La trêve hivernale est une vieille chose du droit au logement. Elle trouve son origine dans l’article 3 de la loi du 3 décembre 1956, signé entre autres par le président René Coty, et le garde des sceaux, un certain François Mitterrand. A l’époque, elle s’applique à tous, quelque soit le statut légal de l’occupation. En fait, l’article premier de cette loi, qui permet aux juges d’accorder des délais renouvelables excédant une année précise même cette possibilité est ouverte sans les occupants aient à justifier d’un titre à l’origine de l’occupation. La seule exception prévue par la loi, c’est lorsque les locaux occupés sont concernés par un arrêté de péril : si l’immeuble est dangereux, les forces de l’ordre peuvent procéder à l’expulsion.
Pendant trente-quatre ans, la formulation de la loi ne bouge pas. Elle se trouve simplement intégrée dans le nouveau Code de la construction et de l’habitation en 1978. Au début des années 90, deux lois viennent coup sur coup modifier la trêve hivernale : en mai 1990, la trêve est étendue au 1er novembre en place du 1er décembre initial, puis en juillet 1991, apparaît la petite phrase intéressante : « Les dispositions du présent article ne sont toutefois pas applicables lorsque les personnes dont l’expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait. » Une toute dernière codification en juin a fait passer cette disposition dans le code des procédures civiles d’exécution.
La question de l’entrée dans les lieux par voie de fait se retrouve très régulièrement devant les tribunaux dans le cas des squatteurs, car en plus de la trêve hivernale, elle conditionne souvent, selon l’appréciation des juges, l’octroi des deux mois de délais prévus à l’article L412-1 du Code des Procédures Civiles d’Exécutions.
La jurisprudence exprime clairement que la voie de fait ne se présume pas, et que la seule occupation sans droit ni titre n’en constitue pas une. (CA Paris 08/02967, TI Paris 8 12-07-000112, TGI Paris 07/50407, TI Villeurbanne 12-05-000063…) La voie de fait est par contre établie dès lors qu’il y a dégradation, ou même simplement effraction ou escalade. En fait, il est de la responsabilité d’un propriétaire de clore son terrain ou son bien, et l’on ne peut priver des protections légales un occupant lorsque celui-ci s’est contenté de pousser la porte.
Ça, c’est le cadre général, qui concerne tous les squats. Mais Notre-Dame des Landes n’est pas une occupation comme les autres :
Les immeubles dont il est question ont été bâtis lors de la manifestation du 17 novembre. Ils sont occupés depuis lors, et constituent par conséquent un domicile au sens pénal. Or, les indemnités d’expropriation n’ont été versées à l’agriculteur que le 23 novembre, soit six jours plus tard. La société Aéroports du Grand-Ouest n’est donc absolument pas fondée à se plaindre d’une voie de fait qui aurait eu lieu (si elle a eu lieu) avant qu’elle ne devienne propriétaire du terrain.
L’ordonnance sur requête du 11 décembre fait état d’une installation « au mépris de l’apposition de scellés. » S’il est incontestable que le bris de scellés constitue une voie de fait, (c’est même une infraction pénale), les scellés n’ont été posés que lors de l’opération de police du 23 novembre, bien après l’entrée dans les lieux, ce qui rend impossible l’imputation de ce fait pour obtenir une suppression de la trêve hivernale. Il faudrait par ailleurs savoir si les scellés empêchaient réellement l’accès aux habitations, l’article L480-2 du Code de l’Urbanisme n’évoquant que les matériaux approvisionnés ou le matériel de chantier.
Ajoutons qu’il existe de sérieux doute sur la légalité de l’opération ayant conduit à l’apposition des scellés : un doute sur la propriété réelle du terrain à l’heure de l’intervention, mais surtout une potentielle violation de domicile de la part des forces de l’ordre. (Art. 432-8 du code pénal.)
Si l’article L412-1 du Code des Procédures Civiles d’Exécutions laisse libre appréciation au juge de supprimer ou de réduire les deux mois de délais légaux, l’article L412-6, qui concerne la trêve hivernale, s’impose à tous, y compris lorsque le local ne constitue pas l’habitation principal des occupants, ou qu’il est à usage professionnel. En droit, on voit donc mal comment une expulsion pourrait avoir lieu à Notre-Dame des Landes avant le 15 mars prochain.
Mais il semble que le droit soit entré là-bas dans une zone de turbulence importante.