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Censure de la loi Duflot

Le Conseil constitutionnel a censuré la loi Duflot relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social. Comment pouvait-il en être autrement ? Le droit (et si ce sont les parlementaires qui font la loi, il ne faut pas oublier que la loi, c’est du droit.) Le droit, donc, connaît des formalismes et des règles de procédures qui peuvent être casse-pied, strictes et rébarbatives, mais qui n’en sont pas moins des garde-fous. L’Etat de droit dont se gargarisent tous nos responsables, c’est, bien plus qu’un Etat utopique où tous les individus respecteraient la loi, un Etat qui lui-même respecte son droit.

Que s’est-il passé ? S’agissant d’un texte qui concerne en premier chef les collectivités territoriales, c’est le Sénat qui devait se prononcer en premier. Le projet de loi adopté en conseil des ministres le 5 septembre a donc été déposé au Sénat  l’après-midi même. La Constitution prévoit que dans chaque chambre, les textes déposés soient examinés par des commissions spécialisées avant d’être discutés en séances publiques. Le 11 septembre au matin, la commission des affaires économiques du Sénat se réunissait donc pour examiner les quinze articles du projet de loi, et adopter une quinzaine d’amendement. Or, l’examen en séance publique commença le même jour, non pas sur le texte adopté par la commission, mais sur le projet de loi du gouvernement, non modifié. En passant ainsi avec pertes et fracas sur le travail de la commission, le Sénat violait avec une telle flagrance la Constitution qu’il ne fallait pas être grand clerc pour prévoir la censure par le Conseil constitutionnel. A tel point que le Premier ministre, dernière hérésie, annonça avec quelques heures d’avance une décision qui n’était pas encore officiellement prise.

Il est des victoires qu’on offre à l’ennemi. En agissant ainsi dans le simple but d’afficher un volontarisme politique, le gouvernement pensait-il vraiment que l’UMP allait s’abstenir de saisir le Conseil constitutionnel ? Cela relève soit de la naïveté, coupable à ce niveau, soit d’un cynisme important. D’aucuns pensent en effet qu’un autre projet de loi, ou un autre ministre, n’aurait pas fait les frais de cette erreur. Jean-Pierre Bel, président du Sénat, a beau jeu d’appeler maintenant à un meilleur respect du travail législatif, c’est bien a lui, in fine, qu’est revenu la responsabilité de valider le calendrier du gouvernement.

Les conséquences politiques sont lourdes. Au-delà de l’amateurisme que cette histoire dénote, c’est toute une loi qu’il faut revoter. Certaines dispositions n’avaient été adoptées qu’après bien des débats, et, au Sénat, le parti socialiste doit composer avec les autres groupes de la majorité : communistes, écologistes et radicaux. Ce n’est qu’avec l’ensemble de ces quatre groupes qu’ils peuvent espérer obtenir la majorité.

La saisine du Conseil constitutionnel par 60 députés et 60 sénateurs ne visait pas uniquement la procédure d’adoption du texte, mais également les articles 3, 10, 15 et 16. Censurant la loi dans son intégralité, le Conseil ne s’est évidemment pas prononcé sur ces articles, et il est plus que probable qu’une nouvelle saisine sera faite à l’issue du nouveau calendrier. En attendant, ce sont des projets qui sont bloqués, des dispositions inapplicables et des logements qui ne seront pas construits.

Pourtant, le gouvernement avait bien d’autres moyens de faire preuve de volontarisme tout en évitant ce désastre politique : il annonce aujourd’hui une circulaire pour empêcher l’expulsion des prioritaires DALO. Circulaire tout ce qu’il y a de plus conforme aux lois existantes et à la jurisprudence, elle ne nécessite que la signature de ministres. Combien de personnes ont été expulsées depuis deux mois, qui auraient pu ne pas l’être ? Et qu’on ne vienne pas me parler du préjudice de ces pauvres propriétaires : dans le cas de refus d’expulsion, le loyer est pris en charge par l’Etat, ce qui coûte d’ailleurs moins cher que la mobilisation des forces de l’ordre et les nuitées d’hôtel.

Qu’attend encore aujourd’hui le gouvernement pour annoncer quelques réquisitions d’immeubles vides ? Quand l’UNPI elle même reconnaît que plusieurs centaines de milliers de logements pourraient être remis immédiatement sur le marché ?

Tout ne peut être fait par décret ou circulaire, et c’est heureux que le parlement ait à ce prononcer sur le sujet du logement, comme sur d’autres. Mais de nombreuses dispositions existent déjà dans nos lois, qui ne demandent qu’à être appliquées. Mais il faut pour cela une véritable volonté politique qui se distingue d’un volontarisme de façade.

Génération Identitaire, Jeudi Noir, quelle différence ?

Ainsi donc, les condamnations sont unanimes après l’occupation du chantier de la mosquée de Poitiers par 70  membres du groupe Génération Identitaire. Trois ou quatre occupants se présentant comme des organisateurs ont été placés en garde à vue.

Occuper un bâtiment ? C’est une technique que je connais bien, la pratiquant (assez) régulièrement. Mais est-ce vraiment ce qui pose problème dans le cas précis ?

Sur bien des points, l’opération d’hier peu paraitre semblable à celles menées par Jeudi Noir ou d’autres : le repérage préalable qu’on imagine, l’entrée nocturne, le choix d’une cible emblématique, et surtout la médiatisation, avec une équipe de journaliste « intégrée » et d’autres prévenues par texto au petit matin. Pourtant, même en dehors du discours haineux qui n’est évidemment pas partagé par Jeudi Noir, les circonstances légales  de l’occupation sont différentes :

L’action de Génération Identitaire n’est pas comparable aux squats ou tentatives de squats telles que celle dont j’ai fait le récit. Le point essentiel dans le cas du squat, c’est la vacance du bâtiment : c’est uniquement cette vacance qui donne la possibilité de s’installer dans la durée, c’est cette vacance qui fait la limite entre la légalité et l’illégalité.

À Poitiers, la mosquée était en chantier, donc non vacante, et juridiquement sous la responsabilité de l’entreprise de construction. La jurisprudence reconnaissant la notion de domicile d’une personne morale, je serais curieux de savoir si elle étend aux chantiers les protections qui bénéficient aux bureaux.

Cette action diffère également des visites d’agences immobilières ou des visites d’appartement que Jeudi Noir pratique également : les agences sont évidemment des lieux ouverts au public, comme tout magasin, et nous ne « visitons » les appartements qu’en profitant des visites organisées par les propriétaires pour louer leurs biens (à des prix prohibitifs, donc). Par ailleurs, dans ces deux cas, nos visites ne durent pas plus d’une heure.

Une dépêche AFP nous précise les faits qui sont reprochés aux trois personnes interpellées : Manifestation non autorisée, provocation à la haine raciale, participation à un groupement en vue de la préparation de dégradation de biens en réunion, vol et dégradation en réunion. L’État voit large dans les qualifications, ce qui risque au final de bénéficier au groupe en cause.

La manifestation non autorisée : c’est le premier point qui pose problème, la loi ne sanctionnant que l’organisation une manifestation « sur la voie publique ». Clairement, le chantier n’est pas une voie publique, et cette qualification sera immanquablement abandonnée rapidement s’il y a des poursuites ultérieures. Paradoxalement, c’est le seul point qui permettait de n’arrêter que les organisateurs, toutes les qualifications suivantes s’appliquant à l’ensemble du groupe.

Participation à un groupement en vue de la préparation de dégradation de biens en réunion : derrière la grandiloquence des termes, il n’y aura probablement rien. Les gens de Génération Identitaire ne sont sans doute pas des imbéciles, et ils auront pris soin de ne pas saccager le chantier. Ne serait-ce que parce qu’ils souhaitent se donner une image respectueuse. Pénétrer dans un chantier et l’occuper sans rien casser ne présente aucune difficulté. Pour information, c’est une qualification souvent retenue contre les squatteurs, car la police estime qu’elle permet d’expulser « en flagrance ». A ma connaissance, sur 4 ou 5 faits ayant donnés lieu à des gardes à vue, seul un a fait l’objet de poursuites, qui se sont soldées par des relaxes. Il y a fort à parier qu’il en sera de même ici sur ce point.

Vol et dégradation en réunion : il s’agit d’une dizaine de tapis de prières déplacés sur le toit et endommagés par la pluie. J’ai du mal à croire qu’ils aient été assez idiots pour déplacer ou abimer des tapis, dans une action où l’intervention de la police était inévitable, mais c’est effectivement un moyen de les poursuivre. Simplement, même en tenant compte de la charge symbolique, est-ce qu’une dizaine de tapis qui ont pris l’eau sont à la hauteur du malaise ressenti devant cette action ?

Reste la provocation à la haine raciale. C’est évidemment l’aspect crucial et le seul qui puisse être sérieusement exploité. Mais sur ce point, ce n’est pas trois ou quatre personnes qu’il fallait interpeller, mais l’ensemble du groupe. Rappelons que lors de la manifestation de musulmans à Paris, c’est la quasi totalité des manifestants qui a été interpellé. Alors même qu’il n’y avait ni vol, ni dégradation !

Faut-il interdire Génération Identitaire, comme le demande une partie de la gauche ? Probablement. Fallait-il  attendre cette occupation ? Bien sur que non. On peut dire ce qu’on veut, mais le discours tenu hier n’est pas une surprise, il est tenu par ce collectif et quelques autres, librement, depuis quelques temps. Ce n’est pas la médiatisation qui fait l’illégalité. Quelle différence y a-t-il entre un groupe qui assume une déclaration de guerre et un autre qui appelle au Jihad ? Il faut reconnaître que certaines déclarations de politiques sont bien guerrières également et participent largement à désinhiber ces discours.

Pour autant, une dissolution de ce groupuscule ne suffira pas. D’une part, parce que ce genre d’action ne nécessite pas de groupe structuré et qu’on ne peut pas empêcher quelques dizaines de personne de se réunir. Une politique de lutte contre les propos et les atteintes racistes devrait être mise en œuvre, et ces derniers largement sanctionnés dès qu’ils ont lieu. Malheureusement, cette lutte qui doit être quotidienne et serait invisible ne semble pas être la priorité des politiques : il suffit de se rappeler l’expulsion forcée des Roms d’un campement à Marseille, qui, au regard de la loi française, était bien plus grave que l’occupation de cette mosquée. Tolérer de faire ne serait-ce que d’un seul groupe de population un bouc émissaire, c’est ouvrir la porte à tous les racismes, c’est faciliter une montée constante de la violence en cette période de crise.

Squatter n’est pas illégal

squatters-handbookLe sénateur Dallier demande au gouvernement ce que celui-ci compte faire pour censurer les sites Internet qui diffusent des « guides du squatteurs ». Ces guides, en effet, donneraient des conseils pour l’organisation de la vie quotidienne dans le squat, et même des procédures à suivre pour « préparer sa défense ».

Faisant peu de cas de la liberté d’expression, brandissant le code pénal et la défense du droit de propriété « individuel » –la propriété des grandes sociétés ne mérite pas les mêmes droits ? – il oublie quelques points juridiques pourtant importants.

Squatter n’est pas illégal

On ne trouvera nulle part dans la loi un texte qui interdise d’occuper un bâtiment vide. Bien au contraire, la loi prévoit que l’occupant puisse devenir propriétaire, si nul n’a contesté l’occupation pendant trente ans1. Situation théorique sans doute, mais qui montre bien qu’il n’est pas (encore) interdit de se chercher un toit.

Ce qui constitue un délit, c’est la violation de domicile2. Depuis le XIXème siècle, la Cour de Cassation a eu le temps de définir précisément la notion de domicile, qui en France recouvre un champ assez large. Est un domicile votre logement bien sûr, que vous y soyez ou non, mais également votre maison de vacances, l’appartement de la grand-mère à l’hôpital depuis six mois, les bureaux/ateliers de votre entreprise… et le squat dans lequel vous logez.

Dans le cas d’une violation de domicile, en plus des risques encourus (un an de prison tout de même), la police procède à l’expulsion des occupants quelle que soit la durée de leur occupation. Elle en a même l’obligation3, à la différence des expulsions locatives que la préfecture peut différer. C’est pour cela que les guides de squats sont clairs : « Ne jamais faire de violation de domicile ! » On est bien loin de l’incitation au délit…

L’autre délit qui est utilisé fréquemment pour lutter contre le squat, c’est la dégradation4. Là encore, plutôt que d’y inciter, ces guides indiquent comment l’éviter, puisque ce délit est largement utilisé par la police pour obtenir l’expulsion, parfois en toute illégalité.

Alors certes, le squat est une atteinte au droit du propriétaire, et les squatteurs sont presque toujours condamnés. Tout comme un homme a été condamné à payer 10 000 euros à sa femme qu’il n’avait pas honorée. Faut-il pour autant interdire tous les livres qui prônent l’abstinence ?

Mais évidemment, il est plus facile de censurer quelques sites Internet que de faire appliquer la loi, lorsqu’elle dit que toute personne a droit au logement et au respect de son domicile. Y compris les squatteurs.

[1] Articles 2258 à 2275 du code civil
[2] Article 226-4 du code pénal
[3] Article 38 de la loi 2007-290 du 5 mars 2007
[4] Article 322-1 du code pénal

Quand la police protège les délinquants

Cet article a été publié précédemment sur un libéblog tenu par Jeudi Noir.

Photo 25, rue de l'EchiquierLe 25, rue de l’échiquier, dans le 10ème arrondissement, est un immeuble de logement social. Ou plutôt, il aurait dû être un immeuble de logement social. Squatté entre 2004 et 2007, il appartient maintenant à ICF La Sablière, une SA HLM créée à l’origine pour loger les cheminots. Les anciens squatters avaient quitté ce bâtiment de plusieurs milliers de m2 lorsque la société avait déposé un permis de construire, le 16 novembre 2007, pour en faire plus d’une soixantaine de logements. Malgré les 2 millions d’euros investis par la mairie de Paris, aucun travaux n’a encore commencé.

Puisque cet immeuble est resté vide, une quinzaine de ménages sans abris ont investi les lieux voilà plus de trois mois. L’occupation n’ayant pas été dénoncée dans les 48 heures, la loi reconnaît donc cet immeuble comme leur domicile, et ils ne peuvent en être expulsés sans décision de justice.

Tout cela est bien connu de tous, propriétaires, mairie, policiers.

Pourtant, jeudi 28 janvier, des vigiles se disant mandatés par ICF ont pénétré de force dans les logements, accompagnés de chiens, pour expulser tout le monde. Les habitants ayant eu le dessus dans la bagarre qui a suivi, la société de gardiennage a alors changé de tactique. Laissant une petite troupe dans le couloir, les vigiles se sont contentés de bloquer le passage.

Depuis jeudi, en toute illégalité, plus personne ne peut rentrer dans cet immeuble sans leur accord. Les occupants sont divisés en deux groupes: l’un est de fait séquestré à l’intérieur du bâtiment, tandis que l’autre dort sur le trottoir, au pied de l’immeuble. L’eau, la nourriture, les médicaments (l’une des personnes à l’intérieur est cardiaque) sont passés dans un sac suspendu au bout d’une corde par la fenêtre du premier étage. Alerté, le DAL, l’Intersquat et Jeudi Noir se sont rendu sur place mardi, avant d’être stoppés par le commissaire de l’arrondissement. D’après lui, un arrêté de péril devrait être pris, mais il n’a aucun papier à présenter. Et quand on demande à entrer, il prononce un nouveau refus, poli mais illégal.

On se prend à rêver de sanctions contre ces gens, pas tellement les vigiles eux-mêmes qui gagnent leurs vies, mais contre le propriétaire qui commandite ces actions, contre les policiers qui bafouent la loi et souillent leurs uniformes.. La réalité, c’est qu’aucune sanction ne sera prise. Parfois, on parvient à faire reculer le propriétaire. L’année dernière, il a fallu une caméra, deux avocats et trois élus pour que la police, à quatre heures du matin, laisse les occupants réintégrer leur domicile de la rue de Candie. Aucun article dans la presse, aucune sanction.

La loi protège la propriété, et c’est normal. Mais la loi protège aussi les êtres humains. Comment peut-on arguer que certes, il y a le droit au logement mais qu’on ne peut pas se faire justice soi-même en squattant, quand des sociétés HLM, des mairies, la police elle-même ne respectent pas les lois et utilisent la force plutôt que la justice?

Ce qui fonde la société, c’est le droit. Qu’un individu viole la loi, et il est sanctionné. Quand la société viole ses lois, elle se détruit de l’intérieur, et rend illégitime toute autorité.

PS : Dans la journée du 3 février, la préfecture de police a procédé à « l’évacuation » du bâtiment sans la présence d’un huissier. Les 18 habitants dorment depuis sur le trottoir au pied de l’immeuble.