui milite pour l’intégration de la Turquie dans l’Union Européenne, j’envoie même Istanbul en Asie. La raison de cette erreur, c’est que c’est la première fois depuis quatre ans, donc, que je quitte un monde que je connais, presque familial. Mes envolées précédentes hors du territoire national ont été les Baléares, chez une cousine de mon père, et la Suisse chez le parrain de ma sœur. Rien qui ne sorte de mon ordinaire, rien qui ne soit très exotique, ce que la Turquie ou les Balkans peuvent être (du moins pour moi) bien qu’ils soient en Europe. Il suffit de se souvenir de François 1er.

Je quitte Vienne ce soir, mon séjour y a été court. Pas vraiment le temps de faire du tourisme. J’ai d’ailleurs commencé par visiter l’usine de chauffage urbain et les HLM de Karl Marx Hof, histoire de me distinguer un peu plus. Guidé par Manon, une amie rencontrée dans un squat parisien, je suis allé me baigner nu dans un ancien bras du Danube. Chose curieuse, d’ailleurs, en tout cas tout à fait nouvelle pour moi, que de se mettre nu avec une femme sans qu’il y ait d’aspect sexuel. Quand je pense qu’il y a à peine deux mois, je n’avais jamais vraiment vu de femme nue. Chorale renaissance le soir à Sankt Ruprecht, plus vieille église de Vienne. – j’y ai laissé mes poumons, à la suivre en vélo – La glace qui a suivi nous a permis de débattre sur la meilleure glace du monde, entre Berthillon, et (?). Mon chocolat praline n’était pas mauvais, loin de là, mais pas spécifiquement extraordinaire.

Les gens qui m’accueillent, surtout Lucia, font preuve d’une grande désinvolture. Ils n’ont pas réfléchis cinq minutes quand Manon leurs a demandé si je pouvais dormir chez eux. A part Lucia, qui nous a accueilli aussi chez son employeur, je ne les ai pour ainsi dire pas vu. Arrivé le soir, reparti le matin. Livré à moi-même, je joue au touriste architecte dans Vienne. Avant toute chose d’ailleurs, je passe au musée Sigmund Freud, pour ramener à mon patron le porte-clef avec l’adresse du cabinet de Freud. Commande de sa part. Je file admirer gazomètres de Coop Himmelb(l)au, Hundertwasser, et c’est déjà l’heure de rentrer pour prendre le train suivant. Hofburg, Schönbrunn, Albertina, je vous ignore encore !

C’est parti pour vingt-trois heures de train. Jusqu’à Sofia seulement, je n’ai pas pu avoir de réservation pour les treize heures restantes jusqu’à Istanbul. J’espère que je pourrai prendre un billet en arrivant à 18h, je me vois mal passer la nuit à Sofia dans la gare. Avant même de quitter la gare, j’ai changé de pays. C’est fou comme l’alphabet cyrillique peut vous donner un air soviétique. C’est vrai qu’il est bien aidé par l’aspect du wagon, délicieusement année 70. Nous avons, non pas un chef de train, mais un chef de wagon, qui m’accueille sur le bord du quai. Avec sa chemise bleue délavée et son appareillage dentaire, le contraste est saisissant avec l’équipe autrichienne dont l’uniforme est impeccablement repassé. A Vienne, je n’ai pas eu d’autres choix que de réserver dans un compartiment de deux couchettes, plus cher que ceux de quatre, ayant prit la dernière place du train. Finalement, il y a trois couchettes comme dans tous les compartiments, qui sont à moitié vides. Le train se remplira à Budapest, mais je resterai seul jusqu’à Sofia. Naïvement, je m’étais dit que pour vingt-trois heures de train, un wagon restaurant nous accompagnerait. Je n’avais donc pas fait de courses avant. J’ai compris, à la tête de notre chef de wagon à qui je posais la question, que ça allait être problématique. Il m’a heureusement servi, sur sa ration je pense, deux sandwichs : quatre tranches de pain de mie, deux de saucissons, deux de fromages et une bière tiède. Le tout pour dix euros. Il faudra que je fasse attention de ne pas trop me faire avoir, mais je n’avais pas vraiment le choix. Nous faisons des arrêts innombrables, ce train est un véritable omnibus. Je comprends mieux la durée du voyage, c’est finalement rassurant qu’elle ne soit pas due à l’état du matériel. Rien qu’à Györ, nous avons marqué trois arrêts. Il est vrai que ceux-ci sont extrêmement courts : je n’ai pas pu compter quinze secondes avant que noud repartions. Il monte et descend à chaque fois quelques personnes, surtout dans les wagons places assises. A Budapest, j’aperçois brièvement la citadelle de Buda, avant d’arriver à la gare. En fait, il n’y a pas de changement jusqu’à Sofia, parce que c’est le wagon qui change pour nous. Nous manœuvrons donc, changement de quai, abandonnant la tête de train pour récupérer une nouvelle queue… Les compartiments autour de moi se peuplent effectivement, Anglais, Allemands, Polonais. De moins de trente ans ou de plus de soixante. Une seule famille, de Turcs je crois, avec d’importants bagages. Vers deux heures du matin, nous sommes réveillés au passage de la douane serbe. Me voilà tout content avec un nouveau tampon sur mon passeport, je me demandais si ça allait arriver.