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03 juillet, 16h30, İstanbul

Après nous être douchés, ce qui n’était pas un luxe après quarante-huit heures de train et de bus, nous nous dirigeons, moi suivant toujours les Suédois, vers l’université qui accueille le forum. Le quartier où se trouve notre hôtel est assez chic, et la grande rue qui va de Taksim à Tünel voit alterner bar, Starbucks Coffee, magasins de fringues et consulats. Pour les diplomates, c’est en tout cas beaucoup plus animé que le XVIème arrondissement de Paris. Nous avons eu quelques difficultés à trouver le lieu du forum, car il nécessitait de prendre un téléphérique dissimulé dans un jardin. Heureusement, les gens ne manquent pas qui connaissent et le FSE et le téléphérique. Pour moi qui suis encore, du moins officiellement, un étudiant, le coût d’entrée au forum aurait été de seize euros. Pour les autres, trente étaient nécessaire. Si les Suédois se sont acquittés des sommes dues, mon intérêt déjà faible à m’enfermer dans une salle de classe pour écouter des débats le plus souvent en anglais, a lui totalement fondu. Je les au donc laissé débattre à leurs grés, et je suis parti faire du tourisme. A mon grand regret, les rives du Bosphore sont le plus souvent impraticables, occupées par les institutions, mosquées, escales de paquebots de croisières… J’ai commencé par photographier toutes les mosquées que je croisais, avant de ralentir un peu le rythme car ces petites mosquées de quartier se ressemblent beaucoup et que j’imaginais déjà les commentaires des amis à qui je montrerais les photos : « Bon, ben là c’est une mosquée, là, une autre, là c’est la même mais sous un autre angle… » Lorsqu’on passe de la réalité aux photos, la perte d’intérêt est encore plus flagrante.

Il y a encore dans les rues quelques personnes qui cirent les chaussures, où proposent de vous faire dire l’avenir par des lapins. Je n’ai vu en revanche aucun mendiant. Bien entendu, je ne connais d’Istanbul qu’une minuscule partie, sur une période de deux jours, mais je me demande de quelle manière ces petits boulots peuvent remplacer la mendicité. D’une manière symbolique sans doute, car il n’y a pas une grande différence dans la motivation, mais ce symbole, en transformant un don en un achat de service, permet un tant soit peu de donner une dignité au pourvoyeur du service. J’ai ce sentiment que cette pratique, sans qu’elle ne règle rien au problème de fond, est pourtant préférable à une simple mendicité. Et j’ai le sentiment aussi, qu’à Paris ou plus généralement en France, cette situation ne pourrait être acceptée car échappant à tout contrôle. Elle ne conviendrait pas à notre cartésianisme administratif. On tuerait toute initiative à coup d’autorisations ou de patentes.

Ce qui n’empêche pas les cireurs de pompes, à Istanbul, d’escroquer les touristes tant qu’ils le peuvent. En me promenant dan les rues, j’ai ramassé la brosse d’un cireur qui marchait devant moi. Pour me remercier, il me fit comprendre qu’il voulait nettoyer mes sandales. Je me laissai faire gentiment, le travail n’étant pas bien long. Je me doutais bien qu’il voudrait un minimum d’argent et je m’apprêtais à lui donner cinq lires, soit deux euros cinquante. Malheureusement, j’avais prêt de vingt lires dans ma poche, en différentes coupures qu’il prit toutes. Il me demandait en plus des euros, mais j’ai quand même su répondre qu’il n’en était pas question. (Tous ces débats se déroulant évidemment dans un mélange de turc, d’anglais et de langage gestuel.) J’aurai payé ainsi le nettoyage et graissage de trois lanières de sandales aussi cher qu’une nuit d’hôtel près des Champs-Elysées stambouliotes…

Poursuivant mon périple, je croise par hasard Annie et Marie, membres influentes du DAL et du réseau NO-VOX, que j’ai connu à travers le RESEL. Elles sont évidemment venu pour le forum social, mais sont aussi en lien avec un forum urbain légèrement détaché, qui organise des visites dans différents quartiers d’Istanbul menacés par la spéculation. Je suis évidemment enthousiaste pour ces visites et promet d’être à l’heure au rendez-vous de seize heures à Taksim.

Traversant la Corne d’Or par le pont Galata, peuplé de pécheurs, je me plonge avec délice dans le marché aux épices et le vieil Istanbul. Je monte jusqu’à la mosquée Sulemanye, dans laquelle je ne mets pas les pieds car je me suis promis de voir avant toute autre Sainte-Sophie. En descendant de Galata, je voyais deux mosquées importantes et j’hésitais quant à laquelle était la bonne. J’essayais de me remémorer mes cours d’architecture, sur la forme de la coupole, la situation des contreforts, le nombre de minaret… Finalement, j’eu la solution en achetant un plan de la ville, aucune de mes mosquées putatives n’était la bonne, puisque Sainte-Sophie ne se voit pas de Galata. Il y a à Istanbul de nombreux chats errants, qui me paraissent souvent jeunes et minuscules. Ils doivent évidemment être bien moins nourris et moins enveloppés que nos chats de la Marquise. Visiblement, les Stambouliotes ne les aiment pas, et les pauvres chats se font chasser de partout.

Voyant l’heure avancer, je me décide à aller au rendez-vous à Taksim. Pour éviter de payer 1,5 lires, et surtout quand même pour continuer à visiter la ville, je décide de ne pas prendre le funiculaire sous terrain qui relie Karakoy à Tünel, mais d’emprunter les rues et escaliers. L’inconvénient de ces vieux quartiers, c’est la multiplication de ces rues, dont l’organisation doit bien répondre à une certaine logique, mais une logique qui m’échappe encore. A seize heures, je commençais à me dire que je ne pourrai être au rendez-vous, même en comptant sur un retard méditerranéen. C’est alors que je me suis retrouvé dans la rue de mon hôtel, du coté opposé à celui par lequel nous étions arrivés le matin. La constipation inhérente aux voyages commençant à ne plus se faire sentir, et même à se transformer de manière de plus en plus pressante, je me résolu à demander la clef de la chambre. Après mon passage sur le trône, les jambes lourdes, je me suis effondré sur mon lit et assoupi en un instant.

Le lendemain, après avoir visité Sainte-Sophie, fidèle à moi-même, j’étais aussi fidèle au rendez-vous, et je visitais avec un groupe nombreux, un autre de ces quartiers informels menacés de destruction. Pas grand-chose à dire sur cette visite ; si ce n’est qu’ils sont dans une situation bien plus difficile qu’en France. Comme ils ont construits sur des terrains qui ne leurs appartenaient pas, ils peuvent en être expulser à tout moment, même après trente ou quarante ans, quand la ville commence à trouver un intérêt économique à leurs terrains. Nous finissons la soirée dans un restaurant à Eminonü, à l’angle du Bosphore et de la Corne d’Or. Gràce à Mourad, l’urbaniste qui organise les visites et qui connaît le chef, nous avons droits aux prix turcs et non aux prix touristiques. Nous nous régalons de poulpes, calamars, moules, ces dernières accompagnées de jeux de mots subtils genre « Tu veux pas manger ma moule ? » arrosés de bières et de raki.

Malgré une forte envie de rester au lit, je parvins à me rendre au séminaire sur le droit à la ville avec moins d’une demi-heure de retard, correspondant peu ou prou aux standards locaux, en tout cas ceux pris par les participants au forum.

29 juin, 18h50, Wien Westbahnhof

Bon. J’ai été un tantinet négatif dans la présentation des touristes, et du coup dans la mienne. Je m’en aperçois en me relisant. Comme disait mon enseignant de projet en architecture : « Christophe, il a toujours une tendance à l’autodestruction. » J’expliquais que bien sur, il y avait de l’idée dans mon projet, mais que quand même, je n’avais pas assez travaillé, et que là, et là aussi, ça n’allait pas, qu’il fallait faire mieux. Si j’ai été négatif, j’ai été faux également. Mes destinations, Vienne, Istanbul, Berlin… sont loin d’être des terres vierges où aucun Français n’aurait mis les pieds. Pire que tout, j’ai annoncé que je quittais l’Europe ! Moi qui milite pour l’intégration de la Turquie dans l’Union Européenne, j’envoie même Istanbul en Asie. La raison de cette erreur, c’est que c’est la première fois depuis quatre ans, donc, que je quitte un monde que je connais, presque familial. Mes envolées précédentes hors du territoire national ont été les Baléares, chez une cousine de mon père, et la Suisse chez le parrain de ma sœur. Rien qui ne sorte de mon ordinaire, rien qui ne soit très exotique, ce que la Turquie ou les Balkans peuvent être (du moins pour moi) bien qu’ils soient en Europe. Il suffit de se souvenir de François 1er.

Je quitte Vienne ce soir, mon séjour y a été court. Pas vraiment le temps de faire du tourisme. J’ai d’ailleurs commencé par visiter l’usine de chauffage urbain et les HLM de Karl Marx Hof, histoire de me distinguer un peu plus. Guidé par Manon, une amie rencontrée dans un squat parisien, je suis allé me baigner nu dans un ancien bras du Danube. Chose curieuse, d’ailleurs, en tout cas tout à fait nouvelle pour moi, que de se mettre nu avec une femme sans qu’il y ait d’aspect sexuel. Quand je pense qu’il y a à peine deux mois, je n’avais jamais vraiment vu de femme nue. Chorale renaissance le soir à Sankt Ruprecht, plus vieille église de Vienne. – j’y ai laissé mes poumons, à la suivre en vélo – La glace qui a suivi nous a permis de débattre sur la meilleure glace du monde, entre Berthillon, et (?). Mon chocolat praline n’était pas mauvais, loin de là, mais pas spécifiquement extraordinaire.

Les gens qui m’accueillent, surtout Lucia, font preuve d’une grande désinvolture. Ils n’ont pas réfléchis cinq minutes quand Manon leurs a demandé si je pouvais dormir chez eux. A part Lucia, qui nous a accueilli aussi chez son employeur, je ne les ai pour ainsi dire pas vu. Arrivé le soir, reparti le matin. Livré à moi-même, je joue au touriste architecte dans Vienne. Avant toute chose d’ailleurs, je passe au musée Sigmund Freud, pour ramener à mon patron le porte-clef avec l’adresse du cabinet de Freud. Commande de sa part. Je file admirer gazomètres de Coop Himmelb(l)au, Hundertwasser, et c’est déjà l’heure de rentrer pour prendre le train suivant. Hofburg, Schönbrunn, Albertina, je vous ignore encore !

C’est parti pour vingt-trois heures de train. Jusqu’à Sofia seulement, je n’ai pas pu avoir de réservation pour les treize heures restantes jusqu’à Istanbul. J’espère que je pourrai prendre un billet en arrivant à 18h, je me vois mal passer la nuit à Sofia dans la gare. Avant même de quitter la gare, j’ai changé de pays. C’est fou comme l’alphabet cyrillique peut vous donner un air soviétique. C’est vrai qu’il est bien aidé par l’aspect du wagon, délicieusement année 70. Nous avons, non pas un chef de train, mais un chef de wagon, qui m’accueille sur le bord du quai. Avec sa chemise bleue délavée et son appareillage dentaire, le contraste est saisissant avec l’équipe autrichienne dont l’uniforme est impeccablement repassé. A Vienne, je n’ai pas eu d’autres choix que de réserver dans un compartiment de deux couchettes, plus cher que ceux de quatre, ayant prit la dernière place du train. Finalement, il y a trois couchettes comme dans tous les compartiments, qui sont à moitié vides. Le train se remplira à Budapest, mais je resterai seul jusqu’à Sofia. Naïvement, je m’étais dit que pour vingt-trois heures de train, un wagon restaurant nous accompagnerait. Je n’avais donc pas fait de courses avant. J’ai compris, à la tête de notre chef de wagon à qui je posais la question, que ça allait être problématique. Il m’a heureusement servi, sur sa ration je pense, deux sandwichs : quatre tranches de pain de mie, deux de saucissons, deux de fromages et une bière tiède. Le tout pour dix euros. Il faudra que je fasse attention de ne pas trop me faire avoir, mais je n’avais pas vraiment le choix. Nous faisons des arrêts innombrables, ce train est un véritable omnibus. Je comprends mieux la durée du voyage, c’est finalement rassurant qu’elle ne soit pas due à l’état du matériel. Rien qu’à Györ, nous avons marqué trois arrêts. Il est vrai que ceux-ci sont extrêmement courts : je n’ai pas pu compter quinze secondes avant que noud repartions. Il monte et descend à chaque fois quelques personnes, surtout dans les wagons places assises. A Budapest, j’aperçois brièvement la citadelle de Buda, avant d’arriver à la gare. En fait, il n’y a pas de changement jusqu’à Sofia, parce que c’est le wagon qui change pour nous. Nous manœuvrons donc, changement de quai, abandonnant la tête de train pour récupérer une nouvelle queue… Les compartiments autour de moi se peuplent effectivement, Anglais, Allemands, Polonais. De moins de trente ans ou de plus de soixante. Une seule famille, de Turcs je crois, avec d’importants bagages. Vers deux heures du matin, nous sommes réveillés au passage de la douane serbe. Me voilà tout content avec un nouveau tampon sur mon passeport, je me demandais si ça allait arriver.